Des progrès négligeables dans la mise en œuvre de la Réforme rurale intégrale
Photo : Clavijo
La mise en œuvre de la réforme rurale intégrale progresse lentement et les mesures prises par le gouvernement pour la mettre en œuvre ne respectent pas l’esprit de l’accord. Ces mesures ne visent qu’à simuler la conformité du gouvernement. Il y a plusieurs raisons à cela :
Le gouvernement ne reconnaît pas l’importance de l’économie paysanne, familiale et communautaire. Bien que l’accord final reconnaisse la contribution fondamentale de cette économie au développement du monde rural, l’inactivité du gouvernement Duque dans la mise en œuvre des sous-points relatifs à l’accès à la terre et à l’aménagement social de la propriété rurale montre qu’il a d’autres visées.
Le Bureau du contrôleur général de la République avertit que l’ANT (Agence nationale des terres) a l’intention de modifier l’indicateur établi dans le Plan-cadre d’exécution qui mesure la conformité du Fonds foncier. Il tente de le limiter à la simple inscription des terres qui sont ajoutées au Fonds. La limitation de cet indicateur à l’inscription des terres qui entrent dans le Fonds, sans confirmer si ces terres ont été remises ou non à des paysans, constituerait une sérieuse déformation de ce qui a été convenu et une modification dans les faits de l’accord, car le Fonds foncier a été créé pour remettre des terres aux paysans sans terre ou qui ne possèdent pas suffisamment des terres. On ne peut prétendre que l’accord est respecté si cela ne se produit pas.
De même, l’Accord prévoyait que le Fonds foncier disposerait de 6 sources différentes de terres, notamment l’extinction judiciaire de domaines ou la récupération de terres inexploitées. Cependant, le gouvernement n’inclut que les propriétés non cultivées ou celles qui faisaient déjà partie du Fonds national agraire, de sorte qu’elle n’encourage ni la déconcentration de la propriété foncière ni la démocratisation de l’accès à la terre.
Il convient de noter que les données des entités gouvernementales sur les superficies foncières diffèrent de celles inscrites dans le Fonds foncier. Ainsi, alors que le Conseil de stabilisation et de consolidation indique un total de 924 266 hectares inscrits au Fonds, la directrice de l’Agence nationale des terres affirme que seulement 557 000 hectares ont été inscrits. En plus de créer de la confusion, ces données ne permettent pas de déterminer l’avancement de la mise en œuvre du Fonds foncier puisqu’il n’y a aucune donnée sur les superficies de terres effectivement remises. Il existe également des divergences dans les données fournies par le gouvernement concernant la légalisation de la propriété rurale : l’Agence nationale des terres maintient que 1 900 000 hectares ont été légalisés alors que le Conseil présidentiel affirme que seulement 93 106 hectares l’ont été.[1]
Même en prenant n’importe lequel des chiffres fournis par le gouvernement sur la légalisation des propriétés, il ne serait pas possible d’établir si ces superficies ont été légalisées dans le cadre de programmes de légalisation antérieurs à l’Accord, car le Plan de légalisation massive de la propriété rurale établi au point 1 n’a pas encore été mis en œuvre. Impossible de déterminer si les données sur la légalisation concernent des politiques avancées durant le développement de l’Accord.
La participation des communautés est également fortement limitée. La participation constitue un principe directeur de la mise en œuvre de l’accord du Teatro Colón, mais le gouvernement Duque persiste à ignorer ce principe. Par exemple, on a adopté les mesures de fermeture de la frontière et de protection des zones de réserve sans la participation des populations concernées ; les PATR (plans d’action pour la transformation régionale) n’ont pas appliqué des méthodologies pour assurer la participation explicite des femmes et ont omis les espaces de consultation préalable des groupes ethniques.
Les communautés ont souligné avec insistance le manque de participation à la mise en œuvre des PDET (programmes de développement axé sur le territoire). Elles dénoncent le fait que le dialogue avec les organisations sociales et communautaires n’a pas lieu. Elles n’ont pu participer qu’à la phase de planification des programmes, mais une fois les PATR signés, on a mis fin au processus participatif et les responsables ont considéré que le rôle des citoyennes et citoyens s’arrêtait là. Le gouvernement a continué à dialoguer avec les autorités locales, mais le travail avec les communautés et leurs délégués s’est arrêté, ce qui a engendré la méfiance. Il faut également souligner que le gouvernement n’affecte pas les ressources nécessaires à la mise en œuvre des PDET : il faut investir 4,6 milliards chaque année, mais en 2020, les ressources des principales agences impliquées dans le processus ont été réduites de 10 à 20 %.
L’inclusion de ces programmes dans les Plans de développement territorial représente une avancée dans la mise en œuvre des PDET. Les autorités locales des 170 municipalités du PDET ont inclus plus de 10 000 initiatives (développées avec les communautés dans les processus de formulation des PDET) dans les plans de développement territorial. Cela vient réaffirmer l’engagement des autorités locales à réaliser la mise en œuvre de ces programmes dans les territoires.
Il convient de souligner que, bien que l’accord reconnaisse l’importance de la participation et du dialogue entre les différents secteurs de la société, le gouvernement Duque hésite à promouvoir ces espaces. Par exemple, il a préféré envoyer les forces de l’ordre mener des opérations d’éradication forcée des cultures illicites plutôt que de répondre à l’appel des communautés pour établir des tables de dialogue et trouver une solution non violente sans violation des droits de l’homme au problème des cultures illicites. L’usage de la force a constitué la seule réponse à ces demandes.
L’accord prévoyait une série d’instruments de planification et de mise en œuvre de la réforme rurale intégrale. Ces instruments sont articulés les uns avec les autres, de sorte que le fonctionnement d’un de ces éléments dépend des autres. Mais le processus de mise en œuvre a rompu cette intégrité. Par exemple, l’absence des 16 PNRRI (plans nationaux de la réforme rurale intégrale) a rendu impossible la coordination avec les PATR (plans d’action régionaux de transformation) qui était prévue durant les trois premières années de la mise en œuvre. Sur les cinq PNRRI approuvés (sous le gouvernement Santos), seuls les plans d’ajustement des routes tertiaires et d’adéquation des terres sont inclus textuellement dans le Plan de développement national du gouvernement Duque. L’absence de progrès dans la mise en œuvre du PNIS représente un autre élément qui porte atteinte à l’intégrité de l’accord. Cela pourrait également nuire à l’efficacité des politiques mises en œuvre dans le cadre de la RRI.
De même, on attend toujours des progrès en ce qui concerne les mécanismes alternatifs de résolution des conflits, la création de la juridiction agraire, la création de l’organe de haut niveau pour la définition des directives d’utilisation des terres et les mécanismes de concertation et de dialogue social. Cela montre la complexité inhérente à la résolution des conflits fonciers et territoriaux, ainsi que la négligence institutionnelle à imprimer un élan aux organes respectifs.[2]
Il est clair que sous le gouvernement Duque, la notion de développement rural des territoires basé sur l’intervention intégrale et territoriale de l’État a évolué vers une perspective de sécurité et de militarisation des territoires. C’est la raison pour laquelle le 1er juin dernier, 50 militaires américains sont arrivés en Colombie, dont les actions seront centrées sur Tumaco, Catatumbo et Chiribiquete, 3 des 5 « zones d’avenir » que Duque met en œuvre, qui comprennent un modèle de stabilisation militariste. Ces zones d’avenir chevauchent les zones priorisées pour la mise en œuvre des PDET établis dans l’Accord de paix.
Des organisations paysannes et sociales ont déposé des plaintes dans lesquelles elles rapportent que les militaires et les autorités locales organisent des réunions dans les territoires reconnus comme « zones d’avenir » pour faire participer les communautés paysannes à des actions militaires. Les processus organisationnels se sont prononcés contre ce type d’activités qui ne représentent d’aucune façon des actions de réconciliation ni de nature civile. Au contraire, ce sont des initiatives militaires auxquelles il faut donc exclure la participation des civils.[3]
[1] Centro de Pensamiento y diálogo político – CEPDIPO (2020). La Reforma Rural en Deuda. Colección cuadernos de la Implementación. [La réforme rurale endettée. Collection cahiers sur la mise en œuvre] Bogota. https://cepdipo.org/wp-content/uploads/2020/06/Colección_web_06_La-reforma-rural-integral-en-deuda.pdf
[2] Centro de Pensamiento y diálogo político – CEPDIPO (2020). La Reforma Rural en Deuda. Colección cuadernos de la Implementación. [La réforme rurale endettée. Collection cahiers sur la mise en œuvre] Bogota. Accédé de : https://cepdipo.org/wp-content/uploads/2020/06/Colección_web_06_La-reforma-rural-integral-en-deuda.pdf
[3] Radio Macondo (7 juillet 2020) Sur de Córdoba ejército estaría involucrando comunidades en acciones estratégicas de guerra. [Au sud de Cordoba, l’armée fait participer des communautés dans des actions militaires stratégiques.] https://www.radiomacondo.fm/noticias-nacionales/sur-de-cordoba-ejercito-estaria-involucrando-comunidades-en-acciones-estrategicas-de-guerra/
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