Déréglementation des « nouveaux OGM » : les agriculteur·ices et sélectionneur·euses à petite échelle d’Europe mettent en garde contre le contrôle des entreprises et les risques socio-économiques

Les agriculteur·ices européen·nes, les petit·es et moyen·nes sélectionneur·euses, le secteur alimentaire et la société civile, expriment leur profonde inquiétude face aux tentatives de conclure dans la précipitation un accord au sein du Conseil, ainsi que des négociations entre le Conseil et le Parlement, compte tenu des risques potentiels que présentent les nouveaux OGM pour la santé humaine et la nature. De nombreuses questions restent en suspens, notamment en ce qui concerne les brevets, les méthodes d’identification et de détection, le prix des semences, la diversité des semences, la coexistence, les impacts socio-économiques négatifs et le risque d’un contrôle accru de la chaîne alimentaire par les entreprises. La Coordination européenne de Via Campesina (ECVC) a approuvé cette déclaration conjointe des groupes de la société civile.
Déclaration conjointe : Protéger les activités des petits et moyens éleveur·euses, des agriculteur·ices et des secteurs biologiques et sans OGM dans l’UE
Les pays européens discutent actuellement d’une nouvelle proposition de règlement sur les organismes génétiquement modifiés (OGM), aux conséquences potentiellement significatives pour l’agriculture et l’alimentation européennes. Elle couvre les cultures génétiquement modifiées (GM) et les plantes sauvages produites à l’aide de nouvelles techniques d’édition génomiques (NTG). Ces plantes génétiquement modifiées sont également appelées “nouveaux OGM” ou “OGM-NTG” et seront pour la plupart couvertes par des brevets, comme le sont les “anciens OGM”. La proposition renforcera le contrôle exercé par une poignée d’entreprises sur les agriculteurs et limitera la liberté de circulation du matériel génétique pour les sélectionneurs et les agriculteurs. Elle constitue une menace sérieuse pour l’activité des petits et moyens sélectionneurs et des agriculteurs européens, ainsi que pour le secteur biologique et sans OGM.
La proposition de loi exclut les nouveaux OGM de la législation européenne existante sur les OGM. En particulier, la plupart d’entre eux ne seront pas soumis aux contrôles de sécurité prévus par la directive 2001/18, ce qui permettra leur dissémination délibérée dans l’environnement et leur présence dans la chaîne alimentaire sans aucune évaluation des risques qu’ils pourraient faire peser sur la nature ou la santé humaine. La proposition exempte également la plupart des nouveaux OGM d’un dispositif de surveillance après leur dissémination, ce qui est nécessaire au cas où des problèmes surgiraient pour les consommateurs ou la nature et n’auraient pas été détectés au préalable. Or, des scientifiques indépendants et des agences nationales en France, en Allemagne et en Autriche ont averti à plusieurs reprises que les nouveaux OGM pouvaient présenter des risques pour la nature (interactions modifiées avec les pollinisateurs, contamination, effets cumulés sur l’environnement à long terme) et la santé humaine (allergéniques ou toxicité). La proposition privera également les producteurs et les citoyens de leur liberté de choix, car la plupart des nouveaux OGM ne seront plus traçables ni étiquetés sur les produits alimentaires.
Cette déréglementation des nouveaux OGM aura des répercussions socio-économiques importantes sur les agriculteurs, les sélectionneurs et les autres acteurs de la chaîne alimentaire. Or, ces répercussions ne sont pas prises en compte dans l’évaluation des risques comme elles devraient l’être.
La déréglementation des nouveaux OGM posera des problèmes aux agriculteur·ices et aux sélectionneur·euses
Ces problèmes comprennent la biopiraterie due à la privatisation des semences (appropriation du vivant), le risque accru de poursuites judiciaires contre les agriculteurs et les sélectionneurs par l’industrie des brevets en raison de plaintes pour violation de brevets, la charge administrative due à l’incertitude juridique (vigilance juridique constante), l’augmentation des coûts de production, le risque de perdre leur activité, la réduction de la variété des semences (agrodiversité) – dont les agriculteurs ont besoin pour s’adapter aux effets du changement climatique – et la vulnérabilité accrue aux ravageurs et aux maladies. La proposition constitue également une menace pour les droits existants des agriculteurs de conserver, d’utiliser, de réutiliser et d’échanger leurs semences (droits des agriculteurs sur les semences) et ceux des petits et moyens sélectionneurs, et pourrait également violer les droits des agriculteurs biologiques et des agriculteurs sans OGM.
Les promesses de durabilité des nouvelles plantes génétiquement modifiées sont hypothétiques étant donné que très peu de nouveaux OGM ont été mis sur le marché au cours de la dernière décennie. Parmi les nouveaux OGM qui ont été commercialisés, certains sont déjà des échecs commerciaux. En ce qui concerne les avantages pour la société, tels que l’adaptation au changement climatique avec une résistance accrue à la sécheresse, c’est-à-dire à la pénurie d’eau, des recherches sont en cours depuis longtemps avec d’anciens et de nouveaux OGM, sans aucun succès jusqu’à présent. En revanche, la sélection effectuée par les agriculteurs dans leurs champs et par les petits et moyens sélectionneurs permet déjà de s’adapter à des stress tels que la sécheresse (qui devrait augmenter à mesure que le climat se réchauffe) et de trouver des solutions adaptées aux conditions et aux systèmes agricoles locaux spécifiques. Par exemple, certains programmes de sélection biologique offrent des variétés innovantes et performantes, avec des cultures plus résistantes, adaptées aux principes et aux conditions spécifiques de l’agriculture biologique.
En outre, une grande partie de la recherche en cours sur les OGM-NTG n’a pas pour objectif de parvenir à la durabilité ou d’apporter des avantages à la société, mais plutôt de répondre à des besoins commerciaux ou industriels (p.3), comme les ananas roses par exemple.
Les organisations signataires de ce courrier, dont l’original a été rédigé en anglais, représentant les agriculteurs européens, les sélectionneurs de taille petite et moyenne, des acteurs de l’industrie alimentaire et la société civile sont profondément préoccupées par les tentatives de précipiter un accord au Conseil et les négociations entre le Conseil et le Parlement, étant donné les risques potentiels des nouveaux OGM pour l’environnement et pour la santé humaine, ainsi que des nombreuses questions qui n’ont obtenu aucune réponse satisfaisante à ce stade, à savoir les brevets, les méthodes d’identification et de détection, le prix des semences, la diversité des semences, la coexistence, les impacts socio-économiques négatifs et le risque d’un plus grand contrôle de la chaîne alimentaire par les grandes entreprises. Nous sommes très inquiets, d’autant plus que les solutions proposées par le Parlement européen et les présidences belge et polonaise du Conseil sur les brevets ne résolvent pas le problème des brevets (voir point 1.1 en annexe).
Nous appelons les pays européens à protéger leurs agriculteur·ices et leurs éleveur·euses, ainsi que les citoyen·nes et la nature. Tous les nouveaux OGM doivent faire l’objet d’une évaluation des risques et d’une surveillance, de méthodes d’identification et de détection, ainsi que de traçabilité et d’étiquetage tout au long de la chaîne alimentaire. Les pays doivent pouvoir interdire ou restreindre leur culture sur leur territoire. Nous appelons les pays européens à mettre fin à la déréglementation des nouvelles plantes génétiquement modifiées.
Cette publication est également disponible en English.