« Défendre la Souveraineté Alimentaire, c’est défendre la nature, l’eau, notre planète. »
7 décembre 2023
La 8e Conférence Internationale de La Via Campesina représente un espace de réflexion critique sur les forces structurelles qui engendrent et alimentent les crises mondiales. Il s’agit d’un rassemblement puissant permettant de renforcer les liens entre les mouvements populaires qui construisent aujourd’hui des sociétés alternatives. Le mardi 5 décembre, la première session de la matinée nous a offert un moment puissant de formation politique, au cours duquel des activistes du monde entier ont eu l’occasion d’approfondir leur compréhension des contradictions qui conditionnent les systèmes alimentaires et les stratégies de résistance populaire.
João Pedro Stedile, dirigeant national du Mouvement des travailleurs·euses sans terre (MST) au Brésil, a présenté une analyse percutante de la conjoncture actuelle et du potentiel de la résistance populaire. M. Stedile a présenté une analyse holistique de la Souveraineté Alimentaire, en soulignant qu’il faut avant tout arrêter de considérer la nourriture comme une marchandise. Selon lui, la Souveraineté Alimentaire repose sur le fait que les peuples produisent leur propre nourriture, mais pas seulement. « Défendre la Souveraineté Alimentaire, c’est défendre la nature, l’eau, notre planète. » Dans le concept de Souveraineté Alimentaire, nous intégrons le principe fondamental du respect de la vie, de la vie humaine, de la vie animale, de la vie végétale. Nous y intégrons aussi des questions cruciales sur le genre, afin de garantir que les femmes puissent s’engager activement dans chacune de nos luttes.
L’une des grandes richesses de la Conférence Internationale, a souligné M. Stedile, est la possibilité d’apprendre directement des analyses critiques de nos camarades sur leur conjoncture régionale. « Les présentations d’hier nous ont aidé·e·s à comprendre la lutte des classes dans le monde, nous avons appris de nos camarades concernant les défis majeurs auxquels ils·elles font face dans leurs régions »
Comme d’autres intervenant·e·s tout au long de la conférence, M. Stedile a souligné la gravité du changement climatique. « Nous traversons une grave crise environnementale. Elle affecte la planète entière, menace toute l’humanité, le monde animal et végétal, toutes les espèces. Cette crise est le produit de l’offensive capitaliste. Des milliards de personnes peuvent vivre en harmonie avec la nature, mais nous devons être clair·e·s sur le fait que la cause de la crise est la nature du capital ».
M. Stedile a d’abord analysé le rôle du capitalisme dans l’expulsion des paysan·ne·s de leurs terres et dans le sous-développement pour ensuite passer en revue les positions clés du mouvement. « Au cours de ces 30 dernières années, nous avons été en mesure de construire quelque chose de vraiment important ». Il évoque plusieurs facteurs, mais présente la réforme agraire comme un élément central. « Il ne s’agit pas seulement de récupérer des terres. Nous parlons d’une réforme agraire intégrale, territoriale et populaire. Il ne s’agit donc pas seulement de défendre la terre, mais aussi l’eau, l’air et la nature. » L’articulation pour la souveraineté alimentaire de LVC constitue une autre avancée cruciale. « Il ne s’agit pas seulement de produire de la nourriture pour les peuples ; nous avons besoin d’une nourriture saine, et nous devons donc lutter contre les semences transgéniques et les pesticides. Car une alimentation saine constitue l’énergie de la vie. Ceux qui ne produiront pas leur propre nourriture seront esclaves ». Pour Stedile, l’essor de l’agroécologie est étroitement lié à la Souveraineté Alimentaire. « Notre agroécologie est en train de s’étendre à tous les territoires – cela implique le contrôle des semences, la production de médecines alternatives, la création d’écoles agroécologiques dans tous les pays. Nous avons besoin d’un Institut Latinoaméricain d’Agroécologie (IALA) dans chaque pays, dans chaque région. En ce qui concerne le thème de l’agroécologie, nous éprouvons une immense fierté envers les femmes, qui nous aident à comprendre que l’agroécologie est un acte féministe, que la conservation des semences est un acte féministe et que nos camarades féminines représentent donc les protagonistes de cette lutte ». Il a conclu en établissant un lien entre la crise climatique et la nécessité d’une souveraineté énergétique. « Nous devons prendre le contrôle des technologies renouvelables. Nous devons maîtriser les techniques grâce auxquelles les paysan·ne·s peuvent contrôler l’énergie solaire et l’utiliser pour faire progresser l’agroécologie. Certain·e·s utilisent déjà des panneaux solaires pour faire fonctionner des tracteurs. Nous devons être en mesure d’utiliser les énergies renouvelables pour alimenter nos fermes, car ce n’est qu’en contrôlant la production que nous réussirons ».
Ensuite, Jaime Amorim, membre du Comité de Coordination International (CCI) de La Via Campesina et du MST au Brésil, a commencé par souligner l’importance d’une analyse conjoncturelle. « Nous ne pouvons pas interpréter la réalité avec des données erronées, nous ne pouvons pas adopter une analyse critique qui nous rend faibles. Pour définir des tactiques, pour élaborer une stratégie pour l’avenir, nous devons étudier et interpréter notre réalité, et c’est ce que nous avons fait. Nous devons maintenant élaborer un plan pour articuler la prochaine période. »
M. Amorim s’est concentré sur la construction des principes et de la nature de La Via Campesina, car ce sont eux qui devraient guider l’articulation du plan d’action pour la prochaine période.
« Tout d’abord, nous traversons une période critique marquée par des changements soudains sur le plan environnemental et politique : l’aggravation des inégalités économiques, l’attaque contre les populations rurales, la barbarie et la violence. La crise environnementale représente une menace majeure pour l’humanité. On dit que lorsqu’on plante un arbre, on plante de l’eau. Nous avons le rôle historique de changer notre relation avec la terre ».
Il a également ajouté : « Nous devons donner une place centrale au plan que nous proposons. Au lieu d’avancer pas à pas à partir d’expériences isolées et à petite échelle dans une seule exploitation agricole, nous devons rapidement orienter nos efforts en adoptant des perspectives plus larges pour l’agroécologie et l’agroforesterie. Si nous ne le faisons pas, nous passerons à côté de ce moment historique et nous serons mis·es à mal dans le contexte de la crise climatique mondiale. »
Il a ensuite énuméré et développé les principes organisationnels de LVC, qui comprennent l’internationalisme entre les différents mouvements populaires, la promotion de l’échange et la connaissance des réalités de chacun·e. La solidarité, qui constitue une valeur humaine fondamentale, implique de se libérer de l’emprise de l’ego et de créer ensemble un projet collectif. La construction de l’autonomie financière est essentielle pour les mouvements populaires et leur permet de développer des projets politiques sans être sous la coupe d’institutions financières. Il a ensuite développé les principes de l’organisation, notamment l’importance du leadership collectif, de la division des tâches, de la démocratie participative, de la discipline, de l’égalité des genres, de la participation des jeunes et de l’évaluation continue.
M. Amorim a rappelé aux centaines de militant·e·s présent·e·s dans l’assistance que « ce que nous proposons, c’est de créer un nouveau monde anticapitaliste. Mondialisons la lutte », a-t-il lancé à la foule, ce à quoi le public a répondu de manière assourdissante : « Mondialisons l’espoir ». Il a poursuivi : « Grâce à nos principes politiques et organisationnels, nous vaincrons cette société inégalitaire et la remplacerons par une société fondée sur l’équité ».
Morgan Ody, Coordinatrice Générale de LVC et membre de la Confédération Paysanne en France, a ensuite développé le processus de formation politique en donnant un aperçu du mouvement du point de vue du CCI. Réfléchissant à la structure organisationnelle du mouvement, elle a souligné que LVC s’organise en 10 régions, une construction collective qui a débuté en 2004. Mme Ody a souligné l’importance de cette rencontre internationale, en insistant sur le fait que la Conférence Internationale est l’espace décisionnel le plus élevé du mouvement.
Dans le cadre de son intervention, elle a indiqué que le mouvement était sur le point d’accroître la représentation et la coordination des jeunes puisque le CCI comprendra maintenant – au lieu d’un jeune par continent – un jeune par région, une nouvelle accueillie par de vifs applaudissements. Elle a ensuite passé en revue la fonction et la composition du CCI, en insistant sur son processus décisionnel fondé sur le consensus. Elle a également présenté le processus par lequel les nouveaux membres, tels que l’Australian Food Sovereignty Alliance, sont intégrés dans le mouvement, et la manière dont ils jouent un rôle clé dans la construction des régions, en l’occurrence dans l’océan Pacifique. Morgan a évoqué les processus de formation au sein de LVC, puis a présenté une proposition qui a été élaborée pendant plusieurs années : l’articulation des diversités, à laquelle les militant·e·s réuni·e·s ont réagi en scandant « Pas de révolution sans diversité ». Elle a conclu en soulignant que ce mouvement est en perpétuelle construction et que, si le chemin à parcourir est semé d’embûches, il est aussi plein d’espoir.