Déclaration sur la mission de solidarité avec les paysans et paysannes palestiniens
Elaborée par SOC, Ehne-Bizkaia, ELB, VSF-Justicia mondial Alimentaria, Mundubat, Bizilur, UztaroKoopt et Mikelazulo
Pendant les neuf premiers jours de novembre, plusieurs personnes appartenant à des mouvements sociaux, syndicaux, agraires et politiques de Euskal Herria et d’Andalousie, suite à l’appel fait par La Via Campesina, se sont rendues en Palestine avec pour mission d’évaluer les violations des droits humains dans la région, notamment au sein de la population paysanne – majoritaire en Palestine et principal moteur économique du pays – qui constitue la cible principale de la politique coloniale du régime sioniste israélien.
En passant par l’Union des Comités de Travail des Agriculteurs de Palestine (UAWC) et ses comités locaux, nous avons pu constater la perversité méthodique dont Israël fait preuve envers la société palestinienne en général et contre le premier secteur économique palestinien en particulier, bafouant toutes les règles du droit international humanitaire et les obligations imposées par la IVe Convention de Genève à Israël, en tant que puissance d’occupation, vis-à-vis de la population palestinienne vivant sous occupation.
Dans sa construction criminelle, Israël applique actuellement des politiques et des mesures relevant de l’apartheid, et c’est ce qui est dénoncé par les principaux mécanismes de défense des droits humains des Nations unies et par les organisations sociales palestiniennes, ainsi que par des organisations israéliennes. L’apartheid, c’est faire de la discrimination et de l’oppression la règle dominante du système politique, économique et social dans lequel vit la population palestinienne, en interdisant la liberté de mouvement et en accaparant le territoire pour consolider l’existence de l’État israélien.
Dans cette lutte pour l’accaparement des terres et des ressources naturelles, les paysans et les paysannes de Palestine sont exposés en première ligne. 70 % des terres occupées par l’armée israélienne sont agricoles, ce qui touche par conséquent le mode de vie et de résistance de la population paysanne. C’est en ce sens que la population paysanne palestinienne devient le point principal de la guerre d’extermination, premier objectif de la politique coloniale et des forces armées sionistes. Mais la paysannerie palestinienne constitue aussi la ligne de front de la résistance contre l’occupant, un exemple de dignité et de lutte malgré les pires adversités subies par une population disposée à résister sur la terre que ses ancêtres ont travaillée depuis toujours. Un collectif qui considère qu’œuvrer pour la souveraineté alimentaire, c’est un outil pour résister, pour nourrir les siens et préserver sa culture et son identité, pour survivre à la violence de l’occupation et rester sur ses terres, et un outil qui, de plus, les rapproche des paysans et paysannes de toute la planète.
À travers les témoignages directs de paysans, nous avons entendu les récits des différents mécanismes juridiques avec lesquels Israël étouffe les moyens de production de la paysannerie, en barrant les accès aux terres cultivées, en refusant les autorisations pour construire des puits ou/et des infrastructures nécessaires pour l’agriculture et l’élevage, en imposant l’utilisation de semences hybrides d’importation israélienne, et en s’assurant du monopole concernant la fourniture des produits phytosanitaires. Et quand la loi ne suffit pas, les forces armées israéliennes et les compagnies de sécurité privées recrutées par l’État d’Israël exécutent les ordres de démolition de logements, agressent ou/et tirent sur les paysans et paysannes sur leurs terres, ou à bord de leurs barques en ce qui concerne la communauté de pêcheurs de Gaza. Israël s’approprie plus de 80 % des ressources hydriques qui devraient revenir à la Palestine selon les Accords de Paix signés, et empêche ainsi la paysannerie de conserver son mode de vie, avec ses traditions, son approvisionnement autonome de la population et des générations futures.
En même temps, Israël impose un blocus économique qui cherche à rendre l’économie occupée dépendante de la puissance occupante. Sans accès aux marchés extérieurs, les paysannes et paysans palestiniens vendent essentiellement sur les marchés locaux, qui sont à leur tour envahis par les produits israéliens, introduits au moyen de pratiques qui renforcent la concurrence déloyale, tandis que des embargos visent au gaspillage des marchandises et des produits.
La bataille de l’occupation est également une bataille symbolique, une bataille visant à usurper les symboles et les valeurs de la population paysanne. Il ne s’agit pas seulement d’étrangler la population paysanne, mais aussi, dans une manœuvre perverse, de faire bénéficier la population de colons de bénéfices et de prébendes afin qu’un tissu économique et social basé sur l’agriculture intensive se développe et remplace ainsi les pratiques et les acteurs de l’agriculture paysanne. La perversité de l’occupation ne se limite pas à dépouiller la population paysanne de son mode de vie, mais la transforme aussi en esclave et main d’œuvre précaire entre les mains de l’État qui l’opprime.
En particulier, la situation de la paysannerie est encore plus grave en ce qui concerne les femmes paysannes palestiniennes, qui sont elles aussi victimes de l’occupation israélienne, en tant que femmes, mères, sœurs et parentes de leurs camarades masculins. Elles sont, de plus, également victimes de la répression exercée sur elles par le patriarcat qui entrave leur implication dans la sphère publique et sociale, qui exerce sur elles la pression de la maternité comme force de résistance, et qui fait qu’elles doivent lutter et travailler deux fois plus que leurs camarades masculins pour que leurs besoins pratiques et stratégiques soient pris en compte et reconnus aussi bien dans la sphère privée que dans la sphère publique des organisations auxquelles elles appartiennent. Les femmes membres de l’UWAC et de l’Union des Comités des Femmes Palestiniennes (UPWC), avec lesquelles nous avons pu discuter pendant notre visite, et ainsi, commencer tout juste à entrevoir la problématique des femmes dans son ensemble, nous ont rappelé que la lutte des femmes paysannes palestiniennes est une lutte féministe, une lutte qui cherche à mettre un terme à tous les éléments qui génèrent les inégalités entre les hommes et les femmes, et qui cherche à remettre en cause les relations de pouvoir qui oppressent les femmes et les hommes qui ne correspondent pas aux rôles assignés aux sexes. C’est pourquoi elles ont besoin de notre soutien et de notre travail pour en finir avec toutes les formes d’oppression, que celles-ci soient produites par le capital, l’occupation ou le patriarcat. Il ne peut y avoir de souveraineté alimentaire sans égalité, sans liberté et sans résistance à toute forme d’oppression.
Les paysan(ne)s qui ont fait partie de cette délégation n’ont pas pu éviter de se sentir indigné(e)s, ému(e)s et solidaires de nos frères et sœurs qui travaillent sur ce territoire si malmené, mais si riche en dignité humaine. Parce qu’exister, c’est résister, et malgré cette situation inhumaine, la population paysanne brandit elle aussi l’espoir et la dignité de sa lutte, en étendard auquel s’accrocher pour mener à bien son travail millénaire : alimenter ses familles, ses communautés, prendre soin de la terre à laquelle elle se sent liée.
C’est pour cela que nous faisons nôtre l’appel que nous avons recueilli auprès de l’UAWC et des différentes organisations sociales pendant ces quelques jours :
a) Accroître les efforts et le soutien nécessaires pour que soit adoptée la Déclaration sur les droits des paysans, des travailleurs des zones rurales et des pêcheurs, débattue au Conseil des droits de l’Homme des Nations unies, déclaration qui est un outil supplémentaire pour défendre leur cause, leur droit à la vie paysanne. Unir nos efforts, intégrer nos frères et sœurs palestiniens dans ce processus, cela peut renforcer leur résistance face à la communauté internationale et enrichir un texte qui, selon nous, doit servir de cadre général pour les luttes paysannes quel que soit le contexte géographique dans lequel elles ont lieu.
b) Promouvoir l’adhésion formelle de La Via Campesina et de ses organisations membres à la campagne de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), en tant qu’outil de lutte contre le crime d’apartheid commis par l’État d’Israël contre la population palestinienne.
Ces derniers temps, nous assistons à une prise de position favorable de plusieurs gouvernements occidentaux vis-à-vis de la reconnaissance de l’État palestinien. Il ne fait aucun doute que ces quelques pas en avant de la diplomatie occidentale représentent déjà un changement du statu quo, et ils sont en ce sens bienvenus, mais nous estimons que notre travail, en tant que mouvement social, doit être d’insister en rappelant à nos gouvernants et aux sociétés auxquelles nous appartenons que l’impératif moral que la déclaration des droits humains et d’autres instruments adoptés tout au long de ces années nous obligent à mettre l’accent sur la dénonciation de l’État d’Israël pour le crime d’apartheid commis contre la population palestinienne. Il s’agit d’un crime de lèse-humanité et donc d’un crime qui suppose une violation et une atteinte contre l’ensemble tout entier de la population humaine, et nous nous unissons donc à l’appel unitaire de l’ensemble de la société palestinienne organisée, pour que la campagne de BDS soit utilisée, étant l’outil de pression le plus efficace, capable d’entraîner la modification des politiques d’Israël pour que cessent l’occupation et les crimes et violations des droits humains commis par le passé et actuellement de façon systématique, et pour que soit envisagée une solution définitive en ce qui concerne la question de la population palestinienne réfugiée. C’est l’outil qui peut contribuer à la constitution d’un groupement social israélien massif contre l’occupation, et inciter au démantèlement de la légitimité sociale que les projets sionistes ont actuellement, en s’abritant toujours derrière la logique de la sécurité et de la menace extérieure constante. Cela s’est déjà produit en Afrique du Sud et dans d’autres contextes. L’Histoire nous montre que si le boycott prend de plus en plus d’ampleur, sur les plans économique, culturel, social…, s’il fait l’objet d’une unanimité et si nos sociétés expriment leur rejet de cette situation, nous pouvons faire face à l’injustice. Si nous nous détournons de cette question, nous participerons, d’une manière ou d’une autre, à légitimer l’injustice et nous contribuerons à la violation de la dignité palestinienne, nous trahirons la culture millénaire de sa population paysanne.
c) Augmenter les canaux de coopération avec les organisations palestiniennes qui œuvrent pour la construction de la souveraineté alimentaire sur leur territoire. À travers des échanges, en ayant une influence en faveur de la cause palestinienne sur nos sociétés, … Nous pouvons trouver beaucoup de possibilités pour soutenir le travail que nos camarades de l’UAWC, hommes et femmes, réalisent quotidiennement malgré le risque que cela représente pour leurs propres vies et pour leurs familles.
Nous rapprocher de nos camarades en ayant un regard proche et percevoir leur lutte comme une lutte qui nous est propre.
GLOBALISONS LA LUTTE PALESTINIENNE, GLOBALISONS L’ESPOIR !