Déclaration de la 6e Assemblée des femmes de La Via Campesina
30 ans de luttes collectives pour la justice, la paix, la vie et la dignité !
(Bogota, 2 décembre 2023) Au cours de ces trois décennies d’organisation, de lutte et de mobilisation de La Via Campesina, les femmes autochtones, paysannes, noires, sans terre, migrantes, pêcheuses, bergères, saisonnières et salariées agricoles ont joué un rôle fondamental. Elles ont mis en œuvre des stratégies politiques et organisationnelles garantissant la vie, l’avenir de l’humanité et de notre planète. Elles luttent quotidiennement pour la défense de la Terre mère, la Souveraineté Alimentaire et une alimentation saine dans les campagnes et les villes. Elles s’opposent au pillage, à la dévastation, à la mort et à l’oppression causés par le capitalisme et l’agrobusiness dans nos territoires.
La Via Campesina, en cette année 2023, commémore 30 ans de « globalisation de la lutte et de l’espoir » des peuples du monde, avec la certitude que la solidarité et l’unité sont vitales pour vaincre le capitalisme et l’impérialisme sauvage entretenus par le racisme, le patriarcat et le colonialisme. Nous nous unissons à la résistance des femmes en Palestine, au Kurdistan, au Niger, en Haïti, à Cuba, en Colombie, au Nicaragua, en Ukraine et dans tous les territoires. En tant que femmes rurales, nous avons été exclues et soumises pendant des siècles. C’est pourquoi, depuis nos territoires, avec sagesse et courage, nous construisons une vision commune, aujourd’hui appelée le Féminisme Paysan et Populaire.
Au cours de ces 30 années, les conditions de vie des femmes rurales du monde entier ont connu d’importants changements. Aujourd’hui, les processus d’exploitation, de violence et de barbarie continuent de s’imposer aux communautés, aux peuples, ainsi qu’aux corps et aux vies de ceux d’entre nous qui se rebellent, en particulier les femmes, les enfants et la diversité. Cependant, nos rêves et nos défis s’élargissent également, et l’organisation sociale, la solidarité, la résistance et la lutte populaire se développent et se renforcent.
Aujourd’hui, nous participons activement au mouvement, menant des processus et des débats, mais de nombreux défis internes et externes subsistent. Les vagues fascistes et néo-fascistes dans nos territoires s’accompagnent d’une perte de droits historiques et fondamentaux qui garantissent une vie digne et pleine aux femmes et à nos communautés.
Nous vivons un processus de crise où les droits sont remis en question, en particulier les droits des femmes, et l’un des droits fondamentaux est la participation politique des femmes rurales. Tant au sein du mouvement et des organisations que dans les sociétés. Tout au long de l’histoire de La Via Campesina, la participation politique des femmes a énormément progressé, nous avons construit et conquis différents espaces, avec sagesse et audace. La parité de genre dans la coordination politique du mouvement marque une étape historique dans un mouvement agraire, mais ce n’est pas notre seule exigence.
Les Assemblées des femmes de La Via Campesina ne sont pas seulement un moyen de formation et d’échange, mais aussi de construction d’agenda, de légitimation de nos actions et de validation du rôle fondamental que nous avons dans la construction de la Souveraineté Alimentaire, de notre mouvement et de sociétés de paix avec justice sociale. Garantir les droits des paysan·nes, c’est garantir les droits des femmes dans les campagnes !
La lutte et l’organisation de La Via Campesina au cours des 30 dernières années nous ont appris que le présent ne peut être construit sans connaître le passé. Dans cet exercice de mémoire, nous reconnaissons toutes les semences que les femmes rebelles nous ont laissées, invisibles mais organisées, pour la justice et la dignité. Nous saluons le feu allumé par les femmes qui nous ont précédées, nos ancêtres et nos sœurs qui nous ont ouvert le chemin de la lutte.
Notre histoire a été marquée par la marginalisation et l’exclusion des espaces publics. C’est pourquoi, lors de cette 6e Assemblée, nous nous écoutons les unes les autres, nous nous parlons dans un espace sûr et confiant, afin de comprendre nos contextes, de revoir notre structure organisationnelle, de nous souvenir et de commémorer nos réalisations collectives au cours de cette période, telles que la Déclaration sur les Droits des paysan·nes.
C’est avec conviction que nous réaffirmons notre lutte :
- Anti-capitaliste, anti-patriarcale et anti-raciale.
- À travers d’anciens processus de résistance et d’organisation contre toutes les violences qui persistent dans le monde à l’encontre des femmes, de la diversité de genres, de la classe ouvrière et de nos peuples.
- Avec des processus de formation, d’étude et d’échanges.
- Pour le renforcement de la participation et de l’intégration des jeunes et des diversités.
- Contre la criminalisation de nos luttes et pour des espaces de protection sûrs pour les femmes victimes de violence et pour les enfants.
Comme nous l’avons déclaré lors de notre première Assemblée, nous réaffirmons aujourd’hui : nous continuerons à nous organiser, à renforcer nos luttes, et la pratique de la solidarité et de l’indignation face à toutes les injustices et inégalités.
- Pour de nouvelles sociétés et organisations dont les relations sont fondées sur la justice et la dignité humaine.
C’est avec conviction que nous nous engageons à poursuivre la lutte :
- Pour une société dépatriarcalisée, anticapitaliste et antiraciale.
- Pour une réforme agraire populaire qui garantisse la terre aux femmes.
- Pour des politiques publiques qui tiennent compte de la dimension de genre.
- Pour une participation politique sans exclusion des femmes rurales.
- Pour une production agroécologique, avec des semences autochtones et créoles, avec des marchés locaux.
- Stop à la violence contre les femmes, les féminicides, l’exploitation sexuelle, la violence contre la dissidence de genre.
- Stop aux guerres qui détruisent les rêves, les peuples et les constructions sociales.
- Le fascisme ne passera pas.
C’est pourquoi nous disons : « C’est avec conviction que nous ouvrons la voie au Féminisme Paysan et Populaire, que nous construisons la Souveraineté Alimentaire et que nous luttons contre les crises et les violences ».