Cuba : cours d’agroécologie pour les formateurs/trices de La Vía Campesina
“L’agroécologie peut doubler la production alimentaire de régions entières en 10 ans, réduisant en même temps la pauvreté en zone rurale et réduisant le changement climatique.”
Cette phrase a été prononcée par Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation, lors de la présentation de son rapport en mars 2011. Cette affirmation se base sur un travail d’investigation réalisé dans le monde entier. Dans son rapport, il incite fortement les Etats à adopter des politiques publiques ambitieuses en faveur de l’agroécologie.
Il y a déjà de nombreuses années que La Vía Campesina (LVC) impulse l’agroécologie, comme paradigme pour atteindre la souveraineté alimentaire. Preuve en est le nombre d’écoles paysannes en agroécologie existantes ou en élaboration au sein du mouvement: il y en a plus de 40 aujourd’hui dans le monde. Si de toute évidence nous sommes convaincus que l’agroécologie est la voie à suivre, ces centres donnent une réponse partielle à une question qui nous paraît toujours plus urgente: “comment diffuser l’agroécologie?”. Dans ce cette optique, le succès de la méthode “de Campesino a Campesino” à Cuba, à travers de l’Association Nationale des Petits Agriculteurs (ANAP), membre de LVC, est un exemple inspirateur pour le mouvement. L’ANAP y LVC ont organisé la rencontre internationale biannuelle du “Mouvement Agroécologique de Campesino a Campesino” du 17 au 24 novembre 2013, et celui-ci fut une opportunité pour la Vía Campesina d’en apprendre plus sur l’expérience insulaire.
Des 80 participants étrangers à la rencontre internationale (à côté des 200 cubaines et cubains présents), la moitié étaient des représentants d’organisations membres de la Vía Campesina: ils venaient principalement d’Amérique (Nicaragua, Panamá, Colombie, Brésil, Chili, Argentine, Haïti, Etats-Unis, Canada, Mexique,…), et d’Afrique (Mozambique, Mali, Zimbabwe). La grande majorité d’entre eux sont restés une semaine de plus pour approfondir la méthode de Campesino a Campesino, lors d’un cours spécial conçu par les formateurs de l’ANAP.
Campesino a Campesino: quand l’éducation populaire rencontre l’agriculture
La transmission du savoir avec « Campesino a Campesino » (CAC) rompt avec la tradition verticale du technicien arrivant au champ avec sa théorie pour expliquer ce qu’il doit faire au « paysan inculte ». Ici le protagoniste est un paysan qui a des expériences à partager, depuis sa pratique dans son propre champ: le promoteur. Il est le nœud de la transmission de sa connaissance.
Née au Guatemala, arrivée plus tard au Mexique, au Honduras et au Nicaragua, c’est sur l’île de Cuba que la méthode touche le plus grand nombre de familles: plus de 100,000 en à peine 10 ans. Durant la rencontre internationale, les participants se sont familiarisés avec cette méthode et ses résultats en visitant des fermes des promoteurs de la méthode.
“J’ai appris beaucoup, j’ai rencontré des pratiques que je ne connaissais pas comme la lombriculture, et l’utilisation des microorganismes. Je trouve fondamental que ces techniques soient maîtrisées par tout le monde, par tous les paysans.”, Mamadou Coulibaly (CNOP-LVC, Mali)
“C’est la preuve que, nous pouvons produire sainement, durablement, contrairement au discours qui laisse entendre qu’une telle production ne peut être que lente et non compétitive.” Nury Martinez Silva (FENSUAGRO-LVC, Colombie)
A l’école de l’ANAP
Au centre Necito Pérez, les formateurs de l’ANAP ont transmis ce qu’elles et ils réalisent en terme de formation de formateurs. Ils ont présenté de façon dynamique les principes de base de la méthode CAC, ainsi que des techniques comme le diagnostic participatif, permettant d’analyser une ferme avec des indicateurs, pour identifier les problèmes et la classifier selon son niveau d’intégration agroécologique. Des propositions d’ateliers ont été réalisées en travail de groupe sur des thèmes spécifiques comme: la conservation des sols, l’élevage durable, le traitement écologique d’insectes, la production et la conservation de semences locales,…
Il est apparu clairement que les participants possédaient des niveaux très différents en terme d’éducation populaire, et le cours a permis d’identifier la nécessité de travailler cet aspect au sein de LVC, et même dans le cours suivi à Cuba, comme l’ont exprimé certains formateurs.
“Je crois que nous avons perdu une occasion de mieux nous connaître durant le cours. Il y avait beaucoup de nouvelles têtes, mais la structure du cours fut très traditionnelle”, Yorlis Luna Delgado (IALA Mésoamérique-LVC, Nicaragua)
Si un seul principe était à retenir, ce serait le premier de CAC: commencer lentement et à petite échelle. Parvenir rapidement à un résultat motive la personne, ce qui est un facteur essentiel pour la reproduction de cette expérience, comme pour son extension, qui est le prochain pas…
“Des personnes simples faisant des choses simples à petite échelle peuvent changer le monde.”, Eduardo Galeano.
Plus qu’une méthode: un mouvement social!
Ce qui impressionne à Cuba, c’est le taux de reproduction de ces petites expériences. Un facteur d’explication est la “période spéciale” vécue par Cuba depuis la chute de l’Union soviétique qui a rendue urgente la nécessité de produire autrement que selon l’agriculture conventionnelle, les intrants chimiques étant devenus indisponibles en conséquence du blocus économique de l’île. Mais la transformation d’une méthode pédagogique en mouvement social semble être un facteur primordial pour comprendre ce succès.
“Hé bien cela m’a vraiment impressionné. Je pensais que c’était une politique de l’état cubain l’agroécologie mais maintenant je me suis rendue compte que c’est une décision de l’ANAP! Une organisation qui existe depuis 1961 y dont l’entièreté de ses responsables a assumé la responsabilité de développer l’agroécologie et la méthode.” Nury Martinez Silva (FENSUAGRO-LVC, Colombie)
“Si le mouvement est fort, l’état n’a pas le choix!”, Mamadou Coulibaly (CNOP-LVC, Mali)
Comme organisation l’ANAP n’a pas simplement copié la méthode existante, impulsée par des promoteurs encadrés par des facilitateurs qui organisent des formations. Elle y a ajouté la fonction de coordinateur, un cadre de l’ANAP qui agit au niveau municipal. Elle a aussi réalisé de nombreuses collaborations avec des institutions et des chercheurs au niveau local. Tout le système est facilité par la structure de production en coopératives, les animateurs agissant à ce niveau, sous forme de volontariat, à moins que la coopérative ne décide de le rémunérer.
La relation ANAP-Vía Campesina
Durant une rencontre organisée avec les dirigeants de l’ANAP, les délégués étrangers de LVC leur ont présenté leur plan de travail, leur ont réaffirmé leur soutien et leur ont transmis quelques demandes.
La formation d’un réseau d’écoles paysannes d’agroécologie au sein de LVC est une priorité pour le futur. De ces écoles, celles d’Afrique (Mali, Mozambique et Zimbabwe), et les nouvelles écoles latino-américaines de Colombie (IALA région andine) et du Nicaragua (IALA Mésoamérique), ainsi qu’une école provinciale de Colombie, étaient représentées à Cuba. Ce réseau a comme tâches de réaliser une cartographie, de systématiser les expériences et de les diffuser.
LVC s’est déclarée solidaire avec Cuba, pour mettre fin au blocus, et s’est engagée à offrir son appui international. En même temps, LVC a demandé à l’ANAP d’augmenter son implication au sein de LVC, étant donné son cas exemplaire dans le développement de l’agroécologie, notamment pour la mise sur pied du réseau d’écoles.
A la fin du cours, beaucoup ont évoqué l’amour qu’ils ont ressenti pour le peuple cubain. Nous partageons des valeurs, prononça Ariel, de CNA-LVC Colombie: Dignité, solidarité, amour et union!
Repenser l’agroécologie…
“Il serait intéressant de faire un inventaire des pratiques agroécologiques dans chaque pays, et que nous nous rencontrions à partir de là, pour donner un contenu à l’agroécologie, pour le valider. Et arriver à un catalogue des bonnes pratiques de LVC. Avec cela, on pourra le défendre n’importe où et en premier lieu dans nos pays”, Mamadou Coulibaly (CNOP-LVC, Mali)
On a pu remarquer au cours de l’événement qu’il y a encore beaucoup de travail pour que l’agroécologie soit comprise sous un angle systémique, intégral, holistique. De nombreuses fois, on a pu entendre qu’elle est toujours perçue comme une simple technique. L’agroécologie est traditionnellement présentée comme reposant sur trois piliers: la technique agricole, la recherche et la militance qui l’identifie comme mouvement social. Une question qui surgit de « Campesino a Campesino » pourrait être: l’éducation populaire ne serait-elle pas un quatrième pilier fondamental de la proposition agroécologique? Cette méthode, cette philosophie éducative, ne serait-elle pas une condition nécessaire pour parvenir à diffuser l’agroécologie? Comment l’éducation populaire nous permet-elle de repenser nos organisations et le pouvoir au sein de celles-ci? Comment peut-elle modifier le choix des techniques agricoles, valorisant leur caractère populaire? Comment peut-elle changer notre conception de la recherche, considérant le paysan comme le scientifique de son champ? En d’autres termes, l’agroécologie ne serait-elle pas plus cohérente si nous la regardions dans tous ces aspects sous la lumière de l’éducation populaire? Cela signifierait qu’on ne peut pas laisser de coté la pédagogie, mais au contraire la mettre au centre de tous nos processus, pas seulement éducatifs, mais aussi d’organisation et de recherche.
Un passage de flambeau de Cuba pour le monde entier
Sans aucun doute, il y a encore beaucoup de chemin pour faire de l’agroécologie le nouveau paradigme de l’agriculture mondiale, en dépit de la reconnaissance publique de cette nécessité par l’ONU. Face à ce constat, les deux semaines passées avec l’ANAP à Cuba laissent autant d’enseignements que de questions pour LVC. Comment appliquer Campesino a Campesino à son contexte particulier, dans des pays dominés par le néo-libéralisme? Comment forcer les différents niveaux de gouvernements à adopter notre définition de l’agroécologie, comme LVC est en train d’y parvenir avec la souveraineté alimentaire? Comment orienter les politiques publiques vers cet objectif majeur?
“Je m’en vais d’ici en pensant que la première chose que je dois faire après ce cours est de réunir mon organisation et sa direction, pour partager les connaissances, pour que eux aussi s’enthousiasment comme moi, pour commencer à mettre cela en pratique dans nos organisations de base.”, Nury Martinez Silva (FENSUAGRO-LVC, Colombie).
“Notre intention avec le IALA au Nicaragua est que, de la même façon qu’à Cuba, ce puisse être un lieu où les gens changent en tant qu’êtres humains, d’où ils puissent sortir renforcés tant techniquement que spirituellement”, Yorlis Luna Delgado (IALA Mésoamérique-LVC, Nicaragua)
¡Mondialisons la lutte, mondialisons l’agroécologie, mondialisons l’espoir!
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