Colombie : violations des Droits humains dans le cadre de la grève nationale
Ce qui était au départ un appel à protester contre une réforme fiscale régressive présentée par le gouvernement Duque, s’est rapidement transformé en une crise sociale déclenchée par la recrudescence de la violence, l’assassinat de leaders sociaux, le non-respect de l’Accord de Paix par le gouvernement, l’augmentation de la pauvreté, les conditions de travail précaires et les mesures adoptées par le gouvernement pour faire face à la crise générée par la pandémie.
La Colombie n’avait pas connu de grève nationale de l’ampleur et de l’intensité de celle du 28 avril depuis 1977. Les journées massives de mobilisation ont été durement réprimées par l’État, dont la violence s’est exprimée par le meurtre de 87 manifestant·es, 106 victimes de violences sexistes, 1 905 personnes blessées et 3 365 personnes détenues arbitrairement, selon les chiffres de la campagne « Defend Freedom ».
Au début du mois de mai, le Groupe de travail sur les disparitions forcées en Colombie a fait état de 471 personnes disparues dans le cadre de la grève nationale ; d’après ce premier rapport, plus de 80 personnes n’ont pas encore été retrouvées. Certaines des personnes disparues ont été retrouvées assassinées ; le décès de deux personnes (de 17 et 24 ans) parmi les personnes portées disparues à Bogotá a été confirmé.
Pour faire face à l’agression de l’État, le mouvement social a déployé un contingent de défenseurs des droits humains afin d’accompagner les manifestant·es sur le plan des droits humains et de limiter les excès des agent·es de l’État. Cependant, ils et elles ont également été victimes de graves agressions, ce qui démontre le manque de formation aux droits humains du côté des forces de sécurité, ainsi que la diabolisation du travail de défense des droits humains et de l’exercice du droit de manifester.
Internet et les réseaux sociaux ont joué un rôle fondamental dans la diffusion des agressions commises par les agent·es de l’État. Des vidéos ont été enregistrées et diffusées dans lesquelles on voit des forces de sécurité attaquent des missions médicales, utiliser des armes létales et non conventionnelles, détenir arbitrairement des manifestant·es et mener des actions conjointes avec des civil·es armé·es, entre autres.
La répression violente de la protestation sociale a généré une grande indignation qui a mobilisé le soutien de la communauté internationale. Différents secteurs, tant au niveau national qu’international, ont commencé à demander la surveillance de certaines organisations internationales, telles que la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH). Dans un premier temps, le gouvernement a exprimé son refus d’autoriser la présence d’une commission de la CIDH, une position qui a dû être assouplie après des pressions extérieures et intérieures.
Du 8 au 10 juin, la CIDH a effectué une visite de travail en Colombie dans le but de vérifier les allégations de violations des droits humains commises dans le cadre de la Grève nationale. À la suite de sa visite, la Commission a présenté un rapport dans lequel elle a confirmé le caractère systématique des violations des droits humains commises par les agent·es de l’État, en particulier par la police : l’utilisation d’armes à feu, le recours excessif à la force, les agressions sexuelles, les mutilations et les atteintes à la liberté de la presse ont été confirmés.
La Commission a présenté un ensemble de 41 recommandations à l’État colombien concernant : le droit à la protestation sociale, l’usage excessif et disproportionné de la force, la violence sexiste, la discrimination ethnique et raciale, l’assistance militaire, la disparition de citoyen·nes, la violence contre les journalistes et les missions médicales, et les barrages routiers. Elle a également annoncé la mise en place d’un mécanisme spécial de suivi des droits de l’homme pour la Colombie, grâce auquel elle continuera à surveiller l’évolution des protestations sociales.
Le rapport n’a pas été bien accueilli par le gouvernement Duque. Le vice-président insiste pour ignorer les excès des forces de sécurité et affirme que les recommandations de la Commission « ne sont pas obligatoires », l’État n’est donc pas tenu de s’y conformer. Il rejette également l’installation du mécanisme de suivi.
À l’heure actuelle, 165 manifestant·es ont été poursuivi·es1 pour des délits tels que : obstruction des voies publiques affectant l’ordre public, atteinte à la propriété d’autrui, violence contre fonctionnaires, terrorisme ou association de malfaiteurs, entre autres. Il existe plusieurs cas de personnes poursuivies pour avoir simplement transmis des manifestations en direct sur les réseaux sociaux.
Depuis novembre 2019, la Colombie connaît un important cycle de protestations. L’apparition de la pandémie a provoqué une pause dans les journées de mobilisation qui se déroulaient depuis le 21N (la série de protestations commencée le 21 novembre 2019), mais qui ont repris depuis octobre dernier. Il est urgent d’exiger du gouvernement qu’il se conforme aux recommandations formulées par la CIDH afin d’empêcher de futures violations des droits de l’homme par des agents de l’État dans le cadre de la mobilisation sociale.
1 Contagio Radio. “Jóvenes de la Primera Línea son presos políticos”, sénateur Gustavo Petro. Voir: https://360radio.com.co/jovenes-de-la-primera-linea-son-presos-politicos/
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