Un accord de paix qui ignore les approches différentielles
Les rapports de diverses entités qui surveillent le processus de paix conviennent que l’état d’avancement de la mise en œuvre de l’intégralité de l’Accord est limité au développement législatif des engagements, il y a peu de progrès dans la concrétisation effective des paris transformateurs de l’Accord. L’implémentation des chapitres sur le genre et l’ethnie, à ce jour, suit la même logique et seulement les avancements en matière normative et énonciative sont présentés, mais aucun progrès n’a pas été fait dans l’élaboration de politiques contenant des actions concrètes.
Le point 1, Réforme rurale globale, envisage 25 mesures de genre, dont seulement 2 ont été mises en œuvre, 16 montrent des progrès partiels et 7 ne montrent aucun progrès. Les 2 mesures qui ont été déjà implémentées sont: i. La participation à la formulation des Programmes de Développement avec une Approche Territoriale (en espagnol Programas de Desarrollo con Enfoque Territorial, PDET) et ii. Une ligne de crédit spéciale avec des subventions à long terme pour l’achat de terres offrant des mesures spéciales pour les femmes paysannes.
Bien qu’il y ait une volonté politique pour ce que les femmes puissent participer aux scénarios de formulation du PDET, il est important de noter qu’il n’y a pas une participation effective, au sens d’avoir les informations pertinentes pour atteindre les espaces avec un regard profond de leurs territoires. Dans le même sens, les organisations sociales dénoncent que les piliers de la mise en œuvre de la RRI[1], autour desquels doivent s’articuler les processus de planification participative du PDET, ne permettent pas une intégration stratégique et transversale en matière environnementale, de genre, ethnique et rurale. De nombreuses organisations ont signalé que la participation des femmes à chacun des piliers était limitée car, à l’avis des facilitateurs, les piliers ne traitaient pas exclusivement des femmes, de sorte qu’elles ont été laissées à leur compte pour faire de brèves propositions qui n’étaient pas intégrées transversalement.
Il faut reconnaître que la population LGBTI n’est pas prise en compte ni dans les indicateurs ou statistiques des entités compétentes, ni dans le Plan Cadre d’Implémentation (en espagnol : Plan Marco de Implementación, PMI) ; ils n’ont pas compté non plus avec des mesures positives spécifiques pour garantir leur accès aux dispositions du RRI.
Le PMI établit 13 indicateurs axés sur le genre dans le Plan National Intégral pour la Substitution des Cultures Illicites (en espagnol : Plan Nacional Integral de Sustitución de Cultivos de Uso Ilícito PNIS). Le principal avancement est la construction du Protocole pour l’incorporation de l’approche genre dans le PNIS, dont l’impact dépendra des étapes pour la reconnaissance de cette approche à sa matérialisation effective avec des actions positives concrètes ayant des effets sur la réduction des écarts pour les femmes cultivatrices, et ainsi garantir la participation des personnes LGBTI et des femmes appartenant à des communautés ethniques[2].
L’Accord Final comprenait également l’engagement à intégrer l’approche ethnique dans le processus de mise en œuvre; cependant, il est pratiquement méconnu. Les plans nationaux du RRI n’ont pas été convenus avec les communautés ethniques, un Programme de réincorporation et d’harmonisation n’a pas encore été conçu pour fournir des conditions différentielles à la population ethnique, le PNIS n’a pas de composante spéciale pour servir aux peuples ethniques et ils n’en ont pas non plus été bénéficiaires des mesures pour l’accès à la terre.
Seul le respect de l’engagement de création de l’Instance Spéciale de Haut Niveau avec les Peuples Ethniques (en espagnol : Instancia Especial de Alto Nivel con Pueblos Étnicos IEANPE) est vérifié, celle-ci a pour fonction de servir d’organe de conseil et d’interlocuteur de premier ordre devant le CSIVI[3]. L’instance a été créée en 2017, mais n’a pas pu fonctionner faute de financement; ce n’est que jusqu’en 2020 que des ressources ont été allouées à son fonctionnement.
Dans les exercices participatifs pour la construction des PDET, une tentative a été faite pour incorporer l’approche ethnique, mais ce processus n’a pas eu du succès. Selon le Centre pour la Pensée Politique et le Dialogue[4], les principales lacunes présentées par les exercices de construction du PDET étaient:
- Imposer une logique municipale n’étant pas en harmonie avec la logique territoriale ethnique. La standardisation de tous les territoires selon une conception municipale a brouillé la territorialisation des peuples ethniques.
- Organiser des initiatives citoyennes ethniques dans le cadre de piliers conceptuellement éloignés des visions du développement des communautés.
- Ne pas articuler les exercices de planification précédents réalisés par les peuples eux-mêmes, tels que les plans de vie ou les plans d’ethno-développement, avec les initiatives de PDET.
- La marginalité des initiatives ethniques dans la phase sous régionale. Les initiatives ethniques au stade sous régional étaient marginales par rapport au reste des initiatives, ce qui est très évident dans le pilier d’infrastructure et d’adéquation des terres.
- Faiblesses dans la caractérisation des peuples et des communautés ethniques dans chacune des sous-régions.
- Ni les routes, n’étant pas incorporées, ni les délais de mise en œuvre ont été définis, même pas un cadre budgétaire de conformité.
Malgré les 4 années qui se sont écoulées depuis la signature d’un accord de paix comprenant un chapitre ethnique, des graves violations des droits humains persistent sur les territoires des communautés ethniques: à ce jour, 249 chefs autochtones ont été assassinés, les massacres se poursuivent, l’affrontement armé a provoqué le déplacement forcé de 7000 indigènes dans différentes régions du pays, 4 000 enfants sont morts de malnutrition, le recrutement forcé dans les territoires indigènes a augmenté de 117% dans le cadre de la pandémie, et seulement dans le Chocó il y a 10 000 indigènes en détention et les filles et femmes indigènes continuent d’être victimes de violences sexuelles de la part de membres de l’armée nationale.
Imagen de origen: Camila Pereira
[1] Les 8 piliers sont: i. L’organisation sociale de la propriété foncière rurale et de l’utilisation des terres; ii. Infrastructure et adaptation des terres; iii. Santé; iv. Éducation rurale et petite enfance; v. Logement rural, eau potable et assainissement de base rural; vi. Relance économique et production agricole; vii. Système de garantie progressive du droit à l’alimentation; et viii. Réconciliation, coexistence et consolidation de la paix.
[2] Secretaría Técnica del Componente Internacional de Verificación (2020). Cuarto informe de verificación de la implementación del enfoque de género en el Acuerdo Final de Paz en Colombia.
[3] Comisión de seguimiento, impulso y verificación a la implementación del acuerdo de paz – CSIVI, en français : Commission chargée de suivre, promouvoir et vérifier la mise en œuvre de l’Accord de Paix.
[4] Centro de Pensamiento y diálogo político – CEPDIPO (2020). Documento de trabajo 22 Una perspectiva territorial de la implementación sin reconocimiento y garantías del enfoque étnico.