Traité contraignant : inclure toutes les entreprises, une manœuvre problématique des multinationales
La Campagne mondiale pour revendiquer la souveraineté des peuples, démanteler le pouvoir des entreprises et mettre fin à l’impunité (également connue sous le nom de Campagne mondiale) a publié un document de position sur les efforts des lobbies des multinationales pour élargir le champ du futur Instrument juridiquement contraignant (IJC) concernant les entreprises transnationales et les droits humains.
Le document soutient que l’expansion proposée pour inclure “toutes les entreprises”—y compris les entreprises d’État sans caractère transnational—minerait gravement l’efficacité du futur instrument, permettant aux entreprises transnationales (ETN) de détourner leurs responsabilités et d’éviter les responsabilités transfrontalières. Il ne devrait pas être surprenant que les principaux acteurs poussant pour cette expansion du champ soient les secteurs des multinationales, les gouvernements du Nord global et certains pays du Sud global alignés sur les positions du Nord global.
Il est important de noter que la résolution 26/9 de l’ONU, adoptée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU en 2014, a appelé à l’”élaboration d’un instrument international juridiquement contraignant sur les entreprises transnationales et autres entreprises commerciales en ce qui concerne les droits humains.” Cette résolution a mandaté la création d’un Groupe de travail intergouvernemental ouvert, chargé de se réunir annuellement pour rédiger une proposition.
La référence aux “autres entreprises commerciales” dans la résolution 26/9 est clarifiée dans une note de bas de page, qui définit ces entreprises comme celles ayant un caractère transnational dans leurs activités opérationnelles, excluant les entreprises locales enregistrées selon la législation nationale pertinente. Ainsi, les “autres entreprises commerciales” désignent les composants des chaînes mondiales de valeur et de production contrôlées par les ETN, excluant spécifiquement les entreprises opérant exclusivement dans les frontières nationales et ne faisant pas partie de ces chaînes.
Cependant, à la grande frustration des gouvernements du Sud global, en 2019, la présidence du Groupe de travail intergouvernemental a présenté un projet révisé du traité, élargissant de manière inattendue et arbitraire son champ d’application pour inclure toutes les entreprises commerciales—les entreprises d’État (EE) et les petites et moyennes entreprises (PME) sans caractéristiques transnationales ni activités transfrontalières. En mars 2023, la présidence a même tenté de stopper toutes les discussions, ignorant une fois de plus le caractère démocratique du processus.
Pourquoi l’élargissement du champ serait-il problématique ?
Le document de position soutient qu’élargir le champ de l’instrument juridiquement contraignant pour inclure “toutes les entreprises commerciales” ou “toutes les entreprises et toutes les activités commerciales” est une stratégie clé utilisée par les lobbies des multinationales pour éviter d’être tenus responsables des violations des droits humains.
Cette expansion permet aux entreprises de mettre en place une stratégie double :
- Le futur instrument ne se concentrerait pas sur la responsabilité transfrontalière, affaiblissant ainsi ses dispositions et permettant de réguler tous types de structures d’entreprises, y compris celles qui ne sont pas transnationales.
- La responsabilité continuerait d’être transférée aux maillons les plus petits et les plus faibles des chaînes mondiales de valeur et de production, typiquement les PME ou les entreprises locales.
Ironiquement, ces mêmes acteurs qui plaident pour l’élargissement du champ sont souvent ceux qui s’opposent à des régulations similaires au niveau national ou régional.
En assimilant les entreprises transnationales à des entités qui n’ont pas de caractère transnational—comme les PME locales ou les entreprises d’État opérant uniquement dans leurs frontières nationales—l’implémentation de l’instrument rencontrerait d’importantes difficultés techniques. Les obligations, les lignes directrices et les mécanismes de mise en œuvre seraient inefficaces si elles étaient appliquées à des millions d’entreprises à travers le monde, des ETN aux PME et même aux coopératives paysannes locales.
Il est important de clarifier que ces arguments ne suggèrent pas que les PME ou les entreprises d’État opérant exclusivement au niveau national ne peuvent pas violer les droits humains impunément. Lorsque des violations surviennent dans le cadre des activités domestiques de telles entreprises (celles qui ne font pas partie de la chaîne de valeur d’une ETN), elles doivent être traitées sous la législation nationale. Les États ont l’autorité de réguler les entreprises opérant uniquement sur leur territoire, tandis que les ETN exploitent leurs structures complexes pour éviter les régulations nationales.
Les ETN opèrent à une échelle de plus en plus décentralisée et fragmentée, avec des chaînes mondiales de valeur et de production réparties sur plusieurs pays. On estime que 80 % du commerce international se déroule au sein de ces chaînes, un processus connu sous le nom de “dé-territorialisation”. Ce phénomène représente un défi majeur pour la gouvernance mondiale, les systèmes économiques étant de plus en plus fragmentés et contrôlés par les ETN. De plus, ces chaînes mondiales sont souvent opaques, et les relations commerciales sont difficiles à retracer.
Les entreprises mères et les holdings sont généralement domiciliés dans des pays “développés”. Lorsqu’une violation se produit dans un “pays en développement” le long des chaînes mondiales de valeur, ces entreprises réussissent souvent à éviter les systèmes juridiques nationaux. Les accords bilatéraux, les cadres réglementaires faibles, le manque de transparence et l’absence de ressources (par exemple, représentation légale, soutien financier) pour les communautés affectées rendent difficile pour celles-ci d’accéder à la justice via les tribunaux nationaux.
Les ETN ne fonctionnent pas comme une entité juridique unique. Leur structure est extrêmement complexe, avec de nombreuses filiales et sous-traitants enregistrés dans différentes juridictions à travers le monde. Les systèmes juridiques nationaux, en général, ne sont pas équipés pour traiter ces problèmes transnationaux, et il n’existe actuellement aucun mécanisme international spécifiquement conçu pour gérer les réclamations juridiques ou exécuter des jugements concernant des activités d’entreprises dans des pays tiers.
C’est pourquoi les mouvements sociaux ont appelé à la création d’un instrument juridiquement contraignant spécifique capable de traiter les violations des droits humains commises par les ETN. Par des stratégies de lobbying et de manipulation, les intérêts des multinationales tentent de faire échouer ce processus. L’élargissement du champ de l’instrument est une tactique parmi d’autres pour submerger et miner l’efficacité de ce futur instrument.
Cet article est extrait du document lui-même. Cependant, pour une compréhension complète de la question, nous vous recommandons vivement de lire la version intégrale.
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