Souveraineté alimentaire : 5 étapes pour refroidir la planète et nourrir sa population
1. Prendre soin des sols. L’équation alimentation/climat plonge ses racines dans la terre. Le développement de pratiques agricoles non durables au cours du siècle dernier a conduit à la destruction de 30 à 75 % de la matière organique sur les terres arables, et 50 % de la matière organique sur les pâturages et les prairies. Cette perte massive de matière organique est responsable de 25 à 40 % de l’excédent actuel de CO2 dans l’atmosphère de la terre. Mais la bonne nouvelle est que le CO2 que nous avons envoyé dans l’atmosphère peut être remis dans le sol, tout simplement en rétablissant les pratiques que les petits agriculteurs mettent en œuvre depuis des générations. Si des politiques et des mesures incitatives adaptées étaient mises en place dans le monde entier, les teneurs en matière organique des sols pourraient être rétablies aux niveaux de l’agriculture préindustrielle dans un délai de 50 ans, soit à peu près le temps que l’agriculture industrielle a pris pour les réduire. Cela permettrait d’éliminer entre 24 et 30 % du total des émissions mondiales actuelles de gaz à effet de serre.
2. Une agriculture naturelle, sans produits chimiques. L’utilisation des produits chimiques dans les exploitations industrielles est en perpétuelle augmentation, (au fur et) à mesure que les sols s’appauvrissent et que les ravageurs et les mauvaises herbes deviennent résistants aux insecticides et aux herb icides. Les petits agriculteurs du monde entier, cependant, disposent encore des connaissances et de la diversité des cultures et des élevages nécessaire pour assurer une culture productive sans l’utilisation de produits chimiques, en diversifiant les systèmes de culture, en combinant production végétale et animale, et en intégrant des arbres et une végétation sauvage. Ces pratiques améliorent le potentiel productif des terres parce qu’elles améliorent la fertilité des sols et empêchent leur érosion. Chaque année, de la matière organique s’accumule dans le sol, ce qui permet de produire de plus en plus de denrées alimentaires.
3 Réduire les « kilomètres alimentaires », et privilégier les aliments frais. La logique d’entreprise qui se traduit par des transports de denrées alimentaires autour du monde dans les deux sens, n’a pas de sens du point de vue de l’environnement, ni d’aucun autre point de vue d’ailleurs. Le commerce mondial des produits alimentaires, qu’il s’agisse du défrichage de vastes étendues de terres et de forêts pour produire des produits agricoles ou des aliments surgelés vendus dans les supermarchés, est le principal responsable de la contribution disproportionnée du système alimentaire aux émissions de GES. Une grande partie des émissions de GES du système alimentaire peut être éliminée si la production alimentaire est réorientée vers les marchés locaux et les aliments frais, en tournant le dos aux viandes bon marché et aux aliments transformés. Mais la bataille pour y parvenir est probablement la plus difficile, tant les grandes entreprises et les gouvernements sont profondément déterminés à développer le commerce des produits agro-alimentaires.
4. Rendre la terre aux agriculteurs et arrêter les méga-plantations. Au cours des 50 dernières années, quatre cultures principalement pratiquées dans de grandes plantations (soja, huile de palme, colza et canne à sucre) ont envahi une énorme superficie de 140 millions d’hectares, la taille de la presque totalité des terres agricoles en Inde. La superficie occupée au niveau mondial par ces quatre cultures industrielles et quelques a utres, toutes bien connues pour leurs émissions de gaz à effet de serre, est appelée à poursuivre sa croissance si les politiques ne changent pas. Aujourd’hui, les petits agriculteurs sont confinés dans moins d’un quart des terres agricoles mondiales, mais ils continuent à produire la plus grande partie de l’alimentation dans le monde : 80 % des denrées alimentaire dans les pays non industrialisés, selon la FAO. Les petits agriculteurs produisent ces denrées alimentaires beaucoup plus efficacement que les grandes plantations, et par des moyens qui sont meilleurs pour la planète. Une redistribution des terres dans le monde entier au profit des petits agriculteurs, combinée à des politiques destinées à les aider à rétablir la fertilité des sols et à soutenir les marchés locaux, peut permettre de réduire de moitié les émissions de GES en quelques décennies.
5. Oublier les fausses solutions, se concentrer sur ce qui fonctionne. Il est de plus en plus largement reconnu que l’alimentation est au cœur du changement climatique. Les derniers rapports du GIEC et les plus récents sommets internationaux ont reconnu que l’alimentation et l’agriculture sont les principaux facteurs d’émissions de GES et que le changement climatique pose d’énormes défis à notre capacité de nourrir une population mondiale croissante. Pourtant, aucune volonté politique n’est venue remettre en cause le modèle dominant de la production alimentaire industrielle et de sa distribution. Au lieu de cela, les gouvernements et les grandes entreprises proposent un certain nombre de fausses solutions. Il y a par exemple la coquille vide de l « ‘Agriculture intelligente face au climat », qui est pour l’essentiel un nouveau nom pour la Révolution verte. Il y a aussi de nouvelles technologies à risque, comme des cultures d’organismes génétiquement modifiés pour résister à la sécheresse ou des projets de géo-ingénierie à grande échelle. Il y a encore des objectifs sur la part des biocarburants, qui entraînent un accaparement des terres dans les pays du Sud. Et il y a enfin des marchés du carbone et des projets REDD +, qui permettent essentiellement aux pires émetteurs de GES d’éviter de réduire leurs émissions en transformant les forêts et les terres agricoles des paysans et des peuples indigènes en parcs de conservation et en plantations. Aucune de ces « solutions » ne peut fonctionner parce que toutes vont à l’encontre de la seule solution efficace : le passage d’un système alimentaire industriel mondialisé soumis au pouvoir des grandes sociétés à des systèmes alimentaires locaux aux mains de petits agriculteurs.
Graphiques : Raúl Fernández