“Sortons l’agriculture de l’OMC” – Lee Kyung Hae | Reproduire sa lettre de 2003
Pour rendre hommage à Lee, le mieux est de le laisser raconter sa propre histoire, extraite d’une déclaration qu’il a distribuée à Genève, puis quelques minutes avant sa mort à Cancun :
J’ai 56 ans et suis agriculteur en Corée du Sud. J’ai tenté de résoudre les problèmes auxquels nous faisons face, dans l’espoir d’organiser les syndicats d’agriculteurs. Mais j’ai échoué, comme tant d’autres agriculteurs ont échoué ailleurs.
Peu de temps après la signature de l’accord du cycle d’Uruguay, nous, agriculteurs sud-coréens, avons compris que notre propre destin n’était plus entre nos mains. Il semble impossible d’arrêter les vagues qui ont détruit notre existence, là où nous étions installés depuis des centaines d’années. Pour me donner du courage, j’ai tenté de trouver la vraie raison et la force qui se cache derrière ces vagues. Et j’arrive à la conclusion de mes recherches, ici, devant les portes de l’OMC. Je crie ces mots qui ont si longtemps bouilli en moi :
Je demande : pour qui négociez-vous à présent ? Pour le peuple, ou pour vous-mêmes ?
Cessez de vous appuyer sur une logique erronée et un simple théâtre diplomatique pour vos négociations OMC. Retirez l’agriculture du système OMC.
Depuis les importations de masse, nous, les petits paysans, n’avons jamais été payés au-delà de nos coûts de production. Quelle serait votre réaction si votre salaire était divisé par deux sans que vous puissiez en comprendre les raisons ?
Les agriculteurs qui ont renoncé les premiers se sont installés dans des bidonvilles urbains. Ceux qui ont tenté d’échapper à ce cercle vicieux n’ont connu que la faillite en raison des dettes accumulées. En ce qui me concerne, je n’ai pu que regarder impuissant ces maisons vides tomber en ruine. Une fois, je me suis rendu chez un agriculteur qui s’était donné la mort en ingurgitant un produit toxique parce qu’il ne pouvait plus faire face à ses dettes. Je n’ai pu qu’écouter les hurlements de sa femme. Si vous aviez été à ma place, comment vous seriez-vous sentis ?
De grandes routes goudronnées mènent à des appartements, des immeubles et des usines en Corée. Ces terres à présent construites accueillaient autrefois des rizières aménagées par des générations sur des milliers d’années. À l’époque, elles fournissaient la nourriture et les matériaux nécessaires au quotidien. Aujourd’hui, les fonctions écologiques et hydrologiques de ces rizières sont d’autant plus vitales. Qui protègera notre vie rurale, nos traditions, nos installations et notre environnement ?
Je crois que la situation des agriculteurs est la même dans de nombreux autres pays en développement. Nous partageons ce problème des déchets, des augmentations d’impôts, de l’explosion des importations, du manque de financements publics et de la surpopulation. La mise en place de barrières douanières serait une solution pratique.
Je me suis tant inquiété de voir à la télévision et dans les informations que la faim est un problème majeur dans de nombreux pays moins développés, et ce malgré le fait que le prix international des céréales soit si bas. Pour se nourrir, ils ne devraient pas avoir besoin de gagner de l’argent grâce au commerce. Ce qu’il leur faut, c’est un accès à des terres et à l’eau. De l’aide humanitaire ? Non ! Donnons-leur la possibilité de travailler !
Je lance un avertissement à tous les citoyens : l’espèce humaine est en danger. De grands groupes multinationaux et une poignée de membres importants de l’OMC mènent une mondialisation indésirable et inhumaine, désastreuse pour l’environnement, meurtrière pour les agriculteurs et tout sauf démocratique. Il faut y mettre fin immédiatement. Sinon, la fausse logique du néolibéralisme effacera toute la diversité de l’agriculture mondiale et sera catastrophique pour tous les êtres humains.
Source : http://www.countercurrents.org/glo-carlsen160903.htm