Recherche Agricole et GFAR
Pour une recherche conduite par les agriculteurs et un vrai dialogue au sein du GFAR
À l’occasion du Forum du GFAR (Forum Global sur la recherche agricole) qui s’est tenu du 21 au 23 mai à Dresde (Allemagne), Via Campesina fait part de ses propositions concernant l’élaboration d’un concept de recherche agricole conduite par les agriculteurs, et l’instauration d’un dialogue véritable et objectif entre les parties prenantes. Le GFAR semble être inapproprié dans sa forme actuelle, ayant réduit son idée initiale de dialogue ouvert sur l’agriculture et la production alimentaire à un simple débat sur les aspects techniques de la recherche agricole, et exerçant une pression pour parvenir à un consensus artificiel.
Le GFAR n’a pas encore acquis une vision globale. Via Campesina revendique un dialogue ouvert sur toutes les questions importantes ayant trait à l’agriculture. Une vision globale doit refléter les besoins, préoccupations et intérêts des petits exploitants du monde entier, et non se contenter de légitimer les nouveaux progrès agricoles en matière de génie génétique et de brevets.
La recherche agricole dans les mains de l’agro-industrie La recherche est de plus en plus éloignée des réalités des agriculteurs : pratiquée dans les laboratoires, de fait elle les exclut. De manière générale, la recherche est centrée sur l’augmentation de la production, la création de variétés moins dépendantes du climat et le développement d’espèces résistant aux pesticides et désherbants. Pour les agriculteurs, cela signifie une utilisation accrue d’intrants et une plus grande dépendance vis-à-vis de la technologie importée, pour le seul bénéfice de l’industrie.
Les programmes de recherche sont de plus en plus influencés et régis par les intérêts de l’agro-industrie. Les recherches indépendantes et publiques sont très rares. L’aide publique s’amenuise et le financement privé influence la nature de la recherche publique. Un exemple concret de cette tendance est l’énormité des sommes allouées au génie génétique et aux cultures d’exportation alors que le développement de méthodes de production à faible utilisation d’intrants ou de l’agriculture écologique est délaissé. Aujourd’hui, la recherche agricole est avant tout destinée à élargir l’espace de propriété et de contrôle de l’agroindustrie. La mise au point de variétés hybrides de riz et de maïs ainsi que de gènes morts (Terminator) en est la preuve.
Non au brevetage de la vie L’une des plus grandes difficultés réside dans la gestion durable des ressources génétiques, qui sont le patrimoine de l’humanité. L’imposition actuelle du concept d’appropriation privée de ces ressources et la destruction de la biodiversité qui en résulte sont inacceptables. La biodiversité est le fait des agriculteurs et des populations ; la protection et l’accessibilité de ces ressources constituent un droit fondamental de la communauté. Le brevetage des végétaux et des organismes vivants doit être interdit. L’IRRI et le CIMMYT ont récemment annoncé leur souhait de breveter leurs recherches afin de garantir un accès libre aux fruits de leurs travaux et d’éviter ainsi leur appropriation par l’industrie. Or le but du brevetage est justement de limiter cet accès. Les programmes de recherche doivent viser à améliorer la culture et la sauvegarde des ressources génétiques plutôt qu’à favoriser leur destruction. C’est pourquoi Via Campesina est totalement solidaire des actions entreprises par KMP et les ONG des Philippines en opposition à l’approche de l’IRRI, laquelle a entraîné la destruction de variétés de riz en Asie et la fin de l’agriculture page 2?paysanne durable.
Les technologies génétiques nuisent à l’agriculture paysanne durable Via Campesina juge que les programmes de recherche de nombreux pays ainsi que des centres internationaux tels que l’IRRI et le CIMMYT sont conçus pour imposer le génie génétique à la communauté agricole. En établissant des partenariats avec le secteur privé, le CGIAR cherche à trouver des fonds pour mettre en œuvre ce programme.
Le génie génétique va entraîner la destruction rapide de la biodiversité, des dégradations écologiques irréversibles, la baisse de la qualité et de la sécurité alimentaires, ainsi que la marginalisation accrue de millions d’agriculteurs. Cette technologie est néfaste pour les producteurs comme pour les consommateurs. Nous demandons au CGIAR, à l’IRRI, au CIMMYT et autres organismes de recherche de stopper leurs travaux sur le génie génétique. Nous encourageons vivement les centres de recherche à adopter des programmes participatifs conduisant à la gestion des ressources naturelles et génétiques par la communauté, ainsi qu’à une agriculture et une production alimentaire durables.
Pour une recherche agricole conduite par les agriculteurs La recherche agricole et le développement rural doivent être conduits par les agriculteurs. Ces derniers doivent être impliqués, au même titre que les centres de recherche, les organisations non gouvernementales et les organismes publics, dans le développement et la mise en œuvre des travaux de recherche. Des dispositifs doivent être mis en place pour permettre ces importants partenariats.
Concernant la vision du CGIAR, la proposition du Comité de conseil technique (TAC) insiste sur la nécessité d’agir pour réduire la pauvreté. Elle ne fait pas d’analyse critique des technologies de la Révolution verte, mais indique au contraire que cette dernière s’est avérée en général bénéfique. Or, toutes les variétés de riz à haut rendement (développées par l’IRRI) ont entraîné au fil des ans la hausse du coût des intrants, la baisse des rendements et la diminution de la biodiversité. Le TAC propose que la recherche bénéficie aux plus défavorisés. Mais les agriculteurs n’ont pas de vrai rôle à jouer dans la vision proposée. En vérité, du fait de la variété et de la complexité de leurs systèmes de production, les petits exploitants ont été définis comme étant un "problème", comme une catégorie nécessitant plus d’attention. Via Campesina considère au contraire que cette variété et cette complexité sont à la base d’une agriculture et d’une production alimentaire durables.
Selon Via Campesina, le GFAR peut intervenir utilement et activement pour orienter la recherche agricole vers une approche participative, mais une forte volonté et conviction politique est nécessaire pour que les principes suivants soient respectés : * La recherche agricole doit être conduite par les agriculteurs. Le GFAR devrait faciliter les débats sur les initiatives prises par les agriculteurs pour être impliqués dans des recherches indépendantes et participatives où ils définissent le programme des travaux. Il doit y avoir, au sein du GFAR, de la place pour les organisations paysannes et ONG travaillant dans les zones rurales. * Le GFAR – voire, mieux encore, le Forum mondial sur l’agriculture (GFA) – devrait aborder le large éventail de questions d’ordre agricole, social et culturel liées à la production alimentaire, et définies comme suit par les agriculteurs : accès à la terre, à l’eau et aux ressources génétiques, politiques commerciales et des revenus, éducation et formation, etc. * Le GFAR doit permettre un dialogue ouvert où les divergences peuvent être pleinement exprimées et discutées. L’élaboration d’une vision commune nécessite du temps et de la volonté. La précipitation en la matière conduit, comme nous l’avons vu, à masquer les conflits existants et éventuels concernant, par exemple, le génie génétique, le brevetage et l’accessibilité des ressources en général (terres, eau, crédits, etc.).
Une recherche fondée sur une agriculture paysanne durable Pour que les programmes de recherche promeuvent réellement une production alimentaire durable, il convient de réunir les conditions suivantes :
1) Il est important de faire en sorte que les résultats des recherches soient mis en oeuvre "in situ".
2) La recherche agricole ne doit pas être l’apanage des institutions universitaires. La contribution des agriculteurs eux-mêmes est importante et nécessaire. 3) L’accessibilité et le contrôle des crédits de recherche doivent être démocratisés.
4) Les agriculteurs doivent participer activement à l’établissement, la mise en oeuvre et l’évaluation des programmes de recherche. De nouvelles méthodes participatives doivent être introduites dans le domaine de la recherche. Une étape importante consiste à définir les problèmes dans un large cadre socio-économique, en incluant les agriculteurs et d’autres secteurs de la société. La recherche de solutions devrait également être une démarche collective. Nous n’acceptons pas l’imposition de solutions technologiques dictées par des intérêts privés.
5) Un effort devrait être fait au niveau des programmes de recherche pour mieux comprendre l’importance capitale du savoir des agriculteurs concernant les modèles de production traditionnels, l’intégration des exploitants dans l’écosystème et leur rôle dans l’entretien des ressources locales.
6) Les programmes de recherche doivent respecter et renforcer la dynamique locale et proposer des solutions qui seront définies et appliquées localement.
7) Le financement de ces programmes doit provenir de sources indépendantes et publiques. Les autorités nationales devraient y contribuer davantage, et les crédits doivent soutenir activement les modèles d’agriculture paysanne durable.
8) Le génie génétique nuit à l’agriculture et la production alimentaire durables. La recherche devrait avoir pour but de conserver, sauvegarder et favoriser la biodiversité, sur la base des connaissances ainsi que des pratiques de production locales et traditionnelles.
9) La communauté scientifique est aux commandes et peut jouer un grand rôle en répondant aux besoins des agriculteurs au lieu de servir les intérêts de l’agroindustrie.