Position des organisations membres de la Cloc Via Campesina Haïti à l’occasion des 15 et 16 octobre
Port-au-Prince 16 Octobre 2012
Nous, Tet Kole Ti Peyizan Ayisyen (TK), Mouvement Paysan National du Congrè de Papaye (MPNKP), Mouvement Paysan de Papaye (MPP), membres de la CLOC et La Vía Campesina International, nous nous sommes assis les 15 et 16 Octobre pour réfléchir sur ces deux dates importantes pour nos organisations, pour toutes les autres organisations paysannes d’Haïti et de la planète entière. Nos réflexions nous ont conduits à la prise de position suivante :
1 – SITUATION DES FEMMES PAYSANNES.
15 Octobre est la journée internationale des Femmes Paysannes. En Haïti, si les paysans et les paysannes représentent plus de 65% de la population, les Femmes paysannes comptent pour plus de 50%. Les femmes paysannes constituent les piliers, la colonne vertébrale de la société haïtienne.
Les Femmes paysannes, en plus de leur engagement dans la production des aliments, ce sont elles qui transportent, souvent sur leurs têtes, les produits agricoles aux marchés des villes. Les femmes des villes, non seulement qu’’elles cherchent à payer le moins possible pour les produits mais méprisent les femmes paysannes. Les femmes des villes considèrent les femmes paysannes comme des femmes inférieures.
Ce sont ces mêmes femmes paysannes qui achètent au prix fort les produits manufacturés importés par la bourgeoisie pour aller les vendre dans les mornes. Elles transportent ces produits sur leurs têtes, sous le soleil, la poussière et souvent la pluie dans des sentiers en mauvais état pour permettre à ces importateurs de s’enrichir et en même temps tuer l’agriculture paysanne, tuer les habitudes alimentaires des familles paysannes. Elles sont des esclaves qui travaillent pour que leurs maîtres s’enrichissent.
En plus de l’exploitation subie dans le processus de production et celle dont elles font l’objet en vendant des produits importés par des gens de la bourgeoisie commerciale, elles sont victimes de la violence faites aux femmes par des hommes et des institutions de la société. Elles ne jouissent pas de leurs droits à l’éducation, aux soins de santé, des infrastructures pour accoucher et prendre soins de leurs enfants. Elles ne jouissent pas leurs droits à une alimentation saine, un logement décent et aux loisirs. Bref, les femmes paysannes ne jouissent pas de leurs droits fondamentaux de VIVRE BIEN.
2 – LE PROBLÈME DE L’ALIMENTATION SUR LA PLANÈTE ET EN HAÏTI.
16 Octobre est la journée mondiale de l’alimentation. Nous avons choisi ce jour pour réfléchir sur la question de l’alimentation sur la planète, un véritable problème. Un problème qui se complique chaque jour davantage. En 2000, selon la FAO, il y avait 840 millions de personnes souffrant de la faim dans le monde. Dans les Objectifs du Millénaires de Développement de l’ONU, on parlait de la réduction de ce nombre de 50% en 2015. Aujourd’hui, on estime à 1.2 milliard le nombre de gens victimes de la faim. Mais on parle de 2 milliards de personnes qui n’ont pas assez à manger. La faim ravage les enfants qui devraient constituer l’avenir de l’humanité.
Les familles paysannes représentent plus ou moins 40% de la population mondiale. Elles produisent 80% des aliments consommés dans le monde. Pourtant, la majorité des gens qui souffre de la faim se trouvent dans le milieu paysan. C’est une situation anormale.
L’avenir de la production des aliments pour nourrir les habitants de la planète est en danger. Cet avenir est menacé par l’accaparement des terres pour la production des agro carburants pour alimenter les véhicules au détriment de l’alimentation humaine, par l’accaparement des terres pour plusieurs formes de commerce de carbone. Ce sont des fausses solutions contre la crise climatique. On accapare des terres pour l’exploitation minière, pour des mega projets touristiques, des barrages. On chasse les paysans sur leurs terres.
L’avenir de l’alimentation est menacé davantage par la politique néolibérale dans sa nouvelle forme ou phase dénommée : Economie verte. L’économie verte veut transformer la nature en marchandises au profit des multinationales notamment les multinationales de l’agrobusiness qui détruisent les sols, l’eau, l’air, la santé des gens à travers l’agriculture industrielle la principale responsable du réchauffement climatique.
L’agriculture industrielle ne pourra pas nourrir la planète car son objectif n’est pas l’alimentation des gens mais plutôt faire des profits au détriment même de la planète. Le rapporteur spécial de l’ONU pour l’alimentation, Mr Olivier de Shutter a clairement affirmé que c’est l’agro écologie, l’agriculture familiale qui peut résoudre le problème de la faim. L’agro écologie peut résoudre le problème de la faim ainsi que le problème du réchauffement climatique. L’ONU, prônera t- elle l’agro écologie ? La réponse est non parce que la FAO se laisse dominer par les multinationales agro toxiques.
3 – SITUATION DE L’ALIMENTATION EN HAÏTI.
La situation est gravement grave en Haïti. La dégradation des sols est catastrophique à cause de la coupe de 50 millions d’arbres par an notamment pour produire du charbon pour la cuisson des aliments dans les villes. Le pays a moins de 2% de forêts actuellement. L’érosion emporte vers la mer autour de 35 millions de mètres cubes de sol par an. La productivité des sols ne cesse de baisser.
Dans les années 70, Haïti était un pays souverain dans l’alimentation de sa population. On exportait beaucoup de produits. Aujourd’hui, nous ne produisons que 40% de nos aliments. 60% de notre alimentation est importé. Nous importons des produits empoisonnés qui nous apportent des maladies modernes que nos parents ne connaissaient point. Il n’existe aucun contrôle sur les produits importés. La population consomme des produits ayant de la matière fécale venant de la République dominicaine. On consomme certainement du maïs moulu transgénique venant des États-Unis.
Le gouvernement haïtien, au lieu de mettre une politique publique en place pour la souveraineté alimentaire, développe une politique d’importation du riz bénéficiant du dumping pour donner le coup de grace à la production du riz national. Le gouvernement achète des engrais et des pesticides chimiques pour distribuer sa clientèle politique, il donne des terres agricoles pour construire des zones franches, des concessions pour l’exploitation de la réserve d’or du pays. On parle de la concession des îles entières pour développer des méga projets touristiques, on parle de l’accaparement d’autres terres pour produire des agro carburants, pour faire des plantations de manguiers. On assiste à une recolonisation du pays. Certainement l’occupation militaire du pays est faite pour faciliter ce processus de recolonisation où, nous les paysans nous redeviendrons esclaves.
Le gouvernement parle de la production nationale, il parle de la lutte contre la faim mais il ne fait rien pour attaquer la faim dans sa racine. Il n’y a aucun dialogue avec les organisations paysannes qui font l’agro écologie. On trompe des gens avec un programme dénommé : A bas la faim. On donne quelques gourdes à des familles des bidonvilles. C’est la production des aliments qui peut combattre la faim dans ses racines. Ce sont les organisations paysannes qui peuvent faire de la production des aliments, qui peuvent refaire et protéger l’environnement du pays.
Cette année 2012, les paysannes et les paysans et tous les autres secteurs de la vie nationale ont senti davantage les conséquences du réchauffement climatique : Inondation, sécheresse, chaleur, tempête tropicale. La production agricole a échoué pour la première saison. Les paysans s’attendaient à une meilleure récolte pour la deuxième saison. Malheureusement, la tempête tropicale Isaac a détruit les plantations, tué les animaux, détruit et endommagé des maisons dans plusieurs départements du pays. La faim fait déjà rage dans la paysannerie.
Les prix des produits alimentaires commencent par monter au niveau national car la sécheresse a eu une dimension internationale qui a affecté la production agricole dans certaines régions du monde. Les spéculateurs vont certainement faire monter les prix. On peut s’attendre à des émeutes de la faim dans le pays. L’année 2013 sera une année de la faim en Haïti.
4 – QUE DOIT- ON FAIRE CONTRE LA FAIM GALOPANTE EN HAÏTI ?
A COURT TERME (OCTOBRE 2012 – AVRIL 2013) :
- Aider les familles paysannes à trouver toutes sortes de semences telles que : Epinard, aubergine, choux, tomate carotte, laitue etc. Les paysans ont besoin de ces semences maintenant à travers tout le pays pour semer.
- Aider les familles à trouver toute sortes de semences d’haricots à partir de décembre comme : haricots rouge, noir, pois du Congo, pois de souche ; des semences de maïs et de petit mil. Toutes ces semences doivent être des semences naturelles. Elles existent dans le pays.
- Mettre sur pied un programme d’agriculture urbaine dans les villes spécialement à Port-au-Prince.
- Aider les familles paysannes à trouver des drageons de bananes, des boutures de patate douce, de manioc, de canne à sucre, des tubercules d’ignames.
- Aider les familles à faire de l’élevage des animaux tels que : Chèvres poulets, lapins, poisons. Nous ne parlons pas des porcs à cause de la maladie Techen qui les tuent. Le Ministère de l’agriculture doit acheter des vaccins contre cette maladie qui attaque la banque des familles paysannes.
- Créer du travail dans le milieu paysan comme le curage des canaux d’irrigation, dans la réparation des routes agricoles, dans la conservation des bassins versants, dans la protection des berges des rivières, dans la création des systèmes d’eau potable .
- Commencer à mettre en place des pépinières dans toutes les sections communales pour atteindre une production de 100 000 plantules par section comme demandé par le MPP lors de son congrès de 35ème anniversaire. Toutes les organisations paysannes sont prêtes à travailler avec l’État pour reboiser le pays.
A MOYEN ET LONG TERME :
- Plusieurs des programmes dans le court terme doivent continuer tels que : La conservation des sols et le reboisement avec de meilleures structures.
- Mettre en place une reforme agraire intégrale qui permet aux familles paysannes d’avoir contrôle sur les terres agricoles. Elles doivent accès au crédit agricole avec un taux d’intérêt 0% ou presque. Elles doivent avoir à leur disposition des infrastructures d’irrigation, des intrants agricoles ( engrais, pesticides et semences naturelles, des outils aratoires), de l’assistance technique, des marchés pour vendre à des prix justes, de la protection pour les produits locaux contre le dumping, de l’assurance pour la production agricole, de l’assurance santé et de vie pour les familles paysannes.
- Consacrer 25% du budget national pour la production agricole, la réfection et la protection de l’environnement. Si le pays disparaît, tout le reste est inutile. L’argent prévu dans le budget pour l’agriculture ne doit pas être dépensé dans la République de Port-au-Prince. Il doit toucher la paysannerie.
- Mettre en place sans démagogie un plan d’aménagement du territoire, un plan de déconcentration et de décentralisation du pays.
- Mettre en place un programme de gestion intégrale de l’eau : système d’irrigation, forage de puits, lacs collinaires, citernes, adduction d’eau potable etc.
- Produire et planter selon des méthodes agro sylvicoles 100 000 plantules fruitières et forestières dans chaque section communale avec l’appui des organisations paysannes qui sont déjà engagées dans ce domaine.
- Relancer la production animale dans le pays. Cela devra commencer avec la vaccination contre la maladie qui tue les porcs actuellement, le Teschen. Le programme d’élevage doit être fait avec des aliments locaux pour produire, des œufs, du lait, de la viande selon des méthodes agro écologiques.
- Mettre en place un programme de protection des grands bassins versants du pays comme Bassin-Zim et beaucoup d’autres.
- Mettre en place des structures de transformation des déchets organiques des grandes villes pour produire des engrais naturels.
- Développer d’autres sources d’énergie pour la cuisson des aliments afin de diminuer la coupe des arbres pour fabriquer du charbon. Il faut développer des énergies durables avec du soleil, du vent, de l’eau sans attaquer l’environnement.
- Mettre en place des centres de recherches pour sélectionner et préserver des semences locales. Chaque commune doit avoir au moins un centre de conservation des semences locales qui doivent être prêtées aux paysans ou qui peuvent être vendues à des prix bas. Ces centres doivent être gérés par des organisations paysannes.
- Aider à monter des coopératives de production, de transformation et de commercialisation des produits agricoles. L’État doit garantir un marché pour ces coopératives en achetant les produits pour les cantines scolaires, les hopitaux, les orphelinats, les maisons de retraite des vieillards etc.
Ces programmes ou activités font partie de ce que nous pensons qui doit être fait pour attaquer les racines de la faim sans aucune démagogie. Ces actions ne doivent pas être menées avec des clans ou des clientèles politiques. Il faut une politique nationale pour la SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE.
A bas toute démagogie sur le problème de la faim ! A bas toute forme de maquillage de la faim !
A bas l’occupation !
Vivent les Femmes paysannes ! Vive l’agriculture paysanne ! Vive la décentralisation !
VIVE LA SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE !
Pour La CLOC – Vía Campesina Haïti : Rosenel Jean-Baptiste Rose Edith Raymonvil Chavannes Jean-Baptiste