L’Europe : L’articulation des femmes d’ECVC envoie une lettre ouverte à Hansen sur la position des femmes dans la Vision pour l’agriculture et l’alimentation

5 mars 2025 | Monsieur le Commissaire, Madame Gafo Gomez-Zamalloa
A l’occasion du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, l’Articulation des femmes de la Coordination Européenne Via Campesina (ECVC) souhaite réagir à la Vision pour l’agriculture et l’alimentation récemment publiée par la Commission européenne.
Pour la première fois, dans la PAC 2023-2027, l’égalité de genre et une participation accrue des femmes dans l’agriculture font parties des objectifs spécifiques de la PAC.
De tous temps, les femmes ont en effet joué un rôle essentiel dans le développement de systèmes agricoles résilients et en particulier ceux fondés sur des pratiques agroécologiques qui non seulement améliorent la production alimentaire mais en outre sont en harmonie avec la nature. Pourtant, les femmes actives dans le secteur agricole continuent d’être marginalisées et invisibilisées. Elles subissent de nombreuses formes de discriminations et font face à des obstacles systémiques, notamment concernant l’accès aux ressources, aux services publics et professionnels ou à la formation. Cela empêche leur pleine participation sur les plans économique et social au secteur, ainsi qu’aux organisations locales et aux espaces publics de prise de décisions. Enfin, les femmes sont affectées de manière disproportionnée par les problématiques centrales qui ont poussé les agriculteurs et agricultrices à prendre la rue l’année dernière.
Il est par conséquent grand temps de se donner les moyens d’atteindre l’égalité des genres. L’Articulation des femmes d’ECVC expose ci-après des mesures spécifiques et concrètes à intégrer dans la Vision pour l’agriculture et l’alimentation, afin de résoudre les inégalités existantes.
“Plateforme des femmes dans l’agriculture”
ECVC se félicite de l’annonce, dans la Vision, de la création d’une Plateforme des femmes dans l’agriculture visant à « renforcer la participation des femmes et à favoriser l’égalité des chances dans le secteur agricole. » Cela étant, La Commission européenne doit s’attaquer aux causes premières des difficultés rencontrées par les agriculteurs, qui touchent de manière disproportionnée les agricultrices. Il est crucial que les femmes, les jeunes et d’autres groups marginalisés de la population soient consultés de manière structurelle et systématique, et non de manière isolée ou purement symbolique. Les femmes doivent aussi bénéficier des conditions nécessaires pour participer pleinement à ces espaces politiques. Cela implique la prise en charge des coûts d’interprétation, des frais de déplacement, et des soins aux enfants, ces derniers restant une responsabilité genrée et constituant un frein particulièrement important à la participation des femmes.
Régulation du marché pour garantir des prix justes aux agriculteur·ices
La Commission européenne doit veiller à mettre en œuvre des régulations de marché garantissant que les prix payés aux agriculteur·ices couvrent adéquatement les coûts de production, y compris les cotisations de sécurité sociale et un salaire équitable pour les agriculteur·ices et les travailleur·euses agricoles. Cela devrait se faire par une procédure accélérée de modification de la directive sur les Pratiques commerciales déloyales et une révision du Règlement sur l’organisation commune des marchés. Ce point est particulièrement important pour les agricultrices car elles ne bénéficient pas, pour le moment, d’un accès équitable aux prestations de sécurité sociale en raison de facteurs tels que la prédominance masculine dans la propriété des exploitations, le manque de reconnaissance de leur travail dans les fermes familiales et le travail de soin non rémunéré qu’elles effectuent. Leur assurer un revenu décent est dès lors crucial.
Inclure une perspective genre intersectionnelle dans la PAC, les plans stratégiques nationaux et le budget de la PAC
Certaines annonces au sujet de la PAC, telles que le plafonnement et la dégressivité des subventions, ainsi que le soutien ciblé aux fermes en polyculture, aux fermes situées dans des zones soumises à contraintes naturelles, ainsi qu’aux jeunes et nouveaux agriculteurs. Il est toutefois impératif que la PAC fasse l’objet d’une révision et qu’y soit inclue une perspective de genre intersectionnelle, tant dans sa conception que dans sa mise en œuvre. Selon les données de la Commission européenne, les femmes gèrent environ 29 % des fermes de l’UE, lais ne reçoivent que 12% des subventions de la PAC (Cour des comptes européenne, 2019), tandis que les hommes en reçoivent 60%. Cette disparité souligne les inégalités structurelles dans l’accès au capital.
Cela s’explique en partie par le système actuel de subventions basé sur la superficie qui favorise les grandes exploitations agroindustrielles au détriment des petites fermes et/ ou agroécologiques. Ce système désavantage de manière directe les femmes car elles ont généralement de plus petites fermes que les hommes (6.4ha en moyenne, contre 14.4ha). Les subventions doivent servir à aider les petites et moyennes fermes, à encourager les pratiques agricoles diversifiées et prévoir un soutien spécifique pour les nouveaux entrants, en particulier les agricultrices qui font face à des obstacles systémiques comme un accès limité à la terre et aux crédits.
L’Union européenne et les états membres au niveau national doivent encourager une budgétisation sensible au genre pour le budget de la CAP et les plans nationaux stratégiques (PNSs). Les femmes dans l’agriculture rencontrent des défis importants dans l’accès aux ressources financières. Les normes budgétaires doivent tenir compte des réalités des fermes détenues et gérées par des femmes, et à forte main-d’œuvre féminine, qui fonctionnent souvent différemment des ferles tenues par des hommes.
En outre, dans les réformes à venir de la PAC, l’égalité de genre devrait être un objectif spécifique et se voir imposée comme obligatoire dans tous les Plans stratégiques nationaux de la PAC.
De l’accès à la terre
Nous prenons acte de la mise en place de l’Observatoire européen des terres agricoles, mais pour faciliter l’accès à la terre pour les femmes nous la collecte de données ventilées par sexe, et d’autres indicateurs agricoles clés afin de mieux suivre les disparités et informer des politiques dans ce sens.
Les inégalités d’accès aux terres sont profondément ancrées dans des schémas de succession et d’acquisition foncière inéquitables et genrés. De plus, les femmes dans l’agriculture assurent souvent un travail de préservation de la nature, telles que la conservation des semences et la préservation des sols. L’augmentation du prix des terres provoquée par la spéculation, alliée à celle d’autres coûts liés aux semences NTG brevetées et à des solutions digitales onéreuses, menace de pousser de plus en plus de femmes à quitter l’agriculture. C’est pourquoi, une directive européenne sur la terre doit être introduite pour faciliter l’accès à la terre au niveau de l’UE pour les femmes, les jeunes, les nouveaux entrants et les personnes sans terre.
Conditionnalité sociale
La conditionnalité sociale, avancée majeure de la dernière réforme de la PAC, devient obligatoire en 2025 pour tous les Etats membres de l’UE ; elle exige de tous les bénéficiaires de subventions de la PAC qu’ils respectent le droit social et du travail. Le respect des droits des travailleurs ruraux est essentiel pour les femmes, en particulier pour les travailleuses rurales migrantes, régulièrement exposées à des conditions de travail précaires et, dans certains cas, au harcèlement sur leur lieu de travail[1].
La clause de conditionnalité sociale ne s’applique pourtant pas aux fonds opérationnels par lesquels les secteurs des fruits et des légumes sont principalement subventionnés et grâce auxquels de nombreuses femmes et travailleuses migrant·es sont embauché·es[2]. La conditionnalité sociale doit absolument s’appliquer à tous les financements européens.
L’UE devrait par ailleurs évaluer de manière critique les Plans Nationaux Stratégiques devant permettre aux Etats membres de mettre cette conditionnalité sociale en œuvre, et prendre la responsabilité directe de sanctionner les bénéficiaires qui n’en respectent pas les dispositions. Un mécanisme de plainte devrait permettre aux syndicats et aux travailleur·euses concerné·es de signaler les infractions (voir la publication d’ECVC à ce sujet[3]).
L’Articulation des femmes d’ECVC s’attèle à defender les droits des paysannes et travailleuses agricoles ; elle continuera d’œuvrer en faveur de l’égalité des genres et de politiques agricoles et rurales équitables, dans le respect de l’esprit de l’article 4 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales, portant sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des paysannes et des autres femmes travaillant en milieu rural.
Au nom de l’articulation des femmes de ECVC
Alessandra Turco, ECVC Coordination Committee
Supported by:
Agroecology and Food Systems Chair (UVIC-UCC)
Centro Internazionale Crocevia
Friends of the Earth Europe
OXFAM Solidariteit.
Cette publication est également disponible en Español.