Les organisations paysannes passent à l’offensive
C’est le moins que l’on puisse constater, après la tenue, à Maputo (du 19 au 23 Octobre 2008) de la 5ème conférence internationale de la Via Campesina , qui a enregistré la participation de plus de 550 personnes, dont 325 délégués et déléguées venant de 57 pays et de tous les continents : Afrique, Asie, Amérique, Europe.
Souligner également que 41 nouvelles organisations ont adhéré au mouvement. Ainsi, comme pour transformer leurs dénonciations en acte, les paysans, ont, dans une déclaration, souligné leurs stratégies de résistance face aux multinationales.
En effet, selon les organisations paysannes membres de la Via Campesina , les multinationales sont l’un de leurs adversaires-clé. Chaque fois plus agressives, elles sont les forces directives qui se trouvent derrière la destruction de l’agriculture paysanne. Aussi, cherchent-elles à s’enrichir au moyen de l’usurpation des terres, des brévets de semences, des OGM et de la privatisation de l’eau.
A entendre les dizaines d’organisations paysannes qui la composent, la Via Campesina est devenue l’ennemi principal des multinationales, pour l’enrichissement illicite. Elles ont fait savoir que l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI) continuent à être leurs opposants. Aussi, les organisations paysannes doivent maintenir la pression, bien que leur rôle soit réduit, ont-elles ajouté..
Cependant, afin de se renforcer et gagner ses luttes contre les multinationales, la Via Campesina a non seulement adopté une stratégie globale, mais aussi lancé une campagne globale pour la reconnaissance de la convention internationale des droits des paysans.
Quelques stratégies de lutte de la Via Campesina
Il convient d’abord de rappeler les principales luttes, actions et activités menées par la Via Campesina , depuis sa IVème conférence internationale qui a eu lieu à Itaici, au Brésil, en Juin 2004.. Ainsi, en 2005, le mouvement a été très présent lors de la journée de lutte face au sommet de l’OMC à Hong Kong, participant ainsi à la plus récente des actions continues qui ont permis, aux mouvements sociaux, de paralyser les négociations, lors des sommets de l’OMC, depuis Seattle (USA) en 1999.
En 2007, avec ses principaux alliés,le mouvement a organisé le Forum International sur la Souveraineté Alimentaire “Nyeleni” au Mali. Ce forum, qui a vu la participation d’environ 500 délégués des plus importants mouvements sociaux du monde, fut un moment crucial de la construction d’un grand mouvement mondial pour la sauveraineté alimentaire.
Au travers de sa Campagne Mondiale pour la Réforme Agraire , pour l’expression de ses luttes pour la terre et la défense du territoire, la Via Campesina a co-organisé le Forum Mondial de la Réforme Agraire à Valence, en Espagne, en 2004. Et en 2006, elle a organisé la Réunion Internationale des Sans Terre à Porto Alegre, au Brésil, avant la Conférence Internationale sur la Réforme Agraire et le Devéloppement Rural (CIRADR) de la FAO.
Le mouvement a participé aux mobilisations des femmes du Brésil contre le désert vert de l’eucalyptus de la multinationale Aracruz le 8 Mars. Et lors du forum parallèle, il a obtenu de grandes avancées sur les positions des gouvernements. En 2005, la Via Campesina a organisé le Séminaire International sur les Semences, avec le thème “Libérons la diversité”, comme un volet de sa lutte globale en faveur des semences paysannes et contre les OGM et la technologie dite “Terminator“.
La Via Campesina du Brésil a organisé des mobilisations durant la Conférence Internationale de la Convention sur la Diversité Biologique en Mars 2006 à Curitiba. Sur ces mêmes thèmes, le mouvement a tenu des activités importantes à Mysore, en Inde, la même année, en 2008 à Bonn, en Allemagne et aussi en France, où une grève de la faim a fortement contribué à l’interdiction du maïs génétiquement modifié de Monsanto.
En 2007, au Brésil,un grand combattant du MST, Keno, a été assassiné par un homme armé à la solde de Syngenta. Mais au bout d’un an, le mouvement a réussi à obliger Syngenta à rendre au gouvernement les terres illégalement utilisées pour des expérimentations transgéniques.
En 2008, le mouvement a organisé, à Djakarta (Indonésie), une conférence internationale centrée sur sa proposition de Déclaration Internationale des Droits des Paysans. Avant cette conférece a eu lieu l’Assemblée des Femmes sur les Droits des Paysans et des Paysannes.
En vue de mener une résistance contre les politiques néolibérales et faire face aux différentes crises actuelles (alimentaire, climatique, énergétique et financière, au terme de sa Vème conférence internationale à Maputo, dans la province Matola, la Via Campesina a fait une déclaration finale qui met en exergue ses stratégies de lutte.
Campagne globale sur la Convention Internationale des Droits des Paysans
En lançant sa campagne globale sur la Convention Internationale des Droits des Paysans, la Via Campesina pense que l’institutionnalisation de ces droits sera très importante pour répondre à toutes les formes de violations des droits des paysannes et des paysans. Ces violations sont, entre autres, l’expropriation des terres et l’aliénation des moyens de subsistance ; les processus de privatisation des terres qui ont provoqué une nouvelle concentration de la propriété des terres ; le démantèlement des services publics ruraux et de ceux qui soutenaient la production ; et la commercialisation des petits et moyens producteurs.
On y trouve également la promotion des agro-exportations fortement capitalisées qui fournissent de gros bénéfices, la pression pour la libéralisation du marché agricole et des politiques de sécurité alimentaire fondées sur le commerce international. D’autres violations doivent encore être prises en compte, particulièrement la double marginalisation dont souffrent les femmes, en tant que femmes et en tant que paysannes…
Souveraineté alimentaire : la solution des crises et la vie des peuples
Selon la Via Campesina , la situation actuelle de crise est également une opportunité, parce que la souveraineté alimentaire offre la seule alternative réelle, tant pour la vie des peuples que pour inverser les crises. La souveraineté alimentaire répond à la crise alimentaire en se basant sur une production paysanne locale ; et aux crises climatiques et énergétique,s en s’attaquant aux deux principales sources de gaz à effet de serre : le transport des aliments sur de grandes distances et l’agriculture industrialisée. Enfin, elle interdit la spéculation sur les produits alimentaires, afin de réduire la crise financière.
Aussi, toujours selon la Via Campesina , la crise provoque des souffrances incalculables parmi les peuples paysans et met à mal la légitimité du modèle néo-libéral, du “libre échange” et quelques gouvernements locaux et nationaux plus progressistes ont commencé à chercher des solutions alternatives. Le mouvement pense qu’il doit être capable de profiter de ces opportunités.
A cet effet, la Via Campesina estime qu’elle doit développer une méthodologie de travail incluant un dialogue critique et constructif, pour parvenir à des réussites de la mise en oeuvre de la souveraineté alimentaire avec ces gouvernements. Elle ambitionne de profiter également des espaces internationaux pour avancer sur ce terrain. “Mais nous ne devons pas seulement parier sur les gouvernements : nous devons construire la souveraineté alimentaire depuis la base, sur les territoires et les autres espaces contrôlés par les mouvements populaires, les peuples indigènes, etc”, soutiennet les responsables de la Via Campesina.
Campagne mondiale pour la fin de la violence envers les femmes
Au cours de cette Vème conférence internationale, la Via Campesina s’est engagée de nouveau, et avec une force encore plus grande, à atteindre la complexe, mais nécessaire parité réelle dans tous les espaces et instances de participation, d’analyse, de débat et de décisions dans le mouvement, et renforcera l’échange, la coordination et la solidarité entre les femmes de ses régions.
Cependant, la Via Campesina reconnaît le rôle central de la femme dans l’agriculture d’auto-suffisance alimentaire et la relation spéciale des femmes avec la terre, la vie et les semences. De plus, les femmes sont et ont été déterminantes dans la construction du mouvement, depuis ses débuts.
La construction d’alliances
La Via Campesina estime qu’en cas de confrontation, il sera très risqué d’être “devant” et seule. C’est pourquoi elle compte construire et renforcer ses alliances naturelles et stratégiques avec les mouvements et organisations qui partagent sa vision. Aussi, pour le futur, le mouvement fonde son espoir sur la jeunesse.
Pour parvenir à de plus grands succès et victoires dans ses luttes, le mouvement a décidé de se consacrer au renforcement des capacités, l’amélioration de la communication et l’organisation de ses membres.
Moussa TOURE, envoyé spécial à Maputo
Par Moussa Touré, Le Soir (Mali)