La diversité fait la force : en brandissant le drapeau arc-en-ciel, le mouvement paysan avance
Brussels, 23 juil. 2021
Le 1er juillet 2021, plus de 50 paysan·ne·x·s, sans-terre, citoyen·ne·x·s ruraux·ale·x·s et militant·e·x·s de La Via Campesina, se sont rassemblé·e·x·s en ligne lors d’un atelier international autour de la diversité sexuelle et de genres dans les zones rurales.
Si la vie rurale est souvent difficile, alors être gay, trans, bisexuel·le·x ou de tout autre genre ou identité sexuelle au-delà de l’hétéro-cis-patriarcat la rend encore plus difficile. Le 28 juin 2021, journée internationale des Fiertés, la Coordination Européenne Via Campesina a lancé sa première publication autour de la diversité de genre et sexuelle. Embrasser la diversité rurale : genres et sexualités au sein du mouvement paysan a été créée pour construire un espace inclusif pour le dialogue, le storytelling, l’autonomisation et la reconnaissance de l’existence des personnes LGBTQIA+ au sein des zones rurales ; ainsi que pour faire avancer leur inclusion dans les débats sur l’agriculture. La publication est constituée de témoignages et de créations artistiques d’une douzaine de paysan·ne·x·s de toute l’Europe et au-delà. Cette publication a donné une chance à chaque auteur·rice·x de réfléchir plus profondément à leur vie en tant que paysan·ne·x·s LGBTQIA+ et citoyen·ne·x·s ruraux·ale·x·s. Le résultat constitue un nouveau moment-clé pour les débats autour du genre au sein du mouvement paysan européen.
En profitant des célébrations autour de la Pride et du lancement de cette publication, ECVC a invité la communauté LGBTQIA+ des autres régions LVC à échanger sur le processus de création de la publication et à établir des échanges trans-régionaux entre les paysan·ne·x·s et allié·e·x·s LGBTQIA+.
L’atelier a été conçu comme un espace interne de confiance, de solidarité et d’appartenance, créant un espace pour les expériences personnelles qui partagent et alimentent une réflexion politique pour inclure la diversité dans les discussions au sein du mouvement paysan.
Le processus créatif et l’opportunité de partager des expériences avec d’autres membres du mouvement a été une expérience puissante et touchante pour plusieurs participant·e·x·s, et ces visions politiques libératrices et ces sentiments cathartiques ont été fortement reflétés au sein de l’atelier. Comme l’a souligné un·e·x participant·e·x : « Ce dont on ne parle pas, on ne le voit pas, alors il faut en parler et en parler aux gens pour le normaliser ».
En l’espace de quelques heures, nous avons entendu des histoires d’espoir et d’horreur. Des moments de célébration de tracteurs arborant le drapeau arc-en-ciel lors de mobilisations paysannes en Espagne ; la description d’un projet visant à cultiver la justice en rassemblant des communautés marginalisées intersectionnelles qui résistent aux systèmes alimentaires coloniaux, patriarcaux et impérialistes aux États-Unis ; des initiatives visant à mettre en place des programmes de formation pour les personnes LGBTQIA+ en Amérique latine ; et des témoignages sur le processus de fermes paysan·ne·x·s qui font leur coming out queer et qui soutiennent d’autres paysan·ne·x·s et fermes dans ce sens ; mais aussi, à l’inverse, de lourds récits de persécution et de discrimination à l’encontre de membres LGBTQIA+. L’atelier était un espace de célébration et de commémoration des luttes des individus au sein du mouvement, mais aussi de leur pouvoir et de leur potentiel en tant que groupe.
Comme l’a décrit Yeva Swart de Toekomstboeren aux Pays-Bas : « C’est vraiment incroyable de réaliser que votre histoire individuelle fait partie d’un mouvement collectif et peut évoluer vers une action collective ! »
Pour beaucoup, cette autonomisation a donné un sens politique plus fort à leurs expériences personnelles, de nombreux individus exprimant des sentiments de libération, d’introspection et de réalisation de soi. Pour Jens Köber, d’AbL en Allemagne, « L’écriture a été thérapeutique, […] lorsque j’écrivais mon témoignage, j’ai compris que j’avais des besoins différents et que j’aimais me comprendre en tant que paysan mais aussi en vivant mon identité gay. »
Pour Breda Larkin, de l’organisation irlandaise Talamh Beo, des moments de joie collective et d’échange ont eu lieu lors de la préparation de sa contribution : « Le processus a ouvert un petit groupe de cinq ou six d’entre nous maintenant, qui discutons de choses dont nous n’avions jamais discuté auparavant. » Pour ce groupe, il est désormais évident qu’il veut « s’asseoir à la table et ouvrir la conversation sur les paysan·ne·x·s queer et toutes les différentes façons de penser. »
Les expressions culturelles ont également fait partie de l’atelier. Les participant·e·x·s ont partagé des poèmes originaux exprimant la diversité rurale, ont chanté en direct pour dénoncer la discrimination, ont partagé des vidéos et ont créé un nuage de mots collectif capturant véritablement l’énergie et le sentiment de la réunion : des notions puissantes de fierté, de bonheur, d’échange, d’autonomisation, d’inspiration et bien plus encore.
La diversité géographique de la lutte était très apparente, avec des participant·e·x·s venu·e·x·s d’Europe, d’Amérique du Nord, d’Amérique latine et d’Asie. Leurs contributions ont mis en évidence les multiples et diverses manières dont la communauté paysanne s’exprime et lutte pour la diversité des genres dans le monde entier.
Maggie Cheney, de la ferme queer Rock Steady Farm aux États-Unis, qui a également contribué à la publication, a parlé des nombreuses fermes coopératives et des collectifs qui ont vu le jour au cours des cinq dernières années aux États-Unis. Maggie a parlé des grands réseaux qu’ils sont en train de construire et de la façon dont ils ont soutenu l’émergence de plus en plus de paysan·ne·x·s queer ! Le but est d’aller plus loin : « Nous sommes très ouvert·e·x·s, et beaucoup de gens veulent travailler avec nous. Nous avons donc lancé un nouveau projet qui vise à former des paysan·ne·x·s queer et transgenres. Nous pensons que c’est le prochain niveau de soutien dont la communauté queer a besoin dans notre région. »
Alessandro Mariano, de MST au Brésil, a été clair : « Notre communauté fait face à beaucoup de défis : patriarcat, racisme, capitalisme. En plus de la lutte pour la terre, nous devons lutter pour la liberté sexuelle. Parce que le capital ne s’empare pas uniquement des territoires, mais aussi de nos corps. Lindolfo, un de nos camarades, a été brûlé [le 1er mai dernier] parce qu’il était gay. » Par conséquent, il est très important que les organisations paysannes acceptent les autres façons d’aimer et garantissent le droit des personnes LGBTQIA+ à vivre à la campagne. Cela a aussi été souligné par Blanca Ruiz de la région caribéenne, qui a souligné le courage de la communauté et a déclaré « Nous devons nous rassembler en tant que CLOC Coordinadora Latinoamericana de Organizaciones del Campo et faire de cette lutte une lutte commune. Il n’est pas suffisant de se battre uniquement pour les terres. »
Enfin, d’Asie, Nikar Tsai a salué à la fois la publication et l’effort collectif, en partageant les expériences de sa ferme féministe à Taiwan, Land dyke, qui vise à créer une agriculture à soutien collectif (ASC) non binaire et respectueuse de la diversité des genres. Nikar a décrit comment cette ferme « a réussi à accroître la visibilité et le respect des agricultrices à Taiwan, tout en cultivant la biodiversité et la diversité des genres ». Elle poursuit : « Mais nous n’y sommes pas parvenues seules. Au cours des deux dernières décennies, mon pays est devenu une démocratie beaucoup plus ouverte et dynamique. » La question que pose maintenant Nikar est la suivante : « Comment nous positionner dans l’agriculture au-delà du capital et des liens de parenté hétéronormatifs ? »
Et ensuite ?
Afin d’élever ces voix au sein du mouvement, différentes actions ont été identifiées pendant l’atelier, à commencer par un partage plus large de la publication et sa traduction dans plus de langues.
L’atelier a également montré l’importance des moments d’échange, afin d’inspirer mutuellement et de renforcer la solidarité entre les régions. Le défi est maintenant d’identifier et de soutenir plus de personnes LGBTQIA+ au sein de nos organisations et régions.
Plusieurs participant·e·x·s ont exprimé le véritable désir d’organiser de futures actions autour de la diversité de genres et sexuelle aux niveaux national et régional. À l’échelle européenne, une proposition concrète a été faite pour créer une articulation diversité de genre au sein d’ECVC.
L’importance de créer des alliances avec d’autres groupes LGBTQIA+ venant de contextes ruraux et urbains a été soulignée comme étant un élément important pour notre avancée.
Il y a aussi eu un accord autour du besoin d’organiser un procédé bien articulé au sein de LVC. Dans ce sens, une proposition très concrète a été faite : dès que la pandémie le permettra, un évènement international autour des questions LGBTQIA+ devrait avoir lieu en présentiel, avant la 8ème conférence de LVC, afin que la communauté LGBTQIA+ au sein de LVC puisse échanger et apporter des propositions concrètes lors de la conférence prévue pour 2023. Les participant·e·x·s de la Via Campesina Brésil ont exprimé leur volonté de recevoir cet événement, et ont en même temps invité les autres régions à rejoindre deux sessions de webinaires organisées en juillet par le collectif LGBTI de La Via Campesina Brésil. Ce sera une opportunité pour de plus amples formations, échanges d’expériences, développement de réflexions et processus collectifs.
Pour conclure, l’atelier du 1er juillet a été un bond en avant vers la reconnaissance de l’existence de la communauté LGBTQIA+ au sein du mouvement pour la souveraineté alimentaire, et même au-delà. À travers une action constante et organisée, nous élevons nos voix, à l’unisson, pour prendre notre place : dans les champs, dans les fermes, dans les familles, et dans les communautés rurales, pour lutter en faveur de la souveraineté alimentaire dans la diversité !
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