La déclaration des droits des paysans est une source indispensable de légitimité
Déclaration de Vincent Delobel, Mouvement d’Action Paysanne, lors de la troisième session du groupe de travail intergouvernemental sur une déclaration des Nations unies sur les droits des paysans et d’autres personnes travaillant dans les zones rurales
Chère Madame Présidente-Rapporteur, Chers délégués, Mesdames et Messieurs,
(Genève, Palais des Nations, 17 mai 2016) C’est un honneur et un plaisir pour moi d’être ici et de prendre la parole au nom des jeunes paysannes et paysans européens et de pouvoir porter notre message. Chevrier bio en Belgique, je cultive l’alimentation de mes chèvres et transforme leur lait en différents fromages.
Aujourd’hui, en Europe, notre métier d’agriculteur et encore plus particulièrement celui d’éleveur est menacé. Nous ne sommes que 10% des agriculteurs à être âgés de moins de 40 ans. En effet, de nombreux collègues produisent à perte, leur marge économique et leur pouvoir de négociation sont réduits à néant. Beaucoup d’entre nous se retrouvent coincés dans une trajectoire de développement non seulement très risquée d’un point de vue financier mais qui en plus nous amène à réaliser notre métier, à traiter nos sols, cultures et animaux d’une manière qui ne nous correspond pas.
D’année en année, nous sommes de plus en plus nombreux, en réaction à cette menace de disparition, à repenser nos pratiques d’élevage et de culture, à réorganiser notre système de production vers davantage d’autonomie. Nous désirons produire nous-mêmes une alimentation diversifiée pour nos animaux, mieux valoriser nos engrais de ferme, développer des semences adaptées à ces pratiques… Et de manière générale, nous aspirons à davantage d’autonomie décisionnelle, à choisir des manières de cultiver et d’élever qui soient plus cohérentes avec nos valeurs, notre éthos, et nos vécus parmi ces êtres vivants. Nous sommes aussi de plus en plus nombreux à réorganiser nos modes de transformation avec des méthodes artisanales qui assurent une continuité entre la santé du sol et celles des hommes. Nous essayons aussi d’organiser de nouvelles filières véritablement équitables qui rémunèrent dignement notre travail et notre savoir-faire.
Comme depuis des siècles, nous, les paysans cultivons toujours cet art salutaire de la « débrouillardise nourricière », nous avons continué à nourrir nos concitoyens dans toutes sortes de contextes. Notre problème aujourd’hui est que cette inventivité se heurte rapidement aux règlements en vigueur, aux standards industriels et plus largement au régime de l’agro-business.
Très concrètement, comme de nombreux collègues, je transforme mon lait de chèvre en fromages tout en veillant à préserver la flore qu’il contient. Sans cesse, nous devons nous battre pour faire reconnaître et tolérer ce mode de transformation « au lait cru » que les industries ne peuvent réaliser.
Dans un autre domaine, nous développons et multiplions des ensembles hétérogènes de semences qui sont capables de pousser de manière résiliente dans des conditions plus difficiles. La réglementation en vigueur restreint sévèrement la circulation de ces graines entre paysans de sorte que nous versons rapidement dans l’illégalité.
Nous ne pouvons pas accepter de toujours devoir justifier nos pratiques alors que nous sommes la base nourricière de nos communautés, et que nos techniques sont à la fois innovantes et inspirées par nos longues traditions.
La déclaration des droits paysans va nous soutenir en donnant un cadre juridique à cette re-paysannisation de l’agriculture, à cette forme de développement rural porté spontanément et avec persévérance par les paysans en Europe et partout dans le monde. Pour nous, cette déclaration est une source indispensable de légitimité pour cette inventivité, ces nouveautés. En effet, elle reconnaît de manière cohérente à la fois notre existence, nos particularités, nos valeurs séculaires, mais aussi notre rôle dans la souveraineté alimentaire de nos communautés, dans le développement économique des campagnes, et l’importance de notre avenir lui-même pour relever les défis globaux du changement climatique, de la sécurité internationale et tout simplement de l’existence viable de l’humanité sur cette planète.
Merci,