L’autre révolution verte
En Asie, en Afrique ou au Brésil, La Via Campesina a vu éclore plus de quarante centres de formation à l’agroécologie.
Le Karnataka vit une révolte silencieuse d’une portée considérable. Dans cet État indien, des milliers de familles de paysans ont un jour cédé aux sirènes de l’agro-industrie, promettant un bond des rendements et moins de travail. Du vent. Dans la filière cotonnière, livrée aux variétés OGM de Monsanto, les petits agriculteurs se sont retrouvés coincés dans une terrible spirale. Des insectes résistants aux pesticides sont apparus, obligeant à accroître les doses. Retour à la case départ, mais avec des dettes énormes. Ces drames ont provoqué des vagues de suicides dans les campagnes indiennes.
Heureusement, des alternatives sont apparues ces dernières années, comme l’agroécologie « à budget zéro » — ou comment réapprendre le métier de paysan en s’appuyant sur les ressources locales. Un véritable mouvement social, embrassant des dizaines de milliers de familles. Ses promoteurs annoncent produire plus qu’avec les méthodes de la « révolution verte », qui leur avait apporté les riz hybrides, la mécanisation et la chimie.
En 2012, à l’initiative de la Via Campesina, le Karnataka se dote d’un centre de formation à l’agroécologie. « Ces expérimentateurs autodidactes sont devenus des enseignants », explique Peter Rosset, technicien d’appui pour le réseau paysan, qui regroupe 164 organisations issues de 79 pays. « En cinq ans, nous avons ouvert de plus de quarante de centres ! », se félicitait Henry Saragih, en fin de mandat de coordinateur général de la Via Campesina lors de la conférence internationale tenue par le mouvement en juin dernier à Jakarta.
Dans les jardins du Padepokan pencak silat Indonesia qui accueillait près de 600 délégués, se déployait un séduisant « village » exposant les principes d’une communauté agroécologique idéale. Autour des maisons, une pépinière horticole, les champs de riz, des mares pour l’aquaculture, la basse-cour et les étables, des parcelles associant cultures et arbres (agroforesterie), une grange avec sa « banque » de semences. Les méthodes agricoles exploitent au mieux l’eau, les sols et les variétés locales, à l’aide de technologies traditionnelles améliorées, à faible impact et peu consommatrices d’énergies fossiles. Devant une douzaine de visiteurs captivés, Azwar griffonne des schémas d’implantation adaptables à des parcelles d’à peine 1 000 mètres carrés. Il coordonne l’Asosiasi bank benih tani Indonesia (AB2TI), première banque de semences paysannes d’Indonésie, opérationnelle depuis 2012(1).
La première école d’agroécologie de la Via Campesina naît en 2006, fruit d’un accord avec le président vénézuélien Hugo Cháves : l’ Instituto agroecológico latinoamericano (Iala), inspiré de la pédagogie de Paulo Freire, dans l’État brésilien du Paraná. Il aura plusieurs rejetons sur le continent. Certains ont statut d’universités, délivrant des diplômes supérieurs.
Le seul Brésil compte dix-sept centres de formation. Ils commence à essaimer en Afrique (Mali, Mozambique, Niger, Zimbabwe) et en Asie (Indonésie, Inde). « Un processus spontané, souligne Peter Rosset, que nous tentons de formaliser afin de partager les expériences. Ces écoles viennent combler un vide dans de nombreux pays du Sud : le système éducatif officiel, qui s’intéresse d’abord à l’agro-industrie, délivre un enseignement souvent rigide qui ne répond pas aux attentes du secteur paysan. Or, notre approche ne se restreint pas à la transmission de techniques. Il s’agit d’une pédagogie participative et à visée sociale, incluant la formation de futurs meneurs pour les communautés. Pour gagner le plus grand nombre, cette agroécologie doit procéder d’une démarche collective. » Sur les bancs, des indigènes, des techniciens, des paysans, des leaders syndicaux…
« L’époque est mûre pour l’agroécologie », estime Peter Rosset, attentif à l’intérêt que lui porte des organismes officiels. Ainsi le gouvernement du Karnataka a-t-il spontanément proposé d’importantes subventions au mouvement local de l’agroécologie.
Vigilance, toutefois : « La Banque mondiale veut placer ses idées. La FAO, appuyée par l’Inra française, a proposé une conférence mondiale de l’agroécologie, prévient Peter Rosset. Nous mettons en garde nos élèves contre un risque de récupération par des acteurs qui sont des adversaires de toujours… »
Patrick Piro
article paru dans le Hors série n°59 de Politis. Novembre- Décembre 2013
(1) voir Politis (20-06-2013)