Genève, un outil efficace dans la lutte contre la pauvreté et les inégalités.
Intervention du Centre Europe Tiers Monde lors de la première session du Groupe de travail intergouvernemental pour une Déclaration de l’ONU sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales.
Madame la Présidente,
(Genève, le 17 Juillet 2013) La famine et la malnutrition dans le monde ne cesse de gagner du terrain et nous savons depuis plusieurs années que les Objectifs du millénaire ne seront pas atteints en 2015. Pire, 80% du près d’un milliard de personnes souffrant de la faim et de la malnutrition vivent dans des zones rurales et sont des producteurs d’aliments, comme nous l’indiquent l’étude du Comité consultatif et les rapports de la FAO.
Bien que les causes de cette situation intolérable soient parfaitement connues, la plupart des gouvernements et institutions internationales, financières et commerciales notamment, continuent à promouvoir un modèle de développement destructeur tant au niveau environnemental et social qu’économique.
En effet, l’imposition des Programmes d’ajustement structurel et l’application au niveau planétaire de l’économie de « marché » comme modèle de développement ont provoqué, entre autres, une véritable contre-réforme agraire. Il a renforcé les « latifundias », en supprimant toute aide publique à la paysannerie et en renonçant à toute politique nationale de développement rural. Les privatisations, la libéralisation des marchés agricoles, le dumping des produits agricoles, le développement commercial des agrocarburants, la spéculation boursière sur les produits alimentaires et l’accaparement de terres à grande échelle sont les instruments et corollaires de ce modèle de développement qui poussent chaque année des dizaines de millions de paysans à l’exode et/ou à l’exil. Il est également source de conflits, y compris armés, du fait des pressions exercées sur des ressources naturelles.
C’est ce modèle là aussi qui a favorisé le monopole des sociétés transnationales sur la chaîne alimentaire, allant de la production jusqu’à la commercialisation des produits alimentaires. Les subventions étatiques vont bien souvent à ces entités alors que la paysannerie familiale est privée de tout soutien. Pourtant, comme chacun le sait, ce ne sont pas les sociétés transnationales qui nourrissent le monde, mais bel et bien la paysannerie familiale qui se consacre à la culture vivrière. Par contre, avec le modèle de développement mis en œuvre, la paysannerie familiale, qui constitue encore presque la moitié de l’humanité, est aujourd’hui menacée.
En effet, les paysans et les autres producteurs familiaux des produits alimentaires ne parviennent plus à maîtriser ni le processus ni les outils ni la commercialisation de leurs produits. Ils sont dépouillés de leurs ressources, expropriés et déplacés de force bien souvent. Ils sont exclus également de la prise de décision les concernant. Bref, ils sont victimes de nombreuses discriminations et violations des droits humains, allant du droit à la vie et du droit à l’alimentation au droit d’association et au droit de participer à la prise de décisions.
C’est dans ce contexte qu’il faut interpréter la proposition du Comité consultatif pour l’adoption d’une déclaration de l’ONU sur les droits des paysans. Certes, les normes internationales des droits humains existantes couvrent aussi bien les droits civils et politiques que les droits économiques, sociaux et culturels. Cependant, force est de constater que les normes existantes ne répondent malheureusement pas entièrement aux violations des droits humains des paysan- ne-s et les autres producteurs des produits alimentaires.
A titre d’exemple, une dizaine de sociétés transnationales telles que Monsanto, Dupont, Syngenta, Cargill, contrôlent plus de 80% du marché de semences et des autres intrants agricoles. De plus, selon les estimations, plusieurs dizaines, voire centaines de millions d’hectares de terres arables ont été accaparées par des sociétés transnationales et certains Etats, ces douze dernières années. Les sources d’eau sont également l’objet de convoitise des sociétés transnationales depuis de nombreuses années et celles transfrontalières sont souvent objet de conflits entre des Etats.
C’est pourquoi l’adoption d’un nouvel instrument international tel qu’une Déclaration sur les droits des paysans et de toutes personnes produisant des produits alimentaires et travaillant dans des secteurs connexes dans des zones rurales (pécheurs, éleveurs, pastorales, chasseurs, cueilleurs, artisans, etc.) qui garantirait entre autres l’accès à la terre, à l’eau, aux semences et à d’autres ressources et moyens agricoles ainsi qu’aux services publics adéquats, peut apporter une protection efficace aux paysan-ne-s familiaux face aux spéculations et au monopole des sociétés transnationales. En protégeant mieux les producteurs d’aliments, on garantira l’approvisionnement en aliments de l’humanité. Cette Déclaration constituera également, à notre avis, un outil efficace dans la lutte contre la pauvreté et les inégalités.
Le fait que le projet de déclaration proposé par le Comité consultatif soit élaboré en consultation avec les organisations paysannes, dont La Via Campesina, lui donne une plus grande légitimité, étant donné qu’il reflète les principales préoccupations des personnes concernées. Cela dit, il est apparu au cours des discussions de ces deux derniers jours que deux éléments importants sont omis dans le projet de déclaration. Il s’agit du droit à la sécurité sociale et des mesures que les Etats devraient prendre pour la mise en oeuvre de ladite déclaration. Ces éléments devraient figurer dans la Déclaration sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales.
Madame la Présidente, Merci de votre attention.