France: Lettre ouverte de la Confédération paysanne au président de la République sur la PAC
Une Politique agricole et alimentaire post 2020 forte et ambitieuse, en accord avec votre discours à Rungis
Bagnolet, le 20 Novembre 2017
Monsieur le Président, Des discussions cruciales sur l’avenir de la Politique agricole commune (PAC) s’ouvrent. Cette politique, unique en son genre puisque symbole de la construction européenne, ne répond plus à la situation : les crises agricoles se succèdent en éliminant les paysan.ne.s les uns après les autres, une alimentation qui inspire la méfiance des consommateurs, des territoires ruraux qui souffrent, l’environnement se dégrade, etc. Cette PAC ne protège plus ni les paysans et les paysannes, ni les consommateurs et les consommatrices. Elle ne répond pas aux enjeux majeurs d’une alimentation sûre, saine et durable; elle n’est pas adaptée aux enjeux majeurs du dérèglement climatique ou de la fracture territoriale. Il est grand temps de fonder autrement la politique agricole et alimentaire, au regard des graves défis qui nous attendent.
Dans votre discours à Rungis du 11 octobre, vous avez mis en avant à plusieurs reprises la souveraineté alimentaire. Plus qu’un principe, la souveraineté alimentaire doit être l’essence même d’une politique agricole. La souveraineté alimentaire, c’est la nécessité de produire en priorité pour nourrir sa population, avec une alimentation de qualité accessible à tous et toutes. Produire mieux pour nourrir mieux, peut-on imaginer meilleur objectif pour l’agriculture européenne ? La souveraineté alimentaire est universelle. Comme vous l’avez relevé, il n’est plus possible de produire du bas de gamme qui n’est pas rentable ici, et qui asphyxie les économies locales là-bas. Contraire à la souveraineté alimentaire, nous devons mettre un terme à la négociation d’accords commerciaux de libre échange (Mercosur, USA, Australie, Vietnam, etc.) et rejeter le CETA. Considérer le monde comme un marché unique est une idéologie qui ne profite qu’aux multinationales. Nous voulons un monde ouvert, dans lequel les échanges internationaux se feraient sur base du principe de souveraineté alimentaire, en permettant aux États de protéger leur agriculture face aux produits étrangers à bas coûts.
Monsieur le Président, la prochaine PAC doit remettre au cœur de son ambition le revenu des paysan.ne.s par les prix agricoles et donc une régulation des marchés et une maîtrise des productions. Sans paysan.ne, il n’y a pas d’alimentation. Aux prix agricoles volatiles et souvent trop bas doivent succéder des prix justes et stables, qui permettent aux paysan.ne.s de vivre dignement de leur travail et de retrouver confiance dans l’avenir de leur métier. Ce ne sont pas les assurances privées, couvrant une minorité des agriculteurs, qui vont permettre de gérer la volatilité des marchés et les aléas climatiques. Ces assurances, injustement financées par la PAC, ne pourront jamais jouer le rôle qui revient aux politiques publiques. Vous l’avez dit à Rungis, les paysan.ne.s doivent prendre leur responsabilité dans l’organisation des filières. Encore faut-il nous en donner les moyens. Il est nécessaire d’aller plus loin dans la révision du droit de la concurrence européen pour que ce ne soit pas un vœu pieux. Nous persistons à dire que des producteurs et productrices, si regroupé.e.s et organisé.e.s soient-ils, ne remplaceront jamais une politique de régulation et de maîtrise des marchés !
Au cours de votre discours, vous avez également affiché l’objectif de montée en gamme de notre agriculture et la transition agricole au service des consommateurs et des consommatrices. La PAC actuelle ne répond pas à cet objectif et favorise l’agrandissement et la spécialisation des fermes au détriment des paysan.ne.s, encourageant la production en masse de denrées alimentaires bas de gamme. La production d’aliments de qualité nécessite une transition agricole qui ne pourra se faire avec des aides découplées à la surface mais avec de vraies mesures d’accompagnement de la transition agricole rémunérant le changement de pratique et le maintien de pratiques vertueuses. Devant les crises climatiques et sanitaires, il nous faut également travailler à améliorer la résilience des fermes. Nous vous proposons une politique en rupture, une politique publique globale et cohérente de transition agricole, allant de la formation agricole jusqu’aux réalités quotidiennes des fermes, en passant par la recherche.
Pour répondre aux défis sociaux, environnementaux de notre agriculture, il est temps de choisir le modèle agricole dont la France a besoin. Pour produire mieux, sur des territoires vivants, nous avons besoin d’une agriculture pourvoyeuse d’emplois, avec des fermes nombreuses, des paysan.ne.s nombreux sur des productions diversifiées, réparties sur tout le territoire. L’agriculture est un métier de femmes et d’hommes qui ont besoin aujourd’hui de techniques adaptées et d’innovation, comme hier elle a bénéficié de l’apport de la mécanisation. L’agriculture de précision ou la bioéconomie ne sont que des outils au service des paysan.ne.s. Ils ne peuvent se substituer à leur savoir-faire et à leur capacité de décision.
Vous le voyez, Monsieur le Président, nous avons une ambition élevée pour l’agriculture française, nécessitant un budget conséquent. Vous trouverez joint à cette lettre notre projet de politique agricole et alimentaire commune (PAAC) post 2020.
Le 29 novembre, le Commissaire européen à l’agriculture, Phil Hogan, dévoilera la communication de la Commission européenne sur la future PAC. Au regard des difficultés ressenties par les paysan.ne.s et des ambitions que vous avez affichées dans votre discours à Rungis, nous attendons que vous défendiez une politique agricole et alimentaire forte et ambitieuse. Nous restons à votre disposition pour tout échange et vous prions de croire, Monsieur le Président, à l’expression de nos respectueuses salutations.
Laurent Pinatel
Porte-parole de la Confédération paysanne