“Face à cet étranglement économique, nous paysannes et paysans luttons pour regagner d’avantage d’autonomie”
Genève, Palais des Nations, salle XX, 17 mai 2017. Quatrième session du groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée sur la Déclaration des Droits des Paysans et autres personnes travaillant en milieu rural.
Vincent Delobel, éleveur de chèvres en Belgique, représentant le MAP & la FUGEA (La Via Campesina – Europe). Commentaire sur l’article 16 : Droit à des revenus et moyens de subsistance décents et aux moyens de production.
Madame la Présidente-Rapporteur, Mesdames et Messieurs les Délégués,
En tant que jeune agriculteur récemment installé, je désire commenter l’article réclamant notre droit à un revenu décent. En effet, les difficultés économiques que nous éprouvons ne sont pas fruits d’une crise conjoncturelle mais bien de dysfonctionnements structurels de différentes natures. Premièrement, ils portent sur les intrants agricoles : leurs prix augmentent, ils sont de manière croissante basés sur le pétrole, les fournisseurs fusionnent en multinationales et développement des cadenas technologiques importants. Deuxièmement, les charges d’équipement se sont fortement alourdies, notamment entraînées par l’agrandissement des fermes. Ces coûts d’infrastructures sont souvent accompagnés d’importantes charges financières. Troisièmement, la vente de nos produits est de moins en moins rémunératrice : les paysans sont devenus des fournisseurs spécialisés de grands volumes de matières premières brutes pour l’industrie. Ainsi, la valeur ajoutée de ce qui sort de la ferme a baissé, la volatilité des marchés s’est accrue, le pouvoir de négociation des paysans s’est fortement réduit. Finalement, les aides publiques de soutien au revenu agricole sont encore fortement liées à la taille de la ferme, notamment au nombre d’hectares cultivés.
Ces différentes tendances ont malheureusement installé, y compris en Europe, la pauvreté et la précarité agricole, sources d’un sentiment profond d’abandon et d’injustice sociale et économique dans nos campagnes. L’importante pression vers des prix bas est nocive pour notre environnement et notre qualité de vie. En effet, nous paysans sommes pour la plupart des travailleurs indépendants et ne bénéficions que d’un faible niveau de protection sociale.
Face à cet étranglement économique, nous paysannes et paysans luttons pour regagner d’avantage d’autonomie (semencière, fourragère, énergétique, technique etc.). Nous essayons d’organiser des négociations collectives, la mise en commun d’outils, nous commençons à transformer nos productions à la ferme, à produire des aliments de qualité différenciée (biologique notamment), à nourrir les citoyens à travers des circuits plus courts… Ainsi, nous nous réapproprions les activités en amont et en aval de la production à travers toutes ces initiatives qu’il serait bon de reconnaître, respecter, faciliter et renforcer. En effet, ces stratégies typiquement « paysannes » sont prometteuses. Elles génèrent un revenu décent pour nos familles, rémunérateur du travail investi, et nous permettent parfois de créer des emplois ruraux supplémentaires. Cette dignité retrouvée, nous pouvons à nouveau entretenir mais aussi développer nos patrimoines agricoles, nos infrastructures écologiques, et les techniques que nous employons.
En conclusion, il me semble opportun de vous rappeler qu’il n’y a pas de véritable liberté politique sans marge de manœuvre, sans autonomie économique. Ceci est vrai pour les paysannes et paysans tout comme pour toutes celles et ceux qui en dépendent pour se nourrir chaque jour, en tous lieux. L’histoire nous enseigne que les prémices de la démocratie ont émergé au sein de communautés agricoles autonomes, aux productions diversifiées, 800 ans avant notre ère. A travers cette Déclaration, nous vous invitons à établir nos libertés au plus haut niveau du Droit pour assurer un futur possible et souhaitable aux jeunes paysans que nous sommes, un futur profondément et humblement inspiré des nombreuses racines paysannes de nos civilisations.