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Les mouvements mondiaux pour la justice convergent sur un sol révolutionnaire
24 mars 2015 / 0h00 à 28 mars 2015 / 0h00
Une vive tension collective régnait lors de l’ouverture du Forum social mondial le 24 mars à Tunis, cinq ans à peine, après qu’une révolution pacifique, ayant allumé le flambeau des Printemps arabes qui brûle encore aujourd’hui, ait réussi à faire plier une dictature soutenue depuis longtemps par des puissances politiques occidentales et moins d’une semaine après que des tireurs aient pris d’assaut le musée du Bardo et tué 22 personnes, mettant à l’épreuve la détermination d’une démocratie naissante.
Des dizaines de milliers de délégués venant du monde entier ont convergé vers Tunis, dans le but de, non seulement soutenir la souveraineté tunisienne, mais aussi partager leurs luttes et leurs solutions locales dans un effort de changement et de lutte contre ces injustices systémiques interconnectées.
La manifestation d’ouverture illustrait la diversité des secteurs sociaux : des groupes d’étudiants tunisiens côtoyaient des syndicalistes d’Amérique latine et des paysans d’Afrique subsaharienne, unis par les crises alimentaire, climatique, énergétique et financière continues.
Au sein de cette foule vibrante d’acteurs sociaux, il n’est pas inattendu de trouver La Via Campesina, le mouvement social le plus grand du monde – et sans aucun doute le mieux organisé – avec des délégations venant des cinq continents. « C’est à nous d’agir, » dit Elizabeth Mpotu, paysanne du Zimbabwe et coordinatrice internationale des 250 millions de paysans, éleveurs nomades et peuples autochtones qui forment La Via Campesina. « Nous savons bien que nous sommes pauvres, mais nous sommes aussi très intelligents et nous savons ce que nous voulons, » ajoute-t-elle.
La Via Campesina a fait preuve de grande intelligence politique, en de nombreuses occasions, articulant exactement ce que le mouvement veut, spécialement en confrontation directe avec la tétrade de crises actuelles. En 1996, le mouvement a mis en lumière la « souveraineté alimentaire », mettant au défi les multinationales qui contrôlent l’agriculture et plaçant l’accès à l’alimentation exactement où il se doit : aux mains des paysans producteurs. Après quelques années d’obscurité relative, ce concept de la souveraineté alimentaire a réussi à pénétrer dans divers espaces politiques internationaux ainsi que nationaux et locaux.
Les représentants et les alliés de La Via Campesina ont toujours pris soin de relier la faim et le pouvoir des systèmes alimentaires mondiaux à la gouvernance des ressources naturelles principalement foncières et hydriques. La propriété foncière du paysan est menacée par toute une gamme d’initiatives de développement : les zones économiques spéciales, les industries extractives, les monocultures agricoles pour l’exportation. Ces transferts de ressources à grande échelle sont considérés comme des accaparements de terre contribuant à une ruée mondiale sur la terre qui dépossède en masse les peuples marginalisés de leur territoire.
« Au Mali, nous avons constaté une attaque de front sur nos terres, » dit Massa Kone, dirigeant de la Convergence malienne contre les accaparements de terres (CMAT), une alliance de plus en plus nombreuse qui inclut des organisations importantes membres de La Via Campesina. Kone explique que, dans son pays d’Afrique de l’Ouest, agropastoral par excellence, 87% de la population se consacre à la production alimentaire. Les accaparements de terre pour l’agriculture industrielle menacent ces moyens d’existence au quotidien, quand le gouvernement malien, insolvable, offre des baux de 99 ans et d’autres incitations alléchantes aux entreprises multinationales.
Mais la CMAT contre-attaque. « Nous avons obligé notre gouvernement à nous écouter, et nous sommes maintenant un acteur-clé dans le foncier au Mali, » déclare Kone « Notre convergence travaille à l’élaboration d’une nouvelle loi foncière et les paysans dirigent le processus » explique-t-il avec enthousiasme.
La CMAT fait partie d’une alliance de mouvements sociaux africains plus étendue qui a composé la Déclaration de Dakar contre les accaparements de l’eau et des terres en octobre 2014, pendant le Forum social africain au Sénégal. Cette déclaration, dans sa forte dénonciation des accaparements de terre et d’eau par les multinationales et les états, a ouvert la voie à une convergence mondiale des luttes dont le besoin se fait ressentir de façon urgente – et qui alimente les débats du Forum social mondial maintenant.
Continuant dans cette voie, La Via Campesina et un groupe d’alliés stratégiques ont organisé une convergence mondiale de trois jours sur les luttes foncières et hydriques à Tunis, avec des récits de témoins directs de violations des droits aux ressources venant de différentes parties du globe ainsi qu’une introduction à des outils allant de pratiques d’organisation sur le terrain, à des mécanismes de droits humains et de gouvernance internationale, visant à répondre à ces revendications foncières ou hydriques. C’était également un espace vital à partir duquel des stratégies ou des actions coordonnées d’unité pouvaient être élaborées face à l’adversité.
Ce processus organique et participatif a culminé dans une nouvelle déclaration qui souligne le caractère urgent des accaparements fonciers et hydriques ainsi que les engagements à l’action et à des tâches politiques spécifiques. Et peut-être plus important encore, dans ces débuts d’élargissement de la convergence, les auteurs de la Déclaration de Dakar ont apporté cette initiative à Tunis dans le but d’inviter les alliés mondiaux à débattre et à ajouter leurs idées et leurs revendications au document original – et ce faisant créer le pouvoir nécessaire à l’arrêt des accaparements de terre et d’eau.
De surcroit, à Tunis, de fortes connexions politiques ont été forgées entre les différentes convergences et pas uniquement dans les processus fonciers et hydriques. Des militants expérimentés ont organisé une convergence sur le climat afin de mettre en relief les approches disproportionnées à la crise climatique qui laissent de côté les communautés marginalisées dans les pays du sud alors que les gouvernements riches et les grandes entreprises accélèrent leur pollution. Les délégations de Tunis ont également organisé une convergence mondiale sur la résistance au pouvoir des entreprises, illustrée par une série d’ateliers de campagne stratégique montrant comment élaborer des initiatives au libre-échange, en plaçant les populations et la planète avant les profits. La Via Campesina a coorganisé chacun de ces processus.
Une nouvelle détermination est née de ces espaces lors de la convergence finale de ces convergences, où des militants organisateurs des convergences sur l’eau, la terre, le climat, la résistance aux pouvoir des entreprises ont pu identifier les fautes systémiques sous-jacentes aux crises alimentaire, climatique, énergétique et financière.
Une fenêtre a également été ouverte pour faciliter une action concertée lors de rassemblements politiques mondiaux futurs tel que la COP 21 à Paris. « Nous avons besoin de ces conversations afin de maintenir le monde en ordre, » a pensé Carlos Morantes, dirigeant de La Via Campesina et organisateur des travailleurs ruraux à la frontière du Mexique avec les États-Unis.
Alors que le Forum social mondial se terminait, le 28 mars, avec une autre manifestation dans le centre de Tunis, beaucoup entonnait le slogan fondateur : un autre monde est possible. Et faisant écho à l’esprit de révolution qui a fait trembler les fondations de ce petit pays nord-africain, il y a peu de temps, les militants ont montré une grande détermination dans la construction de leur futur – quelques soient les difficultés de ce processus.
Salena Tramel
Cet article a été publié en premier lieu par Huffingtonpost le 04/06/2015