En Europe aussi les paysans ont besoin de droits reconnus et spécifiques
Contribution de la Coordination Européenne Via Campesina au Groupe de travail intergouvernemental pour une Déclaration de l’ONU sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales.
La PAC, une particularité Européenne
(Genève, 15 juillet 2013) L’Union Européenne présente la particularité d’avoir depuis plus de 50 ans une politique agricole commune forte. Mise en place dans les années 60, celle ci visait au départ à assurer l’autosuffisance alimentaire des populations. Cela a été obtenu en garantissant aux agriculteurs des prix rémunérateurs pour les principaux produits, en protégeant le marché intérieur. Cette politique de prix s’est accompagnée d’une modernisation de l’agriculture , avec restructuration des exploitations et des facilités pour que les agriculteurs âgés laissent la terre aux plus jeunes.
Les principes de cette politique ont fortement changé dans les années 90, avec la création de l’OMC, la mondialisation et la mise en place des politiques néo-libérales. Les prix devront s’aligner sur le cours mondial et fournir ainsi à l’industrie agro-alimentaire des matières premières bon marché.
Afin de compenser ces faibles prix, des subventions ont été attribuées aux agriculteurs, selon le nombre d”hectares exploités. C’est ainsi que la moité des producteurs européens reçoivent moins de 500 € par an, tandis que ceux recevant plus de 100 000 € ne sont que quelques milliers.(1)
On a vu s’installer le maitre mot de la politique européenne actuelle : COMPETITIVITE
Il faut souligner l’influencer des entreprises agro-alimentaires multinationales dans cette évolution.
Conséquences
– L’Europe a effectivement atteint l’autosuffisance alimentaire dans les années 70, mais cette autosuffisance diminue actuellement sous l’effet des politiques libérales.
– Mais une des conséquences principales est la disparition continue de paysans et de fermes depuis plusieurs décennies.
En France par exemple , on est passé de 2,6 millions de fermes à moins de 500 000 aujourd’hui tandis que le nombre d’actifs est passé de plus de 6 millions (soit 30 % de la population active) à moins d’un million. C’est le même mécanisme en UE à 27 où 20 % des fermes ont disparu entre 2003 et 2010 passant à 11 millions pour 500 millions de citoyens européens.
C’est une forte atteinte à l’emploi, alors qu’il y a plus de 10 % de chômage en Europe voire 20 ou 25 % dans plusieurs pays en crise.
-C’est aussi un processus source de souffrance – qui touche aussi des agriculteurs modernisés, qui ont « bien suivi le modèle » et qui se trouvent lourdement endettés et ne peuvent plus faire face lorsque les prix baissent dans un contexte de volatilité croissante des prix.
En France , on estime que quelques 400 agriculteurs se suicident chaque année
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Des producteurs vont avoir tendance à porter la pression sur les travailleurs salariés mal payés, dont beaucoup sont des personnes migrantes, chassées de leurs fermes ou villages d’autres pays européens (Roumanie, Pologne..) par la misère.
- L’agrandissement des fermes, l’objectif permanent de compétitivité font qu’il est difficile de bien travailler – moins de diversité des cultures, moins de rotations, disparition de l’élevage, pas de restitution de matières organiques, destruction des haies …sont quelques aspects de la dégradations des pratiques
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la qualité et la diversité des produits diminuent avec une grande standardisation des produits liée à la domination des supermarchés sur la distribution des produits. On trouve souvent plus de qualité (AOC, etc) dans les zones défavorisées et zones de montagne. Cela est aggravé par tous les règlements et contraintes qui empêchent de reproduire ou commercialiser des semences paysannes.
- Enfin cela rend difficile l’installation de jeunes – En raison du faible nombre d’agriculteurs, leurs enfants (qui ne veulent d’ailleurs pas tous rester à la ferme) ne suffiraient pas à renouveler la population agricole – Il existe de nombreux jeunes qui souhaitent s’installer comme paysans, mais il leur est très difficile de trouver et acquérir du foncier, souvent en raison de la forte concurrence exercée par des agriculteurs en place qui exploitant de grandes surfaces touchent d’importantes subventions. Il y a aussi l’artificialisation des terres (urbanisation, …) qui accroit ce problème foncier.
Un modèle qui s’exporte, au dépend des paysans
L’intégration de nouveaux pays dans le processus d’élargissement implique pour ceux ci d’adopter les règles de fonctionnement de l’UE. L’exemple de la Croatie, qui a rejoint l’UE au 1er juillet dernier est particulièrement frappant. Il a été promis aux agriculteurs un meilleur accès aux marchés d’Europe de l’Ouest et de meilleurs revenus. En fait ce sont les produits venus d’Allemagne ou de France qui inondent les supermarchés, tandis que les produits locaux peinent à y avoir accès. La question du devenir des petits paysans n’est pas pris en compte. Comme depuis des décennies de politique agricole, ils devront « s’adapter » ou disparaître et pour beaucoup s’adapter ET disparaître. En production laitière, la nécessité de mise au norme implique de s’endetter tandis le rachat de la principale industrie laitière par la multinationale française Lactalis a amené la baisse du prix du lait tandis que les plus petits producteurs ne sont pas collectés. En conséquence des milliers de producteurs croates ont cessé la production laitière et la dépendance s’accroit vis à vis des importations alimentaires.
Pour ECVC, les problèmes paysans au Nord et au sud ont les même causes fondamentales.
Ces quelques considérations nous amènent ainsi à considérer que pour les fermiers européens aussi des droits reconnus et spécifiques pour les paysans et travailleurs ruraux sont importants pour faire cesser cette disparition continue. Cela serait un support, et une protection importante pour une catégorie déconsidérée.
Quelques remarques positives en conclusion
On a pu observer quelques éléments intéressants auprès de l’Union européenne dernièrement:
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Dans le projet de nouvelle politique agricole actuellement en négociation, on a vu apparaître le terme de « petites fermes » permettant de bénéficier de mesures spécifiques. Si ces dernières sont discutables, le fait même que ces fermes soient nommées est un signe encourageant
- l’Union européenne s’est engagée dans l’année internationale de l’agriculture familiale lancée en 2014 sous l’égide de l’ONU avec des évènements spécifiques .
Enfin, la Confédération paysanne considère comme une grande victoire d’avoir réhabilité le terme de PAYSAN en France. Ce mot, très dévalorisé il y a quelques décennies, est utilisé aujourd’hui avec fierté par tous les agriculteurs, y compris les plus intensifs.
(1) ce système de subventions permet aussi à l’union européenne d’exporter des produits à prix de dumping et nuit aux productions locales et aux paysans d’autres pays.
Geneviève Savigny, membre de la Confédération Paysanne, et du Comité de coordination de la Coordination européenne Via Campesina,