Document de la 3e Conférence Internationale de La Via Campesina sur l’égalité des sexes
Document de la III Conférence Internationale de La Via Campesina
Antécédents et analyse du thème
Les changements radicaux que connaît aujourd’hui la vie rurale affaiblissent nos économies, nos cultures et la vie même des femmes rurales partout dans le monde. Nous, les femmes de La Via Campesina, nous voulons que ces menaces qui pèsent sur les femmes, les mères et la Mère Terre soient analysées de manière consciente. Nous devons affronter ces difficultés collectivement afin de construire un avenir rempli d’énergie régénératrice, de justice et d’espoir.
L’économie néolibérale vise a améliorer les bénéfices des entreprises et à concentrer le pouvoir, sans tenir compte de la destruction de la nature, de la culture, des communautés et tout simplement, des gens. L’impact de ces changements est plus aigu dans les zones rurales où des millions de personnes subissent quotidiennement les effets de l’exploitation brutale de l’environnement et des populations. Les femmes ne souffrent pas de ces changements de la même manière que leurs collègues masculins car leur histoire, leur rôle et leurs relations divergent. Par conséquent, il est approprié et nécessaire d’articuler une analyse de genre pour construire des solutions qui incluent toutes les parties, des solutions justes et applicables à long terme. L’objectif économique prédominant aujourd’hui est l’augmentation de la production de marchandises vendables. Cette logique octroie davantage de valeur à la production industrielle qu’à la reproduction, à l’industrie qu’à l’agriculture, aux bénéfices qu’aux gens. Cela dévalorise les forces reproductives et régénératrices tant du monde rural que de la société humaine. En tant que femmes, parce que nous portons les enfants, nous souffrons toutes de ces changements fondamentaux des valeurs. Parce que nous produisons des aliments et prenons soin de la terre, nous, les femmes paysannes et rurales, nous nous retrouvons exclues et défavorisées par les politiques et les changements sociaux basés sur les valeurs néolibérales. Ces changements négatifs, combinés avec une histoire d’asservissement et de répression, contribuent à affaiblir l’assurance des femmes paysannes et rurales. Ces dernières n’ont souvent pas assez confiance en elles pour occuper des fonctions de direction dans les organisations.
Cependant, les femmes des campagnes bâtissent des communautés rurales durables et saines, elles prennent soin de la terre pour atteindre une véritable sécurité alimentaire à long terme. Elles produisent la plupart des aliments qui nourrissent les familles et les communautés. Elles sont, actuellement et historiquement, responsables de la protection et de l’amélioration de la biodiversité, tâche vitale pour la survie de l’humanité. Elles sont au cœur même des cultures rurales. Tout réel développement rural, qui comprend la régénération culturelle, sociale, économique et environnementale, dépend des femmes rurales. Conscientes et méritoires, elles jouent un rôle remarquable.
Principes et engagements
1. L’égalité et les droits humains
1.1 Les femmes ont le droit de participer pleinement aux processus de prise de décision. Il faut systématiquement supprimer toutes les barrières à la participation démocratique totale des femmes et à leur accès aux postes de direction. L’ouverture de perspectives pour les femmes, leur présence parmi les instances dirigeantes ainsi que leur énergie constituent des éléments essentiels à la construction de sociétés équitables. 1.2 Le rôle clé des femmes doit se refléter dans les structures organisationnelles et politiques des organisations rurales et paysannes. L’égalité et la participation démocratique complètes au sein de nos propres organisations doivent être à l’image de l’égalité sociale et politique pour laquelle nous luttons à tous les niveaux.
1.3 Nous demandons la fin de toutes les violations des droits humains dans les zones rurales. Il faut que cesse toute forme d’intimidation et de violence envers les paysans ; celles-ci impliquent souvent des abus physiques et sexuels sur des femmes et des filles. Nous dénonçons les déplacement forcés et violents des populations rurales ainsi que la militarisation des campagnes.
1.4 La confiance en soi et le potentiel humain des femmes est cruellement affaibli par la répression et les abus dont souffrent beaucoup d’entre elles au sein de leur propre foyer. Nous nous engageons à respecter les femmes et à protéger leur droit de vivre, libérées de toute violence domestique et de toute répression.
2. La justice économique
2.1 Le modèle économique néolibéral qui force tout le monde à se soumettre à la concurrence mondiale est plus désavantageux et plus injuste pour les femmes. Il les prive des ressources nécessaires pour produire des aliments et les entraîne dans une lutte incertaine pour leur propre survie et pour celle de leur famille. Ce modèle entraîne des déplacements de populations rurales, des ruptures au sein des familles et des communautés, le chômage, des bas salaires et l’esclavage économique. Vía Campesina joue un rôle protagoniste en réclamant des accords économiques alternatifs qui donnent la priorité aux besoins des femmes et des enfants, au lieu de les reléguer aux dernières loges, comme on le fait habituellement.
2.2 Les femmes ont toujours eu – et auront toujours la responsabilité première de fournir des aliments à leurs familles et à leurs communautés. Pour accomplir cette tâche, elles doivent avoir personnellement accès à la terre. Nous nous engageons à veiller à ce que les femmes aient la sécurité de la propriété de la terre et un accès égal au crédit et à la formation nécessaires à l’amélioration de la production alimentaire.
2.3 Les femmes ont une longue tradition de récolter, choisir et disséminer des variétés de semences à usage alimentaire ou agricole. Elles sont les premières à protéger les ressources génétiques du monde et la biodiversité. Les connaissances traditionnelles des femmes devraient être reconnues et respectées. Leur habilité à poursuivre ce rôle vital de protéger de d’améliorer la biodiversité ne devrait jamais être mise à mal. Le futur des être humains en dépend.
2.4 Les femmes qui travaillent dans l’agriculture ou dans le secteur des services ruraux devraient recevoir le même salaire que les hommes. Les discriminations basées sur le sexe constituent une injustice fondamentale vis-à-vis des femmes. En plus d’être plus mal payées que les hommes, les femmes souffrent souvent de traumatismes physiques et psychologiques en raison du harcèlement qu’elles connaissent sur le lieu de travail. Pour des raisons économiques, elles sont obligées de supporter des conditions de travail malsaines et dangereuses. C’est intolérable
3. Le développement social
3.1 L’objectif que nous poursuivons est celui du développement rural. Celui-ci implique une réelle amélioration de la société humaine ainsi que l’augmentation de la production de marchandises industrialisées. Nous travaillons pour atteindre un développement rural qui améliore l’éducation des populations rurales, garantissant à tous les enfants le même accès à l’éducation.
3.2 Nous reconnaissons que dans le contexte mondial actuel, nous devons construire des liens de solidarité et d’interdépendance égalitaire pour éviter une dépendance esclavagiste vis-à-vis des sociétés transnationales. Pour résister à l’attaque du monde des entreprises et construire des communautés unies et régénératrices, Vía Campesina s’engage a respecter l’autonomie et la valeur humaine de tous les individus ainsi que les cultures uniques des communautés paysannes.
3.3 Les femmes rurales doivent avoir accès aux services de santé adéquats et appropriés. L’absence d’infrastructures de base en matière de santé (médicaments, professionnels présents dans les campagnes) provoque de nombreuses souffrances inutiles. Les services de santé ne doivent jamais être liés à la stérilisation forcée ou à l’acceptation de produits industriels tels que les aliments pour bébés.
3.4 Notre santé et celle des membres de nos familles sont menacées par les pollutions chimiques et le manque d’eau de bonne qualité qui résulte des systèmes de production moderne. Vía Campesina va continuer la lutte contre la destruction de l’environnement qui porte atteinte à la santé de nos familles comme à celle des écosystèmes.
PLANS D’ACTION
- Travailler à instaurer la parité entre hommes et femmes pour les prises de décision au sein de nos organisations, et ce aux niveaux local, national, régional et international.
- atteindre l’objectif de 50 % de femmes déléguées dans tous les comités et conférences de Vía Campesina.
- Inculquer aux femmes un esprit de leadership par des formations concrètes et la participation à des programmes.
- Encourager l’organisation d’ateliers sur les rapports hommes-femmes, auxquels participent les deux sexes.
- Veiller à ce que les femmes occupent des postes à responsabilité au sein des organisations paysannes et agricoles, tant locales, régionales, nationales qu’internationales.
- Continuer à établir activement des liens de solidarité entre les femmes paysannes et du monde rural membres de Vía Campesina, et ce par le biais d’une meilleure communication, de réunions, d’échanges et d’analyses collectives.
- Les questions liées à la disparité entre les sexes devraient être intégrées aux thèmes suivants chers à Vía Campesina : réforme agraire, biodiversité et ressources génétiques, droits de l’homme, souveraineté alimentaire et commerce, et enfin, agriculture paysanne durable. Il conviendrait d’élaborer une stratégie de campagnes publicitaires et d’information au public sur ces questions.
- Toutes les initiatives de Vía Campesina devraient être mises en œuvre et évaluées de façon à s’assurer qu’elles respectent l’égalité des droits pour les femmes.
- Tous les membres des organisations appartenant au mouvement Vía Campesina doivent accepter l’importance des questions relatives à l’appartenance à un sexe, une classe et une race, et les intégrer dans leurs procédures. Le problème épineux de l’inégalité entre les sexes peut être résolu dans les campagnes.
- Les organisations membres de Vía Campesina doivent établir et encourager des programmes d’alphabétisation, de sensibilisation et de formation politique dans les zones rurales. Vía Campesina demande que tous les hommes et toutes les femmes puissent bénéficier d’une éducation gratuite.
- L’Assemblée des femmes a révélé que les femmes veulent être sur un pied d’égalité avec les hommes et non les dépasser. Qui dit égalité dit nécessité d’un soutien social, psychologique, physique et économique.
C’est pourquoi Vía Campesina doit améliorer la coordination afin qu’il y ait une plus grande interaction entre les organisations du monde entier. Pour y parvenir, il est nécessaire que les coordinateurs de chaque pays s’efforcent ensemble de trouver des solutions aux problèmes qu’ils rencontrent au niveau national, et qu’ils travaillent en étroite coopération pour renforcer les travaux au niveau international.