Dublin : encore de la poudre aux yeux de la société civile!

Jakarta, 14-05-2010

L’Equipe Spéciale de Haut Niveau des Nations Unies sur la crise de la sécurité alimentaire mondiale (HLTF – High level Task Force) organise les 17 et 18 mai prochain à Dublin (Irlande) une réunion de consultation de la société civile pour actualiser le document qu’elle a produit en juillet 2008 appelé “Cadre Global d’Action”(CGA).

Ce rapport regroupe un ensemble d’actions préconisées à court, moyen et long terme pour que les gouvernements et les agences multilatérales des Nations Unies et du système de Bretton Wood apportent, selon les termes de Ban Ki Moon, « une réponse cohérente et coordonnée à la crise alimentaire mondiale ». A court terme, il s’agit d’améliorer l’accès à l’alimentation des populations les plus vulnérables et à plus long terme d’éviter que de nouvelles situations d’insécurité alimentaire se reproduisent.

Sur le principe, cette initiative semble répondre à l’attente de tous, mais dans les faits, elle est très critiquable sur plusieurs points

 

Le CGA a été écrit par quelques personnes de l’Equipe Spéciale de Haut Niveau et pour sa première mouture sans aucune consultation avec les gouvernements ou la société civile et notamment les premières personnes concernées par la flambée des prix alimentaires (les petits producteurs, les pêcheurs artisanaux, les pauvres urbains – hommes et femmes). Deux ans plus tard, l’opération de Dublin, et la consultation écrite que l’a précédée, vise donc à rattraper ce couac initial.

Mais cette consultation est avant tout un exercice de style. Son objectif n’est pas de construire une réponse en fonction des attentes de la société civile, mais plutôt d’obtenir des commentaires sur un ensemble de réponses préidentifiées. Pour les auteurs du CGA, les solutions à l’insécurité alimentaire sont le marché mondial, l’augmentation de la productivité et des investissements dans l’agriculture en ayant recours aux intrants et aux technologies apportées par l’industrie, la diminution des barrières tarifaires pour une plus grande circulation des produits, la conclusion rapide du cycle de Doha, le développement des investissements privés pour la production d’agrocarburants dans les pays en voie de développement. Le but est de transformer l’agriculture paysanne le plus vite possible en une agriculture industrielle. Or pour de nombreuses organisations de la société civile1, ces soi-disant réponses sont les causes mêmes des situations alimentaires critiques que traversent de nombreux pays. Plusieurs organisations ont donc refusé de prendre part à la consultation, biaisée d’avance, sur le CGA.

Pour la Via Campesina, au-delà d’un exercice de style, la consultation de Dublin est même une nouvelle tentative de la part de ceux qui cherchent à affaiblir le processus de réforme du Comité pour la Sécurité Alimentaire de la FAO (CSA).

En effet, les auteurs du Cadre Global d’Actions, et derrière eux les pays donateurs du G8, la Banque Mondiale, l’OMC verraient d’un très bon oeil leur rapport devenir le cadre stratégique que les gouvernements ont appelé de leur voeux en octobre dernier, lors de la réunion plénière du Comité pour la Sécurité Alimentaire. Les Etats ayant clairement exprimé leur volonté que le cadre stratégique prenne en compte l’expertise de la société civile, on comprend mieux la logique de la consultation de Dublin.

Cette logique est d’autant plus scandaleuse que les mêmes, lorsque cela les arrange, c’est à dire là où se prennent les véritables décisions sur l’affectation des fonds, réduisent au strict minimum leurs efforts de consultation de la société civile. Le cas du Programme mondial pour l’agriculture et la sécurité alimentaire de la Banque Mondiale (Global Agriculture and Food Security Program : GAFSP en anglais) est explicite puisque ce sont seulement quelques ONG bien choisies qui ont été appelées à fournir dans des délais très courts deux ou trois noms pour siéger en tant qu’observateurs dans le comité de pilotage du programme. Par ailleurs, il n’y a absolument aucune garantie sur l’influence que ce comité de pilotage aura sur des décisions en réalité prises par un groupe très restreint (le coordinateur de l’Equipe Spéciale de Haut Niveau, un directeur de la Banque Mondial et des représentants des pays donateurs ou de fondations privées).

Il y a donc une différence de fond entre ces tentatives de récupération (celle de Dublin ou celle du GAFSP) et le mécanisme de consultation de la société civile mis en place par le Comité pour la Sécurité Alimentaire de la FAO depuis plusieurs mois. La Via Campesina réaffirme son implication et son soutien au travail fait par le Comité International de Planification pour la Souveraineté Alimentaire, dont elle fait partie et d’autres organisations avec le CSA pour qu’un mécanisme de consultation de la société civile, transparent, ouvert, démocratique, et respectueux des caractéristiques de la société civile aboutisse.

Le Cadre Global d’Actions rédigé par le sécrétariat de l’Equipe Spéciale de Haut Niveau est un document purement administratif et non une déclaration d’intention négociée par les gouvernements. Il est une contribution parmi d’autres au cadre stratégique que doit élaborer le Comité pour la Sécurité Alimentaire de la FAO. Autres contributions, a notre avis tres importantes, sont l’Evaluation Internationale des Sciences et Technologies Agricoles pour le Développement, les directives de la FAO sur le droit à l’alimentation et le document « Politiques et actions pour éradiquer la faim et la malnutrition »)°.

 

 

)° 250 organisations et 800 individus soutiennent le document “Politiques et actions pour éradiquer la faim et la malnutition” (disponible sur le site www.eradicatehunger.org).

 

 

 

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