Depuis nos villages vers New Delhi et Genève: Les paysans indiens manifestent contre l’OMC
(New Delhi, 8 septembre 2009) Le Comité indien de coordination des mouvements de paysans comprenant des organisations telles que Bhartiya Kisan Union et Karnataka Rajya Ryota Sanghe, membres de La Via Campesina, a organisé une manifestation de plus de 50.000 personnes le 3 septembre à New Delhi. Ce jour là, avait lieu l’inauguration de la mini réunion ministérielle informelle de l’OMC organisée par le Gouvernement indien à Delhi. L’Inde a lancé le signal que finalement on est sorti de l’impasse de Doha Round et que la libéralisation et la “corporatisation” de l’agriculture dans le cadre de l’Organisation mondiale du Commerce pourrait finalement être conclue en 2010. Ce qui va mettre en danger les moyens de subsistance de plus des 2/3 du milliard d’habitants de l’Inde.
Les manifestants, paysans et paysannes, sont arrivés en train, en bus et à pied depuis tous les coins du pays portant des pancartes avec l’inscription “L’agriculture en dehors de l’OMC ”, protestant ainsi contre l’initiative du gouvernement indien pour relancer l’OMC. Les leaders des mouvements de plusieurs Etats ainsi que Henry Saragih, leader de l’Union des Paysans d’Indonésie et coordinateur général de La Via Campesina se sont adressés aux paysans et paysannes des Etats d’Uttar Pradesh, du Punjab, Haryana, Madhya Pradesh, Himachal Pradesh, Rajasthan, Maharashtra, Uttranchal et Karnataka. Certains manifestants ont franchi les barricades dressées par la police, arrêtés et emmenés au commissariat de police de Parliament Street. 51.000 personnes furent arrêtées pour avoir désobéi aux consignes de la police mais furent rapidement relâchées.
Les mouvements indiens, membres de Via Campesina, ont organisé diverses actions en plus des manifestations de masse pour lutter contre l’OMC. Ils ont d’abord eu, le 1er septembre, une réunion avec le Ministre du Commerce où il leur a été promis que l’Inde ne trahirait pas ses paysans. Pour autant, le Ministre n’a pas tenu ses promesses au cours des négociations. Ils co-organisèrent également une réunion stratégique nationale avec d’autres organisations comme les syndicats. De plus, ils ont remis une lettre au Gouvernement indien faisant part de leur indignation au motif que le Gouvernement de l’Inde s’est précipité de façon soudaine pour conclure le Doha Round qui menace surtout l’existence même de millions de paysans et d’agriculteurs en octroyant la priorité et le contrôle du commerce mondial de l’agriculture aux acteurs agricoles largement subventionnés des pays développés. Ils firent savoir qu’ils étaient scandalisés par le fait que, contrairement à ses engagements démocratiques, le Gouvernement indien a progressé au niveau de divers Accords de Libre Echange et des négociations avec l’OMC dans le plus grand secret et sans chercher à ouvrir des consultations ou des débats.
L’Inde a perdu de plus en plus de terrain face aux pays développés, en particulier face aux Etats-Unis, dans les négociations sur les seuls mécanismes qui pourraient la protéger contre la dévastation de son secteur vital de l’agriculture – ‘Produits spéciaux’ (SP) et ‘Mécanismes spéciaux de sauvegarde’ (SSM). A titre d’exemple, l’Inde ne peut que protéger huit ou neuf de ses cultures des réductions tarifaires douanières et seulement 5% de ses produits agricoles. Ce qui est ridicule pour un pays qui est l’une des 12 méga-régions du monde avec une diversité agricole de plus de cent cultures dans plus de 15 zones agro-climatiques et avec des traditions culturelles humaines y étant associées. En outre, le SSM, destiné à éviter l’augmentation des importations, est devenu complètement impraticable du fait qu’on y a ajouté plusieurs ‘termes et conditions’. Ces mesures de protection apparentes sont totalement inefficaces. Sans compter que les Etats Unis ont fait pression pour avoir un accès au marché sur des cultures spécifiques telles que le maïs, le riz, le coton et le soja — cultures largement subventionnées et objet de dumping sur les marchés mondiaux mais source de revenus pour des millions de paysans et d’ouvriers agricoles en Inde.
Il ne s’agit pas uniquement de perte de revenus pour les paysans, mais également de la question portant sur le modèle d’agriculture actuellement encouragé par l’OMC – à savoir une agriculture intensive industrielle et chimique, destructrice de l’environnement et aux mains des grandes entreprises agricoles des Etats Unis. L’Inde possède une riche tradition d’agriculture paysanne qui est en train d’être détruite par une politique de libre échange complètement absurde.
“Le 1er septembre, au cours d’une réunion avec les leaders paysans, le Ministre Sharma nous a promis qu’il n’irait pas contre les intérêts des paysans indiens lors des négociations OMC. Or, par la suite, il a fait volte face et a approuvé un texte sur l’agriculture qui ne permet de protéger que 5% de notre agriculture contre la réduction des droits de douane. En outre, les mécanismes de sauvegarde sont inefficaces et ne vont pas protéger nos paysans contre les produits subventionnés en provenance des Etats-Unis et de l’Union européenne. Ceci constitue une véritable trahison pour les 65 communautés de paysans qui sont déjà anéanties par la crise agricole en Inde.”, déclare Yudhvir Singh de Bharatiya Kisan Union ( BKU) et coordinateur de La Via Campesina pour l’Asie du Sud. ‘Nous allons donc intensifier nos mobilisations à niveau local et national jusqu’à ce que le Ministre Sharma et le Premier Ministre satisfassent leurs promesses de protéger les moyens d’existence de nos paysans. ’
Les paysans indiens de Via Campesina se sont engagés à se battre contre l’injustice du système OMC quelque soit l’endroit où il sévit. Ils prévoient de mettre en place une chaîne de mobilisations à travers toute l’Inde à partir des villages jusqu’à la réunion de l’OMC à Genève fin novembre. A Genève, les paysans indiens et les paysans du reste du monde se mobiliseront avec La Via Campesina pour défendre leur vision d’un système agricole alternatif et d’un monde de paix, de diversité, de justice et de dignité. Leur lutte pour maintenir l’agriculture en dehors de l’OMC est un pas en avant important visant à protéger l’alimentation et la diversité de la majorité des habitants de notre monde, leurs cultures et leur environnement.