Déclaration des droits des paysan·nes, un outil de lutte pour la terre
Après 4 ans de la Déclaration, découvrez quelques réalisations et défis du mouvement paysan pour la mettre en œuvre #LVC30Ans
Par Capire
Le 17 décembre 2018, la Déclaration des droits des paysans a été approuvée par les Nations Unies (ONU). Cette réalisation a été une grande victoire pour les mouvements de la campagne, qui ont entrepris un long processus pour construire les bases politiques fondamentales de la Déclaration, la rédiger et la proposer comme instrument juridique international. Aujourd’hui, exactement quatre ans plus tard, certaines expériences d’utilisation de la Déclaration pour revendiquer des droits et proposer des politiques publiques commencent à être testées.
« Quatre ans après la Déclaration, il est temps de regarder un peu en arrière et de dire que nous avons progressé dans la reconnaissance de notre identité culturelle, territoriale et professionnelle en tant que paysans et paysannes dans le monde », suggère la militante paysanne Perla Álvarez, et elle continue : « dans cette diversité, nous formons la paysannerie. Qu’ils nous aient reconnus à travers cette déclaration est une étape très importante. » Perla Álvarez est membre de la Coordination nationale des organisations de travailleuses rurales et autochtones [Coordinadora Nacional de Organizaciones de Mujeres Trabajadoras Rurales e Indígenas – Conamuri] et du Collectif des droits des paysans de La Via Campesina [Colectivo de Derechos Campesinos de la Vía Campesina].
« Nous sommes très reconnaissantes pour toute la lutte de ces quatre années », a déclaré Martha Elena Huertas Moya, qui fait partie du Collectif des droits humains de la Coordination latino-américaine des organisations rurales [Coordinadora Lationamericana de Organizaciones del Campo – CLOC-Via Campesina] et qui est également membre de la Fédération Nationale des Coopératives Agricoles [Federación Nacional de Cooperativas Agropecuarias – Fenacoa]. « La Via Campesina réalise un plan très important de plaidoyer, de pression et de diplomatie face aux Nations Unies, aux différents gouvernements et aux espaces institutionnels pour la reconnaissance des droits des paysans et paysannes ».
Selon Perla, cela n’a été possible qu’en raison d’une stratégie de formation d’alliances politiques, qui doit continuer à être articulée et renforcée. S’assurer que la Déclaration soit largement considérée et utilisée dépend aussi, selon elle, « que nous, en tant qu’organisations, ayons une compréhension approfondie de la Déclaration, que nous la prenions comme notre instrument de lutte et que nous diffusions nos défis ».
Martha explique que le processus d’installation de la Déclaration des droits des paysans dans la région Amérique latine et Caraïbes comportait plusieurs étapes, et la première consistait précisément à la diffuser en interne dans les organisations membres de la CLOC, avec des réunions, des séminaires, entre autres activités de formation et de débat qui sont d’une grande importance pour le renforcement de l’organisation elle-même et de ses propositions. « La reconnaissance de la Déclaration a toujours fait partie de la ligne politique qui nous avions dans les organisations de CLOC en Colombie, en positionnant le discours sur les droits qu’elle reconnaîtrait, comment cela se ferait et quelle était la voie à suivre pour que nous puissions la réaliser », explique Martha.
« L’un de nos défis est la mise en œuvre de la Déclaration dans les politiques publiques », résume Perla. « Nous voulons que les politiques liées à la terre et au territoire partent des concepts appliqués dans la Déclaration : qu’elles partent du sujet paysan, du droit à la terre, au territoire, aux biens naturels pour la production, au droit à l’organisation et au respect des libertés fondamentales ». Il y a aussi le défi d’avancer dans la création d’un mécanisme institutionnel qui garantisse, dans le cadre des organisations internationales, le suivi de la Déclaration, « pour qu’elle puisse être utilisée pour parler de la jeunesse rurale, des femmes, du développement, de la production de semences », défend-elle.
Dans chaque lieu, la manière dont les usages de la Déclaration sont proposés est différente selon le niveau des différends politiques en jeu. « En Colombie, nous savions qu’il fallait commencer par diffuser la Déclaration à l’Assemblée législative, en plus de demander au Ministère des Relations internationales et au Ministère de l’Agriculture de l’intégrer dans leur portefeuille. » Les organisations paysannes ont pu avoir plus d’espace pour la proposition politique avec la récente victoire des gouvernements de Gustavo Petro et Francia Márquez, dans le cadre du projet « Colombie : puissance mondiale de la vie ».
À partir de ce nouveau moment politique, la première Convention nationale paysanne s’est tenue, avec la présence de 2 500 paysans et paysannes. Selon Martha, « le gouvernement a discuté avec la paysannerie de la manière de faire une politique publique agraire et rurale, et la base de tout cela est la Déclaration ». Les négociations jettent les bases de trois éléments importants : une réforme rurale globale, la restitution des terres et la création d’une juridiction agraire et rurale spéciale. « Parler de restitution est important, car l’expropriation était l’une des dénonciations fondamentales des actes de victimisation dans ce pays », déplore la militante.
Dans la Convention nationale paysanne [Convención Nacional Campesina], l’élément clé a été la création de l’Assemblée de la paysannerie, dans laquelle les politiques publiques seront définies pour la structure administrative de la Colombie, au niveau des départements, des municipalités et des localités. « En bref, la Déclaration que Via Campesina a créée conçue, défendue et positionnée en Colombie est aujourd’hui une réalité qui donne l’espoir d’une nouvelle condition de la paysannerie colombienne », déclare Martha.
Il existe déjà plusieurs expériences d’utilisation concrète de la Déclaration dans le monde entier. En Amérique latine, il y a aussi le cas du Paraguay : la Déclaration est utilisée comme argument valable pour sanctionner le pays comme violateur des droits des paysans en cas de décès par empoisonnement aux pesticides. En Argentine, elle a également servi d’argument pour restituer des territoires aux communautés paysannes et autochtones. Pendant ce temps, à Cuba, la loi sur la souveraineté alimentaire et la sécurité alimentaire et nutritionnelle [Ley de Soberanía Alimentaria y Seguridad Alimentaria y Nutricional] a été approuvée, qui est entrée en vigueur le 28 octobre 2022 et a été inspirée par la Déclaration des droits des paysans, selon Adilen Roque, porte-parole de l’Association nationale des petits agriculteurs [Associación Nacional de Agricultores Pequeños -ANAP), membre de Via Campesina.
D’autres pays utilisent la Déclaration pour la reconnaissance du sujet paysan, historiquement assez oublié dans la législation. Dans les pays asiatiques également, comme l’Indonésie et l’Inde, la Déclaration commence à être utilisée pour garantir les droits de la paysannerie en termes de production, de garantie du marché et de reconnaissance en tant que sujets de droits. Pour Perla, ces expériences très concrètes « démontrent la validité d’un instrument des droits humains au niveau international tel que la Déclaration ».
Vivre ces changements approfondit la lutte et augmente la volonté de s’organiser. Pour les femmes, l’espoir les anime aussi dans la construction du féminisme paysan et populaire et dans leur renforcement dans les espaces de leadership, face au machisme et à la surcharge de travail. Martha l’explique très bien : « L’expérience d’être dans des organisations paysannes dirigées par des femmes nous a ouvert de belles possibilités d’être entendues, d’être suivies, d’être reconnues, d’être admirées, d’être soutenues, d’être vraiment valorisées. Ce sont d’autres langages, d’autres valeurs, d’autres principes, où nous ne voulons pas briller individuellement, parce que nous sommes un collectif de femmes qui font du leadership une réalité. La reconnaissance des droits paysans nous donne la possibilité d’exiger, d’un nouvel endroit, la fin du féminicide, de la violence, de la hiérarchie patriarcale ».
La possibilité d’avoir des droits, de les vivre, de les revendiquer et de les construire a également été un éveil à la conscience de ce que nous sommes en tant que femmes dans une société patriarcale. À la campagne, les expériences des femmes sont terriblement douloureuses, à commencer par l’expérience paysanne. Le machisme s’exprime de nombreuses manières, à partir de différentes violations et violences. Le féminisme paysan et populaire est un slogan que nous devrons concrétiser et continuer à construire. Chaque jour, nous nous efforçons de lire, d’écrire, de nous écouter, de nous comprendre. La déclaration nous apporte une richesse infinie, appelant les jeunes, les femmes, les diversités et les personnes d’âges et de cultures différentes pour admirer la possibilité de transformation.Martha Elena Huertas Moya
La Via Campesina célèbre 30 ans de luttes, d’espoirs et d’organisation avec le tag #LVC30ans. En novembre 2023, elle célébrera sa VIIIe Conférence internationale et sa VI Assemblée des femmes de la campagne [VI Asamblea de Mujeres del Campo]. Ce seront des espaces de débat, d’évaluation et de construction collective du mouvement paysan au Nicaragua, sur lesquels il y aura un large processus de couverture de communication collaborative et militante.
Rédaction par Helena Zelic
Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves
Langue originale : espagnol
Cette publication est également disponible en English.