Unissant Agriculture Locale et Militantisme International
Cet article a été publié à l’origine par “Laborari”, hebdomadaire d’information du syndicat paysan ELB du Pays Basque (France)
Interviewé : Jean Thevenot, paysan à Sauguis, producteur de plants maraîchers bio.
Tu es paysan à Sauguis…
Je suis Jean Thévenot, installé à Sauguis en production de plants maraîchers bio. Après une première saison en 2021 en couveuse avec Trebatu, nous nous sommes installés en GAEC avec un ami. Nos plants sont à destination des maraîchers professionnels et des particuliers. En activité secondaire, on fait aussi du maraîchage.
… et engagé à la Via Campesina?
J’ai toujours été militant et engagé. Je connais la Conf’ depuis longtemps et quand j’étais étudiant, j’étais aux Amis de la Conf’. Dès que je me suis installé, j’ai adhéré à ELB. Et comme ce sont les questions internationales qui m’intéressent, j’ai rejoint la commission internationale de la Conf’.
C’est quoi la Via Campesina ?
La Conf’ fait partie d’un réseau international, La Via Campesina, qui a été crée en 1993. À l’origine, il s’agissait d’un rassemblement entre des organisations paysannes d’Europe et d’Amérique du Sud dont l’objectif était la défense des petits paysans au niveau international. C’était à ce moment-là les débuts de la mondialisation, des accords de libreéchanges, de commerce… et ils voyaient que les défis dépassaient l’échelon national. L’idée de la Via c’est de faire la même chose que les syndicats : défendre le droit des petits paysans, le droit à la terre, le droit à un revenu digne, la protection contre l’agro-industrie, l’agriculture paysanne etc. mais de le faire au niveau international et donc d’influer sur les Nations-unies, sur l’OMC, etc. Petit à petit le mouvement s’est élargi, des organisations d’Afrique, d’Amérique du Nord, d’Asie ont rejoint La Via Campesina. Aujourd’hui elle compte plus de 200 millions de membres dans plus de 85 pays.
Comment s’organise-t-elle ?
Il y a 3 échelles au niveau de La Via Campesina. L’échelon des membres qui sont des syndicats, des coopératives ou des associations. Ensuite toutes ces organisations sont réunies par région, il y en a neuf dans La Via dont la région Europe : ECVC (Coordination Européenne de la Via Campesina). Et ces neuf régions ensemble forment La Via Campesina. Tous les 4 ans une conférence est organisée où sont décidés les axes de travail pour les 4 prochaines années. Pour donner un exemple concret, depuis 10 ans, une des priorités était la déclaration des droits des paysans UNDROP “La Déclaration des Nations unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales”. Grâce à la taille de notre mouvement, à l’influence que l’on a, on a pu travailler directement avec les Nations Unies et cette déclaration a été votée à l’AG de l’ONU à New York en 2018. C’est une victoire énorme. Il y a eu une écrasante majorité de vote en faveur de cette déclaration qui est donc entrée en vigueur. Elle est très progressiste, en faveur du droit à la terre, aux semences, à l’eau, à un revenu digne, etc. Les USA, Israël.. ont voté contre et quelques pays comme la France se sont abstenus.
“La Via Campesina compte plus de 200 millions de membres dans plus de 85 pays. Grâce à son influence, elle a fait voter la “Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans” à l’ONU”
Jean Thevenot
Quand la prochaine conférence?
La prochaine va avoir lieu en Colombie en décembre. On attend 500 délégués de partout dans le monde, et avec les interprètes, il y aura plus de 800 personnes. Les deux personnes qui représentent la Conf officiellement au niveau national et international vont y aller : Laurence Marandola et Pierre Maison, respectivement. Peut être moi même participerai aussi.
Tu es allé en Indonésie il y a peu ?
Je suis un des délégués pour l’Europe de l’articulation des jeunes de La Via Campesina. Et dans ce cadre-là, on a eu une assemblée des jeunes en Indonésie fin mai. C’était une assemblée pour préparer ce que les jeunes vont aller porter en Colombie. Il y a deux grandes lignes prioritaires qui sont ressorties : l’importance du renouvellement générationnel qui implique l’accès au foncier, aux moyens de production etc.; et la question de l’agroécologie, avec l’idée de travailler sur la technique via la proposition de création d’écoles paysannes dans chaque région.
Tu suis d’autres dossiers ?
Je travaille sur les questions climatiques. C’est dans ce cadre-là que je suis allé à la COP à Glasgow il y a deux ans. Au niveau Européen notre axe de travail principal en ce moment est la lutte contre la logique de compensation. Avec ce système, ils vont continuer à polluer, à détruire l’environnement, et vont compenser la destruction en faisant des choses ailleurs. C’est une logique de capitalisme vert, c’est très lié à la finance. D’abord, ça permet à de grandes entreprises de continuer à détruire l’environnement
et à polluer. Ensuite pour compenser, elles mettent beaucoup d’argent sur la table et il y a beaucoup de spéculation. Et enfin, les paysans se font expulser de leurs terres dans le cadre de ces projets. Il y a dix ans on le voyait déjà en Afrique, et maintenant en Europe. Nous on demande à avoir de vraies politiques climatiques.
Que retiens-tu de ton implication ?
Si je fais tout ça, c’est parce que j’ai grandi en Afrique et en Asie, je me considère un peu citoyen du monde. Si c’est régler les problèmes chez nous pour les transférer ailleurs, je trouve que ça ne sert à rien. J’aime cette logique de travailler avec des paysans du monde entier. En plus j’ai l’impression qu’aujourd’hui la plupart des décisions importantes sont prises au niveau mondial. C’est prenant, en plusieurs langues, avec des réunions en ligne etc. Mais, en parallèle, ce qui est génial, c’est la chance de pouvoir échanger avec des paysans de partout. C’est beau de se retrouver et de voir tout ce qu’on partage.
Crédits :
Traduction au français : Roxanne Mitralias
Rédaction : “Zuentzat”
Directeur de publication : Beñat Bidegain
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