Une victoire de haute lutte pour la défense des droits des paysannes et des paysans
Une résolution de l’ONU évoque un nouvel instrument international de promotion et de protection des droits des paysans et autres personnes vivant dans les zones rurales
Le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU a adopté une résolution décisive qui évoque un nouvel instrument pour les droits des paysans et autres personnes vivant dans les zones rurales, estimés à 1.2 milliard d’individus. La résolution (A/HCR/21/L23) est historique compte tenu du rôle clé des paysannes et des paysans dans la production alimentaire. Elle fait suite à des défis urgents tels que les conflits grandissants sur les terres, l’eau, les prix alimentaires et les crises climatiques.
La résolution du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU a été adoptée le 27 septembre après que 23 Etats membres ont voté pour, 15 se sont abstenus et neuf ont voté contre (1).
La résolution se fonde sur le rapport du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme de l’ONU intitulé Final study of the Human Rights Council Advisory Committee on the advancement of the rights of peasants and other people working in rural areas (Etude finale du Comité consultatif du Conseil des droits de l’Homme sur la promotion des droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales, A/HCR/19/75). Cette étude avait été adoptée lors de la 19e session du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU (mars 2012). Au cours de cette session, la résolution sur le droit à l’alimentation avait été adoptée par consensus.
Mettre fin à la discrimination des paysannes et des paysans et présenter à l’ONU des alternatives à appliquer conformément à son mandat a été un combat difficile et de longue haleine pour La Via Campesina. L’ONU a fixé une norme de promotion et de protection des droits de l’homme des paysans. La résolution sur les droits des paysans s’inscrit dans la lignée de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Le mouvement provoqué en faveur de cette reconnaissance et d’une protection accrue des droits des paysannes et des paysans est un processus surgi de la base. Il a commencé il y a 12 ans en Indonésie lorsqu’un membre de La Via Campesina, Serikat Petani Indonesia (SPI), a lancé l’initiative aux niveaux régional et international. La Déclaration des droits des paysannes et des paysans a été le fruit de la Conférence internationale sur les droits des paysans (2008, Jakarta). Après avoir consulté ses membres dans le monde entier, La Via Campesina a présenté l’initiative à l’ONU.
En adoptant cette résolution, l’ONU reconnaît qu’il est impossible de s’attaquer à la faim sans prendre en compte les paysans. Ils jouent un rôle essentiel dans l’éradication de la faim, de la pauvreté et des problèmes liés au climat. Cette résolution reconnaît le fait que l’ONU devrait engager un processus de réflexion entre les nations avec les paysans et autres personnes vivant dans les zones rurales.
En outre, l’ONU a également fixé des missions spécifiques aux gouvernements nationaux afin de mettre en œuvre des programmes et des politiques de promotion de la souveraineté alimentaire, d’amélioration des moyens de subsistance en milieu rural et de protection des paysans. Les gouvernements nationaux sont reconnus comme des acteurs juridiquement responsables de la protection des droits de l’homme, surtout en matière d’alimentation et de moyens de subsistance des paysans. Des acteurs extraterritoriaux peuvent causer les problèmes susmentionnés, mais l’État nation est le premier acteur à réagir.
Enfin, la résolution implique aussi que l’ONU reconnaisse désormais que les paysans et autres personnes vivant dans les zones rurales sont des acteurs et des parties qui ont des droits fondamentaux à défendre. La reconnaissance complète recouvre les petits exploitants agricoles, les travailleurs agricoles, les populations autochtones, les paysannes et les gens sans terre du monde entier, les communautés de pêcheurs, les différents groupes qui travaillent dans les zones rurales, et plus particulièrement les agriculteurs, les petits propriétaires terriens, les travailleurs sans terre, les pêcheurs, les chasseurs-cueilleurs.
« L’importance de cette résolution pour les paysannes et les paysans et, plus largement, pour la cause des droits de l’homme, ne saurait être sous-estimée. En adoptant la résolution, nous faisons aussi un autre grand pas vers la promotion et la protection des droits des paysans – et des droits humains et des libertés fondamentales de tous » a déclaré Henry Saragih, coordinateur général de La Via Campesina.
Mais il a averti que « malgré ces progrès, les paysannes et les paysans sont toujours confrontés à la marginalisation, l’extrême pauvreté et d’autres violations. On nous prend souvent pour des criminels et nous constituons le deuxième groupe de défenseurs des droits de l’homme risquant le plus d’être tués en raison de nos activités dans le domaine des droits fonciers et des ressources naturelles. De plus, les paysans sont confrontés à des problèmes particuliers d’accès à la justice pour se protéger des actes qui violent leurs droits fondamentaux, ce qui conduit à des situations d’impunité généralisée. »
« La faim, à l’instar de la pauvreté, est en effet encore un problème essentiellement rural. Au sein de la population rurale, ce sont les producteurs de denrées alimentaires qui en souffrent de manière disproportionnée, surtout dans les pays en développement. Le Comité consultatif a conclu dans son étude finale que les instruments internationaux existants sur les droits de l’homme sont encore insuffisants pour protéger pleinement les droits des paysans et autres personnes vivant dans les zones rurales » a déclaré l’ambassadrice de Bolivie, Angelica Llanos, au Conseil dans son discours sur la résolution.
L’Etat plurinational de Bolivie a effectué la toute première démarche pour une résolution sur la protection spéciale des paysans et son suivi par le biais de mécanismes relatifs aux droits de l’homme. Il a œuvré à ce sujet dans un groupe restreint, de concert avec l’Afrique du Sud, l’Equateur et Cuba.
Enfin, la résolution prévoit que le Conseil des droit de l’homme de l’ONU décide de créer un groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée chargé de négocier puis de présenter au Conseil des droits de l’homme un projet de déclaration sur les droits des paysans et autres personnes vivant dans les zones rurales, sur la base du projet présenté par le Comité consultatif.
L’article 1 donne une définition du paysan et des autres personnes travaillant dans les zones rurales. Elle réaffirme leurs droits à la vie et à des conditions de vie appropriées (art. 3) ; leur droit aux libertés d’association, d’opinion et d’expression (art. 12) et leur droit à l’accès à la justice (art. 13). En outre, elle reconnaît de nouveaux droits qui pourraient renforcer leur protection contre les discriminations. Cela inclut le droit à la terre et au territoire (art. 4) ; le droit aux semences et aux savoirs et pratiques agricoles traditionnels (art. 5) ; le droit aux moyens de production agricole (art. 6) ; le droit à l’information et aux technologies agricoles (art. 7) ; la liberté de déterminer les prix et les marchés de la production agricole (art. 8) ; le droit à la protection des valeurs agricoles locales (art. 9) ; le droit à la diversité biologique (art. 10) ; et le droit à la préservation de l’environnement (art. 11).
La Via Campesina accueille favorablement la résolution et partage la détermination de ce groupe restreint de pays à développer un mécanisme de protection. Le Mouvement paysan international cherchera à obtenir la coopération internationale des Etats, de la société civile et de toutes les parties prenantes intéressées à contribuer activement et de manière constructive à cette initiative.
C’est en effet une petite victoire pour les paysans du monde entier. La lutte continue.
(1) Votes en faveur de la résolution (23): Angola, Bangladesh, Benin, Burkina Faso, Cameroon, Chile, China, Congo, Costa Rica, Cuba, Djibouti, Ecuador, Guatemala, India, Indonesia, Kyrgyztan, Malaysia, Peru, Philippines, Russian Federation, Thailand, Uganda, Uruguay.
Abstentions (15): Botswana, Jordania, Kuwait, Libya, Maldives, Mauritania, Mauritius, Mexico, Nigeria, Norway, Qatar, Republic of Moldova, Saudi Arabia, Senegal, Switzerland.
Votes contre la résolution (9): Austria, Belgium, Hungary, Italy, Czech Republic, Poland, Romania, Spain, United States