Sénégal : La culture du mil mise en péril par les importations
Ndiakhate Fall est exploitant familial dans la région de Thiès au Sénégal. Aujourd’hui, 80% des produits horticoles du pays, 20% de l’arachide et 30% du mil sont cultivés dans cette région par ailleurs touristique.
Ndiakhate est actif au sein du CNCR (commission nationale de concertation des ruraux), organisation sénégalaise membre de La Via Campesina et représente la région Afrique 2 au comité de coordination international de La Via Campesina. Il est venu à plusieurs reprises à Genève pour défendre le projet d’une déclaration internationale de l’ONU sur les droits des paysans.
Que produisez-vous?
Sur 15 à 17 hectares je cultive de l’arachide, du niébé et du mil. J’élève aussi 8 bœufs et 15 ovins. Le mil est la base alimentaire du Sénégal; particulièrement en milieu rural. C’est un produit culturellement symbolique qui est utilisé pour célébrer les naissances, les mariages ou les cérémonies funèbres. Il peut être vendu à l’état brut ou décortiqué en brisure, farine, granulé ou couscous. Après la récolte, je conserve les quantités nécessaires à la consommation familiale et le reste est vendu. La vente se fait au coup par coup sur les marchés hebdomadaires, en fonction des liquidités nécessaires. Je ne vends jamais le tout au moment de la récolte, car les prix sont très bas. Les commerçants sont peu nombreux et s’accordent en général sur les prix. Nous, paysans, nous sommes plus nombreux et n’arrivons pas à obtenir un bon prix. Toute la vente est informelle, il n’y a pas circuit officiel et les prix fluctuent en fonction de l’offre et de la demande des grandes villes.
Les organisations paysannes cherchent-elles à structurer la vente?
Nous avons mis en place un système d’achat et stockage auprès de nos producteurs pour prévenir la période de soudure (entre la fin des réserves et la prochaine récolte). Nous achetons à nos membres à un prix rémunérateur, plus élevé que le marché, et nous stockons. Quand le prix du marché se reprend, nous revendons moins cher à la population de la zone que le prix du marché; les bénéfices réalisés permettent de faire des ristournes aux producteurs qui nous ont vendu leur récolte. Cela évite qu’ils bradent leur production à bas prix.
Quels produits fait-on à base de mil ?
Nous faisons du couscous, des bouillies, des galettes, des beignets et nous cherchons à développer des produits pour les substituer au riz importé avec notamment la vulgarisation du dugubu jenn (mil au poisson).
Estimez-vous que les importations freinent votre production?
Indéniablement! Les produits comme le maïs argentin, le blé européen ou le riz thaïlandais arrivent à très bas prix. Ils concurrencent le mil, mais aussi notre riz local qui est de très bonne qualité, mais environ 15 % plus cher. De plus, le riz local est moins bien distribué que le riz importé, car les commerçants font moins de marge et ne s’y intéressent guère. Certains producteurs ont fortement réduit les surfaces cultivées de mil pour se limiter tout juste à la satisfaction des besoins en céréales de la famille. La sécurité alimentaire de la population rurale est fortement atteinte par cette concurrence déloyale. Le blé importé à bas prix a permis au pain industriel d’envahir nos marchés et nos villages les plus reculés et à concurrencer la bouillie de mil au petit déjeuner. C’est pourquoi nous cherchons à développer un pain traditionnel qui comporterait au moins 50% de farine de mil.
Quelles seraient vos exigences?
Il faut tout mettre en œuvre pour favoriser la production et la consommation locale. Pour l’oignon, le gouvernement a décidé de bloquer les importations au moment de la production indigène. Au début, les importations étaient bloquées pendant 3 mois, puis pendant six mois, car nos producteurs ont pu trouver un marché rémunérateur et la production nationale a connu une forte hausse. Ainsi, j’estime que nous pourrions rapidement atteindre l’autosuffisance pour autant que les frontières jouent leur rôle. Ceci est également valable pour le riz. Deuxièmement, il faut que l’État accompagne les producteurs pour vulgariser les techniques permettant d’augmenter la productivité (utilisation d’engrais organiques ou de petite mécanisation, accès aux crédits acceptables) et que nous puissions mettre en place des circuits de commercialisation pour obtenir des prix rémunérateurs. Dans le cas du mil, de bonnes techniques et un marché juste permettent d’augmenter la productivité de près de 50%. Enfin, il faut que la population soit sensibilisée à l’origine des produits et aux questions sanitaires; l’État doit effectuer des contrôles qualité sur les importations.
Les produits transformés vous font-ils également du tort?
Bien sûr! Alors que nous avions de petites unités de transformation dans les villages qui permettaient de créer des emplois ruraux et valoriser nos produits, celles-ci ont été concurrencées par l’arrivée massive de biscuits européens en tout genre, de farine précuite ou autres concentrés permettant de faire des jus. Les consommateurs ont ainsi délaissé nos fruits et produits locaux ou nos beignets de mil pour manger des biscottes de mauvaise qualité nutritionnelle.
Propos recueillis par Valentina Hemmeler Maïga. Article paru dans le journal d’Uniterre de janvier 2016