Prix paritaires, gestion de l’offre et revenus équitables pour les exploitations agricoles familiales : Une note des États-Unis
Des paysans et petits producteurs alimentaires et familiaux se mobilisent d’un continent à l’autre pour exiger des salaires équitables, des prix justes pour leurs produits et de meilleures réglementations au sein du commerce agricole. De notre côté, chez La Via Campesina, nous avons entamé un processus d’étude de cas au sujet de la gestion de l’offre au fil de l’histoire, et ce, dans différents pays.
L’expérience des États-Unis illustre clairement que la « gestion de l’offre » ne peut fonctionner sans un prix minimum garanti ajusté à l’inflation. George Naylor, de Family Farm Defenders, explique le pourquoi dans sa note ci-dessous.
De violentes manifestations concernant les prix des denrées alimentaires ont eu lieu en Amérique du Nord avant même que les colonies ne deviennent les États-Unis d’Amérique. Plus récemment, les populistes des années 1880 et 1890 ont mené un mouvement dans de nombreux États agricoles, exigeant au gouvernement fédéral de créer des entrepôts agréés pour y entreposer leurs récoltes comme garantie aux prêts dans l’espoir d’atténuer les faibles prix qui les affligeaient toujours lors des récoltes.
Une dépression agricole frappe tout juste après la Première Guerre mondiale. Pendant les Années folles, les agriculteurs perdent leurs exploitations et se retrouvent dans la pauvreté. Paradoxalement, des critères de prêt laxistes et une forte spéculation engendrent une période de prospérité et de folie dans les villes. La dépression agricole s’intensifie au début de la Grande Dépression en 1929. Le président conservateur de l’époque, Hoover, soutenait fermement le marché libre, c’est-à-dire l’absence d’intervention de l’État dans l’économie. En réponse, les manifestations des agriculteurs se multiplient jusqu’en 1933 lorsque le président Franklin Delano Roosevelt commence à s’attaquer sérieusement aux problèmes soulevés. Cette nouvelle ère, caractérisée par Roosevelt et un ensemble de programmes gouvernementaux, a été dénommée le New Deal. La sécurité sociale est établie et les travailleurs obtiennent le droit de se syndiquer. Malgré les premières interventions du New Deal visant à diminuer l’offre, les producteurs et agences gouvernementales ne parvenaient toujours pas à réduire les prix de manière fiable. De toute évidence, un grand nombre de ces tentatives étaient expérimentales et les bonnes intentions ont été sacrifiées sur l’autel de l’opportunisme politique. Au cours des années 1930, la parité des prix est devenue un objectif des programmes agricoles du New Deal.
Par conséquent, entre 1941 et 1952, les fermiers recevaient en moyenne des prix comparables ou supérieurs aux prix « paritaires ». Cela signifie que le pouvoir d’achat des produits agricoles atteignait le pouvoir d’achat des années 1910 à 1914. Logiquement, ces prix étaient ajustés à la hausse en fonction de l’inflation tout au long de ces années de parité. Malgré les compromis législatifs et l’opposition de l’industrie agroalimentaire, les outils de base ont fait leurs preuves. Ces outils peuvent nous servir de modèle afin d’atteindre la parité et la gestion constructive de l’offre pour les petits exploitants agricoles du monde entier.
Le premier élément essentiel est le soutien des prix. Le soutien des prix est un prix minimum que l’acheteur doit payer pour obtenir une denrée. Il s’oppose au « soutien des revenus », qui n’a pas d’effet sur la valeur marchande, et qui repose sur des paiements publics aux agriculteurs pour éviter un effondrement de l’économie agricole.
En d’autres termes, les aides au revenu (qui constituaient la base de la politique agricole après la destruction des programmes du New Deal en 1953) ont permis aux entreprises de transformation d’acheter des produits de base à bas prix, maintenant l’illusion que le gouvernement aidait les agriculteurs avec l’argent des contribuables.
En réalité, les céréales bon marché qui en ont résulté bénéficiaient les entreprises de transformation alimentaire et ont également entraîné une baisse des prix du bétail. Le bétail est un produit essentiel de diversification des exploitations familiales où le foin, les pâturages et les petites céréales permettent une meilleure rotation des cultures et une meilleure utilisation du fumier. Or, aujourd’hui, le bétail étant détenu par de grandes entreprises, les agriculteurs n’ont d’autre choix que de cultiver du maïs et du soja Roundup Ready sur l’ensemble du continent. Ces cultures permettent de nourrir à bon marché le bétail d’entreprises telles que Smithfield et JBS, aux États-Unis et dans le monde entier.
Contrairement aux fruits et légumes périssables, les denrées alimentaires stockables étaient assez faciles à traiter en matière de soutien des prix. Voici comment. Les prix de parité étaient calculés par le ministère américain de l’Agriculture sur la base d’un rapport entre « l’indice des prix reçus » et « l’indice des prix payés ».
Supposons que le prix de parité du maïs était à 1 dollar par boisseau. Lors de la récolte, le fermier démontrait avant tout que son maïs était stocké et en bonne condition. Il pouvait donc emprunter 1 dollar par boisseau stocké au taux de 90 % du prix de parité. Cela lui permettait de payer ses factures et de subvenir aux besoins de sa famille sans avoir à solliciter un prêt auprès d’un banquier. Le prêt de soutien au prix de parité était un prêt « sans recours »1. Cela signifie que si les agriculteurs n’étaient pas en mesure de rembourser le prêt avec intérêts en raison du prix de vente des récoltes, le gouvernement prenait possession de la récolte pour la placer dans une réserve de sécurité alimentaire. L’agriculteur était en mesure de conserver le produit du prêt sans aucune autre obligation. Ainsi, aucun agriculteur ne vendait sa récolte à moins de 90 % du prix de parité. Souvent, l’agriculteur vendait sa récolte plus tard dans l’année, et ce, plus près du prix de parité, afin que le prêt puisse être remboursé avec les intérêts. Les prix plus élevés des céréales ont également eu tendance à soutenir les prix du bétail, car les agriculteurs n’étaient pas enclins à élever davantage de bétail pour utiliser les céréales bon marché.
L’objectif de la parité des prix ainsi que l’offre de prêts sans recours constituent les piliers d’un soutien des prix et d’une gestion de l’offre pour les produits de base stockables. Cela devrait être l’obligation de tout gouvernement démocratique.
En cas de récoltes surabondantes, une partie des céréales était confiée au gouvernement et placée dans la réserve de sécurité alimentaire. Le gouvernement la stockait en bon état dans le but de la replacer sur le marché lorsqu’une mauvaise récolte faisait grimper les prix au-dessus de 120 % du prix de parité. Cette mesure permettait d’assurer la sécurité alimentaire et d’éviter les fluctuations des marchés agricoles. Cela empêchait également les transformateurs et les détaillants de tromper le public en cas de « crise alimentaire ».
À partir de 1953, le soutien des prix est réduit année après année par les administrations démocrates et républicaines, détruisant les programmes de parité.
Avec une baisse des soutiens des prix, les systèmes de gestion de l’offre n’ont été utilisés que pour empêcher le gouvernement d’accumuler d’énormes réserves. La promesse de prix paritaires n’a pas été tenue. Au début des années 1970, le secrétaire d’État à l’agriculture, Earl Butz, a vendu les structures de stockage du gouvernement, de sorte que toute céréale stockée par le gouvernement nécessitait d’énormes dépenses auprès des sociétés de commercialisation des céréales. À la fin des années 1970, sous une autre administration, les agriculteurs étaient payés pour stocker les réserves de céréales sur leurs exploitations — des réserves qui leur appartenaient. Au cours de cette période, la gestion de l’offre reposait sur le retrait de terres de la production, mais n’offrait aucune certitude en matière de prix. Les variations météorologiques rendaient la gestion de l’offre très imprécise.
On peut affirmer que la méthode la plus fiable de gestion de l’offre est l’utilisation de quotas. Un quota alloue à l’agriculteur une part précise de la production nationale et lui offre des options sur la manière de l’atteindre. Cela permet à l’agriculteur de raisonner à l’opposé du fonctionnement actuel, obsédé par des rendements de plus en plus élevés sur chaque hectare. Ainsi, l’agriculteur cherchera à atteindre son quota avec le moins de dépenses extérieures possible telles que les produits chimiques et les engrais. Les terres qui ne sont plus nécessaires à la production de denrées stockables peuvent être utilisées pour le foin, les pâturages ou la restauration de l’habitat naturel. Lorsque l’agriculteur est assuré un prix équitable, le gouvernement peut encourager toutes sortes de pratiques agroécologiques, la production pour les marchés locaux et la formation de nouveaux agriculteurs.
Toutes ces caractéristiques peuvent être mises en œuvre à l’échelle mondiale pour mettre un terme aux politiques d’exportation prédatrices des États-Unis, du Brésil, du Canada, de l’UE, etc. Les pays exportateurs exportent en fait leurs propres richesses naturelles au profit des entreprises alimentaires mondiales. Lorsque notre système insensé sera remplacé par la gestion des approvisionnements, les prix de parité, et les réserves (tout cela doit aller de pair) l’importation de produits de base bon marché ne sera plus contrainte par les règles de l’OMC. De nombreux pays peuvent viser une plus grande autosuffisance et mettre en place des systèmes alimentaires agroécologiques et traditionnels, ce qui leur permettra d’atteindre la souveraineté alimentaire.
1En revanche, s’il s’agissait d’un « prêt avec recours », dans le cas où le produit de la vente de la récolte ne permettrait pas à l’agriculteur de rembourser intégralement le prêt, la banque pouvait imposer la vente d’autres actifs tels que les machines, le bétail ou les terres pour combler la différence.
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