Paloma Silva : femme trans, un rayon de couleur dans la campagne
Renforcement de l’identité LGBT par le biais de l’action collective pour l’accès à l’eau dans la communauté de Coqueiro, à Fortaleza
27 juillet 2021
Par Alessandra Monterastelli
Paloma[1] est allée vivre dans la municipalité de Caucaia, dans la région métropolitaine de Fortaleza, lorsque sa grand-mère a décidé de retourner à la ville où elle a grandi : « Là où elle est allée vivre, moi aussi ». Les trois femmes, la grand-mère, la fille et la petite-fille, se sont installées dans la communauté de Coqueiro, à côté du Complexe Industriel et Portuaire de Pecém et près du Lagamar do Cauípe.
Une lagune, para définition, est un « creux marin ou fluvial ». Dans le cas de Cauípe, il s’agit d’un plan d’eau allongé alimenté par les eaux de la rivière Cauípe, grâce aux dunes mobiles typiques de la géographie régionale. Le Lagamar ou Cauípe est une zone de protection environnementale garantie par le décret d’État n° 24.957 du 5 juin 1998 en raison de la richesse de la biodiversité de la faune et de la flore de la région.
Dès son plus jeune âge, Paloma a participé aux groupes de jeunes de l’église catholique qui étaient actifs dans sa communauté. « Notre groupe était très à la page, nous avions des discussions politiques et sur les questions régionales, mais dans le cadre des paramètres de l’église », dit-elle. Peu après, à l’âge de 19 ans, elle a été recommandé pour participer dans une réunion visant à présenter le Mouvement des personnes Affectées par les Barrages (MAB). « Je suis tombée amoureuse. J’ai vu le sérieux et l’importance du mouvement social et de la cause. Je pense que tous les jeunes ont un peu de soif de transformer et de se battre pour des jours meilleurs », dit-elle.
À cette époque, Paloma était déjà en pleine transition. « J’ai une famille merveilleuse qui m’a toujours accueillie, donc mon processus de transition a été un peu plus naturel ; j’ai eu de grandes difficultés avec moi-même, en termes d’acceptation personnelle », déclare-t-elle. Dans les groupes de l’église il n’y avait aucune ouverture aux discussions concernant le genre ou la sexualité. « La peur que j’avais et que j’ai toujours est la même que celle de toutes les femmes transsexuelles : sortir dans la rue et être tuées pour être simplement qui tu es. Ça m’a beaucoup retenu. Rejoindre le Mouvement m’aidé à sortir de la zone de limitation et de peur dans laquelle je me trouvais”, explique-t-elle. Renforcée elle a commencé à se mobiliser pour tenter de répondre aux problèmes imposés à la communauté.
« La vie dans la communauté était très paisible parce qu’elle avait un caractère plus rural, mais nous n’avons jamais cessé de subir des injustices. Je vis ici depuis 10 ans et j’ai vu un peu comment tout a changé avec les arrivées des entreprises », dit Paloma. La construction du Complexe Industriel et Portuaire de Pecém a commencé en 1995 et a été inauguré en 2002. La zone abrite plusieurs sociétés et entreprises industrielles, dont les activités vont de l’énergie éolienne jusqu’à la production de ciment. Paloma parle des wagons du port « gros et lourds », qui provoquent des accidents dans la région parce qu’ils passent près des communautés.
« Un jeune est mort récemment à cause de ça » a-t-elle dit. La pollution dans la région est un autre facteur qui met en danger la vie des personnes qui habitent à Coquiero, mais aussi dans d’autres communautés voisines. Il est courant que la poussière du minerai du fer et du charbon s’accumule dans les maisons : « Nous passons nos mains sur les meubles et nous voyons la poussière », dit-elle.
Parmi toutes ces questions, Paloma explique que l’approvisionnement d’eau est peut-être la plus contradictoire de toutes. « Il y a tout un système pour alimenter le parc industriel, mais il y a un manque d’eau pour toutes les communautés autour du Lagamar do Cauípe. Cette zone était censée être une réserve et la communauté est aussi consciente de la nécessité de préserver l’environnement. Les entreprises sont arrivées et ont pris l’eau, sans autre obstacle que le peuple organisé. Notre intention a toujours été de donner la priorité à la fourniture de personnes ».
Le militantisme de Paloma contre les violations des droits des personnes dans la région a commencé peu après cette rencontre avec le MAB, à l’âge de 19 ans. À partir de cette rencontre, elle décrit comment elle a pris conscience que les situations difficiles imposées quotidiennement à sa communauté ne devaient pas être acceptées et pouvaient être combattues collectivement.
« Ce sont les mêmes violations que celles subies par les personnes touchées par les barrages dans tout le Brésil ; les familles sont expulsées de leurs terres pour faire place à la construction et perdent l’accès à l’eau », dénonce-t-elle ; ajoutant à cette équation la rupture des liens culturel et la coexistence obligatoire avec des niveaux élevés de pollution environnementale.
Selon Paloma, sa communauté dispose du système d’approvisionnement d’eau le plus développé en comparaison aux régions voisines, mais il n’est pas rare de passer des semaines sans eau au robinet.
« Les autres communautés achètent souvent de l’eau au camion-citerne pour pouvoir se baigner. Nous avons une zone industrielle bien développée, avec des gens qui viennent de l’extérieur pour travailler, mais les jeunes et les adultes de la région n’ont pas d’emplois ; nous sommes à côté d’une lagune, mais on nous refuse l’accès à l’eau », dit-elle. Une fois que le mouvement social est actif, l’objectif est la priorité de la fourniture humaine.
En 2017, avec le mouvement, Paloma a occupé un chantier où devait s’installer une entreprise dont l’État garantissait son approvisionnement ; il s’agissait d’exiger un accès prioritaire et humain à l’eau. « Les zones urbaines périphériques ne sont pas exemptes de nombreux problèmes dont souffrent les zones rurales, par exemple l’approvisionnement d’eau ou l’accès à l’électricité », dit-elle.
Alors que les mobilisations continuent à lutter pour les droits dans la région, elle affirme que le MAB l’a également aidé à élargir sa vision de l’importance de la lutte organisée au-delà de la communauté de Coqueiro. Et c’est là aussi que Paloma a trouvé un lieu d’accueil en tant que personne LGBTQAI+-
« J’étais très renfermé, tranquille, je restais dans mon coin, je ne m’impliquais pas dans les espaces communautaires. Le mouvement m’a permis de rencontrer de nouvelles personnes et de nouveaux lieux, encourageant ma participation à des espaces collectifs », affirme-t-elle. Elle explique également que les débats sur sexualité et genre promus au sein de l’organisation l’ont aidée à comprendre les violations dont elle-même a été victime, non seulement par la situation de sa communauté, mais aussi en tant que personne LGBT. Elle a commencé à se rendre au domicile des familles touchées par les problèmes locaux, afin d’établir un dialogue entre le Mouvement et les besoins des habitants de la région.
« Parfois, ils me regardent, mais il est important de déconstruire et d’occuper ces espaces de débat ; de montrer notre intérêt commun avec ces familles, qui commencent à s’adapter un peu à une réalité qui a été toujours diverse », explique-t-elle. « J’ai l’habitude de dire que lorsque nous parlons de LGBT, les personnes qui n’ont pas beaucoup de connaissances sur le sujet sont un peu perdues, sans comprendre ; mais nous avons toujours été dans ces espaces. En tant que personnes LGBT, nous devons contribuer à cette éducation politique et faire en sorte que les autres comprennent nos problèmes.
De cette manière nous pouvons également aider d’autres personnes LGBT à se trouver », affirme-t-elle.
Elle est enthousiasmée par le 1er séminaire LGBTI de la Vía Campesina- Brésil. « Nous avons toujours été dans ces espaces ruraux, à faire du travail de l’organisation. Il est important que ce débat ait lieu par l’intermédiaire de la Vía Campesina, qui comprend plusieurs mouvements des peuples ruraux, des eaux et des forêts, qui ont souvent des idées plus conservatrices », affirme-t-elle.
En annonçant le séminaire, Dê Silva, du collectif LGTBI de la Vía Campesina-Brésil, a déclaré au MST que débattre, c’est réaffirmer le caractère populaire de nos organisations et de la Vía Campesina, en démystifiant l’idée que la campagne est essentiellement masculine et cis. « Nous savons que les campagnes ont été historiquement diverses », dit-elle. Paloma, en accord avec la déclaration de Silva, semble compléter son discours : « il y a toujours eu un rayon de couleur dans la campagne ».
*Edité par Maiara Rauber
[1] Paloma, femme trans et activiste du Mouvement des personnes Affectées par les Barrages, participera au 1er séminaire LGBTI de la Vía Campesina Brésil. Art : Gustavo Palermo