Mozambique, Commerce de carbone et REDD+ : Les Paysans « cultivent » du carbone pour les pollueurs
Maputo, le 15 Juin 2012 (Via Campesina Africa News) – La production alimentaire et la souveraineté des populations africaines risquent d’êtres sérieusement compromises par la mise en place de projets de plantation et de préservation d’arbres pour la séquestration de carbone et la Réduction des Emissions liées à la Déforestation et à la Dégradation des forêts plus (REDD+). De tels projets pourraient conduire le continent à de graves situations d’insécurité alimentaire et entraîner la perte de leurs terres et du contrôle des ressources forestières pour les paysannes et les paysans africains.
Paysan de la communauté de Nhambita prenant soin des arbres
Au Mozambique, ce scénario ne saurait tarder puisque le pays a proposé son territoire comme « modèle » pour des projets de capture de carbone et de REDD+.
A la tombée de la nuit, Albertina Francisco*, paysanne de la communauté de Nhambita dans la province de Sofala au Mozambique, rentre chez elle, épuisée après une nouvelle journée de travail dans sa machamba (mot qui signifie champ au Mozambique). En plus de s’occuper du maïs, du mapira (une espèce de sorgo) et du manioc qu’elle cultive, Albertina doit s’occuper d’une tâche supplémentaire : prendre soin des arbres qu’elle a plantés quelques années auparavant, afin qu’en fin d’année, elle ne soit pas pénalisée par Envirotrade, l’entreprise avec laquelle elle a signé un contrat de séquestration de carbone. Albertina doit donc veiller, de manière contractuelle, à ce que les plantations ne meurent pas et de leur garantir un bon développement afin que survivent au moins 85% des plantations.
« En plus du maïs et du mapira, je dois maintenant veiller sur les arbres pour qu’ils ne meurent pas. J’ai planté beaucoup d’arbres et il n’est pas facile de tout inspecter » a déclaré Albertina qui visite son champ deux fois par jours.
Comme Albertina, 1400 paysannes et de paysans de Nhambita et d’autres communautés de la zone administrative de Pungué dans la province de Sofala ont signé des contrats pour la plantation et l’entretien d’arbres sur leurs terres.
« Quand ils sont arrivés, ils ont dit que le projet était bon parce qu’en plantant des arbres nous recevrions de l’argent pour combattre la pauvreté et nous serions propriétaires (des arbres) même après la fin du projet » raconte un paysan de Nhambita.
Le projet s’appelle « Nhambita Community Carbon Project »[1]. L’objectif de l’entreprise Envirotrade est de séquestrer le carbone à partir de l’agroforesterie, de vendre les crédits de carbone sur le marché volontaire, actuellement en Europe et aux Etats Unis. En achetant les crédits-carbone, les entreprises des pays industrialisés peuvent “s’acheter une bonne image” auprès de leurs clients, se donner bonne conscience et continuer à polluer la planète avec leurs activités. L’application du mécanisme REDD+ et les échanges de crédits-carbone permet aux pays riches de continuer à émettre des gaz à effet de serre pour autant qu’ils financent des projets de séquestration de carbone ailleurs, généralement dans des pays du sud.
Avec ce projet, Envirotrade déclare aussi réduire la pauvreté des populations.
technitien superviseur d’une des zones REDD – Envirotrade -, montrant une des plantation de la zone protégée »
Au-delà de l’utilisation des terres pour la plantation d’arbres (gliricidia, faidherbia, cajueiros, manguiers, espèces de bois), les communautés sont également appelées à protéger et surveiller les massifs forestiers dans une zone délimitée d’un peu plus de 10 mille hectares, zone où Envirotrade vend également des crédits-carbone à travers le mécanisme de REDD+.
Les services de plantation, de préservation et de protection des forêts sont régis pas un contrat entre Envirotrade et les paysans. Le contrat a une durée limitée, il ne s’étend que sur 7 ans. Cependant, selon les clauses du contrat, le producteur (paysan) a l’obligation de planter et de veiller sur les arbres et recevra un montant annuel qui varie en fonction du système choisi et de l’étendue des terres utilisées. Après sept ans, les paiements cessent mais l’obligation de veiller sur les arbres demeure.
« Il est du devoir du paysan de veiller sur les plantations qui lui appartiennent même après les sept ans de validité du contrat »[i] indique l’un des alinéas de la clause sur les obligations du producteur.
Selon Envirotrade, un arbre séquestre du carbone sur une période entre 50 à 100 ans. L’obligation de veiller sur les plantes et forêts pour les paysannes et paysans devient alors automatiquement multi générationnelle.
« Si un paysan venait à mourir durant la période de validité du contrat, le contrat serait légué aux héritiers légitimes (enfants) avec tous les droits mais aussi les obligations » explique Antonio Serra, Directeur de Envirotrade.
Il convient de mentionner que les contrats régissant l’activité ne portent aucun chapitre sur les droits des paysannes et des paysans.
Nhambita est une communauté du district de Gorongosa, de la zone administrative de Pungué, au centre du Mozambique. Elle est riche en biodiversité et abrite une végétation et une richesse forestière convoitée.
Dès le début du projet en 2003, jusqu’à 2008, la Commission Européenne a financé Envirotrade à hauteur d’environ 1,5 millions d’euros pour des recherches et des expériences à Nhambita. La Commission Européenne a interrompu son financement après avoir, entre autre raisons, constaté des irrégularités dans les méthodes proposées pour la mesure du carbone séquestré.
En quoi ceci profite-t-il aux paysannes et aux paysans ?
Selon Envirotrade, ces projets ont pour objectif de réduire la pauvreté (des communautés), de promouvoir le développement durable et de préserver la biodiversité. « C’est un nouveau modèle commercial» déclare l’entreprise sur son site internet[2], affirmant offrir un nouveau mode de vie aux individus et communautés.
Pourtant, la prestation de service dans le contrat d´un paysan, auquel nous avons eu accès, requiert la plantation d’arbres sur une superficie totale de 0,22 hectares (22 mètres sur 22) sur les parcelles du paysan, qui recevra en échange un montant total de 3 215 meticais (128 dollars US) pour les 7 ans de validité du contrat. En conséquence, s’il veut gagner suffisamment d’argent et réduire sa pauvreté ce paysan aura besoin de beaucoup plus d’hectares de terre, devra diversifier son système de cultures vivrières et planter beaucoup plus d’arbres. Cela s’avère pratiquement impossible.
Le système le mieux rémunéré par Envirotrade s’appelle « Plantation forestière » et peut rapporter environ 17 500 Meticais (670 USD) répartis sur sept ans.
Ces montants correspondent à 1 hectare, c’est-à-dire qu’ils peuvent êtres supérieurs ou inférieurs selon l’étendue de la superficie. Les paysannes et paysans de Nhambita possèdent en moyenne un hectare par famille.
« Un paysan qui possède 1 hectare peut signer un contrat avec le système bordadura [bordure] valable 7 ans sur une année, et l’année suivante pour la même surface signer un contrat avec le système consociação [culture intercalaire] pour 7 ans, et dans la troisième année, signer un contrat de 7 ans pour le système de quintal [cour]. Cela permet au producteur d’être lié au projet pendant longtemps » a expliqué Antonio Serra Directeur National de Envirotrade au Mozambique.
Mais ne pensez pas que vous allez devenir riche avec la REDD+ et la plantation d’arbres : « Le commerce de carbone ne vise pas à enrichir qui que ce soit (paysans). Les études de marché montrent que les coûts sont élevés. Il ne va pas rendre les communautés riches. Les gens doivent avoir d’autres sources de revenus » a déclaré lors d’un entretien, Aristides Muhate, le responsable carbone de Envirotrade.
Il y a trois ans, Envirotrade a cessé d’émettre de nouveaux contrats, dû à des problèmes financiers.
La souveraineté alimentaire en danger
Il convient de souligner que l’expansion de ces services risque d’accroître encore l’insécurité alimentaire des communautés ou des familles, vu le temps et l’étendue des surfaces nécessaires aux paysannes et aux paysans pour planter une quantité d’arbres suffisante s’ils veulent augmenter leurs revenus. Cela poussera les paysannes et les paysans à « cultiver du carbone » au lieu des cultures alimentaires.
D’autre part, « l’accent mis sur les valeurs économiques de la préservation des forêts communautaires, encouragé par Envirotrade ne doit pas réduire l’importance des valeurs culturelles, spirituelles et biologiques, étant donné que celles-ci ont su efficacement préserver les forêts pendant des générations » souligne une étude[3] de Jovanka Spiric qui a étudié l’impact socio-économique du programme REDD mis en place à Nhambita.
Un nombre considérable de paysannes et de paysans a laissé tomber les cultures agricoles pour se consacrer à temps plein aux activités de lutte contre les feux de forêt, de débroussaillage et de surveillance des forêts dans la zone REDD+.
Gabriel Langa* père de 4 enfants est chef d’un groupe qui protège et surveille le bloc 2, une zone « protégée » de REDD+ dans la région de Bué Maria à Pungué. Avant, il cultivait pour nourrir sa famille.
« Maintenant l’activité principale c’est le débroussaillage anti-feux. Je n’ai plus le temps de travailler dans ma machamba » explique Langa.
Langa va gagner 8845 Meticais (340 USD) pour son travail anti-feux dans la zone « protégée » et va les partager avec les 4 personnes de son équipe.
La forêt n’a jamais été menacée de disparition…
Pour Envirotrade, la zone tampon du Parc National de Gorongosa[4], où se trouve la communauté de Nhambita était menacée de disparition à cause de l’abatage massif des arbres (pour la fabrication de charbon de bois) et les brûlis incontrôlés.
Le comité de Gestion des Ressources Naturelles de la localité de Pungué à Gorongosa, opérant à partir de Nhambita, a été établi avant l’arrivée d’Envirotrade et – en accord avec les chefs de la communauté, ils démentent cette théorie et affirment avoir toujours su entretenir et préserver les forêts de la localité.
« La communauté n’avait aucun problème et a toujours su gérer les ressources. La création du comité de gestion, en 2011, vise à renforcer ces capacités car nous avons reçu une formation pour cela » a dit Fernando Samajo, président dudit comité. Il ajoute « c’est surement ce qui a attiré Envirotrade par ici ».
Le responsable carbone à Envirotrade réagit : « Parfois certains veulent imposer leur mérite pardessus tout. Tout le monde sait qu’aujourd’hui cette zone aurait été victime de déboisements illégaux. Il (le chef du comité de gestion des ressources) n’aurait pas eu le moyen de faire des patrouilles de surveillance du massif».
Envirotrade finance le comité de gestion des ressources naturelles pour que celui-ci à son tour paie pour les patrouilles en forêt afin de « défendre » les arbres contre les membres de cette même communauté.
Bien que les paysans aujourd’hui disent bénéficier dans une certaine mesure du projet de Envirotrade (fourniture d’arbres fruitiers, sommes d’argent versées annuellement, construction d’un dispensaire, service d’ambulance en cas de maladie), ils contestent par contre l’affirmation comme quoi , auparavant, la communauté était très pauvre et que la gestion de ses forêt était défaillante.
Un autre paysan de Nhambita, Raimundo Eduardo, a déclaré qu’il ne s’était jamais considéré pauvre parce que, dit –il, « j’ai un champ et j’ai toujours travaillé ».
Abandon des plantations d’arbres : l’activité n’intéresse pas tout le monde
Juvenal Francisco*, 31 ans, paysan de Nhambita a abandonné la plantation d’arbres en 2010 considérant que ces services ne lui rapportaient rien.
« J’avais l’impression de ne travailler que pour eux, je ne voyais aucun avantage pour moi », raconte Francisco. De sa propre initiative, il a signalé à Envirotrade son souhait d’abandonner l’activité.
Ce qui a incité Francisco à rompre son contrat, c’est qu’à partir de la quatrième année il n’a plus reçu le montant annuel stipulé dans son contrat, soi-disant parce qu’il n’avait pas pris soin des plantations selon les indications d’Envirotrade. Juvenal Francisco considère, lui, qu’il y a eu manquement à l’une des obligations à laquelle Envirotrade s’est engagé, celle de le payer durant 7 ans.
« A partir de la quatrième année, ils ont arrêté de me payer sans explications» dit-il.
Juvenal raconte que, depuis 2007, il avait planté plus de 900 pieds d’arbres, essences forestières et arbres fruitiers . Aujourd’hui il se consacre à la production de maïs, de patate douce, de mapira et de manioc.
C’est un conflit grandissant qui oppose Envirotrade à de nombreux paysans. Un grand nombre de «contractuels» reçoit finalement moins que prévu parce qu’il n’atteint pas le taux de survie de 85% imposé par le contrat. Notre équipe de reportage a aussi constaté au cours des trois dernières années des retards de paiements des services environnementaux, à cause de problèmes financiers.
Une famille de la communauté de Nhambita ayant abandonné la plantation d’arbres
« Les paysannes et les paysans ne savent pas ce qu’ils font »
Les communautés de Nhambita ne connaissent pas le concept de REDD+. Bien que certains paysans sachent qu’ils plantent des arbres et préservent les forêts pour « vendre du carbone », ils ignorent le concept et ses mécanismes en profondeur.
Le Responsable National du secteur du Carbone des projets Envirotrade, l’Ingénieur forestier Aristides Muhate, le justifie en ces termes : « Il ya différents niveaux d’information. Nous ne voulons pas perdre de temps à expliquer ces concepts compliqués aux paysans ». Aristides justifie sa déclaration, se basant sur le fait que de la majorité des populations de Nhambita et de ses environs a un faible niveau de scolarité. On peut considérer qu’il s’agit d’une violation du droit à l’information préalable et au libre consentement avant le démarrage des activités sur leurs terres.
« Nous savons que le rendement des plantations d’arbres vient du carbone. Au fond, je n’en sais pas plus que ça » confesse Elias Manesa de la communauté de Mutabamba qui a révélé ne pas savoir ce qu’est le carbone.
Ne pas fournir toute l’information sur le commerce du carbone d’Envirotrade avec les ressources de la communauté remet en question la transparence du processus. Pour les paysannes et les paysans, une compréhension faible ou inexistante des concepts liés à REDD+ et aux marchés de carbone fait qu’ils mettent leurs ressources à disposition, et s’engagent dans un commerce sans en connaître les ramifications. En outre, le fait de permettre aux pollueurs du nord de continuer à émettre du carbone dans l’atmosphère, a un impact direct sur le bien être de ces même paysannes et paysans, si l’on considère que ces émissions auront des effets négatifs tels que la sècheresse et des inondations au Mozambique.
Une paysanne qui n’a pas de contrat direct avec Envirotrade, mais qui a planté et entretient des arbres parce que son partenaire a décidé de le faire pour eux, ignore elle aussi les fins de cette activité.
« Je sais seulement que mon mari reçoit de l’argent (annuellement) pour les arbres que nous avons plantés. Je n’ai pas les détails » raconte t-elle. Dans les faits, plus de la moitié des personnes embauchées par Envirotrade sont des hommes. Peu de femmes possèdent des terres au Mozambique, même si elles sont les plus actives dans la production alimentaire et le travail de la terre.
Un conflit social imminent
On sent, entre les membres de la communauté de Nhambita, les prémices d’un conflit social lié aux paiements pour services environnementaux (PSE). La situation pourrait s’aggraver à l’avenir.
Les paysannes et les paysnas qui ne sont pas couverts par le PSE manifestent une certaine inimitié car ils ne reçoivent pas d’argent d’Envirotrade.
Dans d’autres projets de REDD dans des pays comme l’Indonésie, les paiements pour services environnementaux créent des inégalités à cause des différences de revenus. Ils engendrent la division dans la communauté et compromettent l’unité organisationnelle, sociale et culturelle.
Par exemple, le mensuel français, Le Monde Diplomatique[5] a récemment présenté un cas d’expulsion de paysans dû à l’application de REDD au Mexique.
Jossias Jairosse* est arrivé récemment à Nhambita et travaille dans la menuiserie communautaire de sa localité. Quand il s’est installé dans la communauté, Envirotrade avait arrêté les contrats. Il éprouve du ressentiment et une infériorité face à ses voisins parce qu’eux ont un revenu annuel qu’il lui est impossible d’avoir.
Des terres mozambicaines convoitées par d’autres, pour des projets REDD+
Environs 15 millions d’hectares (19% du territoire national) ont été octroyés à une entreprise aux capitaux britanniques désireuse d’investir dans le programme REDD+[6]. Les cas d’accaparement et d’usurpation des terres dans le cadre des programmes de Réduction des Emission liées à la Déforestation et à la Dégradation des forêts pourraient augmenter si l’on y inclut la production d’agro combustibles et les plantations de monocultures, celles-ci pouvant également être converties en attributaires de financements REDD+. En effet, REDD intègre déjà dans le calcul et la revente des crédits carbone, les plantation sur des terres agricules et des cultures vivrières, pas uniquement des forêts. Selon l’inventaire forestier national de 2008, environ 70% du pays (54,8 millions d’hectares) est actuellement recouvert de forêt ou d’autres formation ligneuses. Ces zones risquent d’être utilisées pour la séquestration de carbone.
Zones où une entreprise de capital britannique prévoit « d’investir » dans des projets de REDD+ au Mozambique[7]
En Afrique, parmi les pays « convoités » par les investisseurs étrangers pour la mise en place de projets dits de développement, le Mozambique est privilégié. La Banque Mondiale, par exemple, considère que le Mozambique est un lieu sûr pour les projets de REDD, le Mécanisme de Développement Propre[8], et l’Agriculture Industrielle.
Les entreprises du nord acquièrent des terres au Mozambique pour une production destinée à l’exportation, pour les agro combustibles et maintenant pour la REDD+. Aujourd’hui, même des pays dits émergeants comme l’Inde et le Brésil acquièrent des terres pour l’agro-industrie et l’extraction minière.
Dans la plupart des cas, les communautés locales et paysannes en particulier, et les populations autochtones, sont sévèrement affectées et bon nombre de leurs droits sont bafoués. Dans le cas de la REDD+ il y a un risque imminent que les paysannes et les paysans soient employés par des entreprises qui vont utiliser les ressources forestières et les sols pour profiter des crédits carbone à l’international et maximiser leurs bénéfices sans nécessairement contribuer à l’élimination de la pauvreté des communautés.
En Ouganda (Afrique), 22 000 paysans ont été chassés de leurs terres pour faire place à un projet de séquestration de carbone forestier en 2011.
Projet Nhambita un modèle pour Rio+20 et l’Economie Verte
Le projet carbone de Nhambita est érigé en modèle par la Conférence des Nations Unies sur le Développement Durable et l’Economie Verte, Rio+20. Il figure sur le site internet de la Commission du Développement Durable Rio+20.
Des organisations de la société civile critiquent fortement Rio+20 estimant que le sommet cherche à approuver et légitimer la marchandisation de la nature.
« Nous attendons la Stratégie Nationale de la REDD et les résultats de Rio+20 pour étendre la mise en oeuvre de projets REDD+ » nous a confirmé Aristides Muhate de Envirotrade le 23 mai dernier, interviewé sur le site d’un projet de l’entreprise.
En effet, en plus de Nhambita, Envirotrade a deux autres projets dont l’objectif est également de vendre du carbone. L’un se trouve dans la région du Delta du Zambèze et l’autre dans le district de Maconia dans les Quirimbas, province de Cabo Delgado, au Nord du Mozambique. Envirotrade développe activement des plans pour deux autres projets REDD+ à grande échelle.
Le projet REDD+ de Nhambita pourra être reproduit dans d’autres régions du Mozambique. Des personnalités du gouvernement Mozambicain et des personnalités internationales y compris l’ancien président Zambien Kenneth Kaunda ont visité le projet. Il y a des chances que, en tant que modèle pour d’autres pays africains, ce projet soit reproduit hors du Mozambique.
Qu’est-ce que le mécanisme REDD?
L’idée à la base du programme de Réduction des Emissions liées à la Déforestation et à la Dégradation des forêts implique que les pays développés qui réduiront leurs émissions devront être compensés financièrement. Grâce à la photosynthèse, les arbres absorbent le dioxyde de carbone et libèrent de l’oxygène, aspirant ainsi en quelque sorte la pollution par le carbone. Le programme REDD est « vendu » comme étant un moyen de préserver les forêts, de stopper le changement climatique, de protéger la biodiversité, d’éradiquer la pauvreté et de fournir des revenus aux communautés.
Or, selon les Nations unies, le programme REDD pourrait avoir pour conséquence la perte d’accès à des massifs forestiers pour les populations locales, mais aussi des conséquences plus graves encore comme la perte de terres, la génération de conflits liés aux ressources naturelles, la concentration de pouvoirs entre les mains des élites, l’apparition de nouveaux risques pour les pauvres et la marginalisation des populations sans-terres[9].
De nombreux secteurs de la société civile mettent en garde contre les risques du programme REDD et notamment contre les accaparements massifs de terres ainsi qu’à une nouvelle forme de colonisation des forêts par les intérêts financiers.
Le cadre légal du programme REDD au Mozambique
Au niveau national, la mise en oeuvre de la stratégie Nationale REDD a démarré en 2009. Le Ministère de l’environnement du Mozambique (MICOA – Ministério de Coordenação para Acção Ambiental) avec l’appui technique de la fondation “Fundação Amazonas Sustentável e do Indufor” (Brasil) a organisé quelques réunions dans la province de Maputo pour expliquer les finalités de REDD+. Cependant au cours de ces réunions l’information fournie était avant tout axée sur les avantages et opportunités dont pourrait jouir le Mozambique avec l’application de la REDD+, créant chez les participants des attentes en terme de revenus. L’aspect négatif du mécanisme REDD n’a pas été mentionné.
« Le processus a été peu transparent, il n’y a pas eu de retour vers les membres de la société civile qui voudraient accompagner le processus. De plus, l’accès à l’information était insuffisant » a dit Anabela Lemos de l’ONG Justiça Ambiental.
La stratégie nationale REDD est encore en discussion au Mozambique. Son processus d’élaboration est critiqué par les organisations de la société civile y compris l’Union Nationale des Paysans (UNAC – membre de La Via Campesina) et l’ONG Justiça Ambiental (Amis de la terre Mozambique). Elles lui reprochent de se concentrer sur les mécanismes de développement propre et le marché de crédits carbone, de citer les projets d’agro combustibles et les monocultures comme des projets éligibles pour REDD+ et de ne pas avoir inclu la société civile dès le départ. Par exemple, les sondages effectués auprès des communautés et des paysannes et des paysans étaient peu représentatifs et ne comprenaient que 889 personnes alors que le Mozambique compte plus de 20 millions d’habitants.
« La Stratégie Nationale REDD est encore en train d’être discutée, mais le gouvernement (de Sofala) a donné son feu vert pour se faire une idée. Toute l’expérience sera acquise ici (Nhambita). Nous sommes donc un laboratoire, un projet modèle.» a déclaré Aristides Muhaté, le “responsable carbone” à Envirotrade.
Récemment, Charles Hall de Envirotrade a déclaré au journal anglais The Observer[10] que « Le modèle commercial d’Envirotrade a encore besoin de faire ses preuves ». Selon lui, « le fait que cela puisse devenir une entreprise durable, basé sur la vente des crédits carbone, reste à voir ».
A l’occasion du sommet Rio+20, le mouvement international paysan La Via Campesina (dont fait partie l’UNAC) a récemment publié une note d’information dans lequel il exprime son opposition entre autre les mécanismes du marché carbone et au concept d’économie verte .
« Nous rejetons et dénonçons l’économie verte comme étant nouveau masque pour dissimuler l’avidité croissante des multinationales et de l’impérialisme alimentaire à travers le monde, comme une nouvelle et brutale forme pour le capitalisme de se présenter sous un jour attirant, un système qui ne fait que proposer et imposer des fausses solutions comme par exemple le commerce de carbone, la REDD(…) et toutes autres solutions basées sur les mécanismes spéculatifs du marché capitaliste pour lutter contre la crise environnementale» déclare, entre autres, ce document de position.
Augusto Mafigo, président de l’Union Nationale des Paysans du Mozambique, se montre inquiet de l’implication des paysans de Nhambita dans les projets carbone et de REDD+. Mafigo est convaincu que les programmes REDD+ auront des conséquences néfastes pour les paysannes et les paysans.
« En tant que paysans, nous rejetons REDD car il est clair que ce n’est pas un mécanisme durable et nous risquons de perdre nos ressources et aggraver encore la pauvreté qui nous afflige déjà. » explique-t-il.
Via Campesina Africa News
*- Les noms ont été changés (afin de protéger les sources)
[1] http://www.envirotrade.co.uk/html/projects_gorongosa.php
[2] http://www.envirotrade.co.uk/html/home.php
[3] http://www.envirotrade.co.uk/documents/Jovanka_Spiric.pdf
[4] http://www.gorongosa.net/
[5] http://www.monde-diplomatique.fr/2011/12/VIGNA/47042
[6] http://www.iied.org/redd-mozambique-new-opportunity-for-land-grabbers
[7] http://www.iied.org/redd-mozambique-new-opportunity-for-land-grabbers
[8] http://pt.wikipedia.org/wiki/Mecanismo_de_Desenvolvimento_Limpo
[9] Document de référence UN-REDD, http://www.undp.org/mdtf/UN-REDD/docs/Annex-A-Framework-Document.pdf , p. 4-5 A Poverty Environment Partnership (PEP) Policy Brief, sur la base du rapport “Making REDD Work for the Poor”, (Peskett et al, 2008) http://www.povertyenvironment.net/pep/ Le PEP comprend UNDP, UNEP, IUCN, OCI, SIDA, ADB, DFID, WCMC Pour les notes de pied-de page et citations complètes des documents ONU: cf. Earth Peoples http://www.earthpeoples.org/blog Brochure REDD
[10] http://www.guardian.co.uk/media/2010/apr/11/bbc-envirotrade-robin-birley-mozambique
[i] Note de traduction: Traduction de la clause de contrat depuis le portugais