Mali: Des paysans expropriés veulent récupérer leurs terres vendues
Inter Press Service
Soumaila T. Diarra
BAMAKO, 5 sep (IPS) – De petits paysans maliens tentent de récupérer, par la voie judiciaire, les terres qu’ils ont perdues au profit de gros investisseurs privés. Cette action intervient au moment où le Mali, en proie à l’instabilité politique et à une rébellion, n’intéresse plus ces investisseurs.
«Nous avons porté plainte contre les accaparements des terres agricoles dont sont victimes beaucoup de paysans», a déclaré à IPS, Lamine Coulibaly, membre de la Coordination nationale des organisations paysannes (CNOP), qui milite contre l’agrobusiness dans ce pays sahélien d’Afrique de l’ouest.
L’acquisition de terres agricoles par des investisseurs privés depuis 2008 a finalement ouvert des hostilités de la part de petits paysans maliens devant la justice. Ainsi, la prochaine audience du procès dont parle Coulibaly est prévue le 27 septembre au tribunal de Markala, au centre du Mali.
Des paysans de cette zone espèrent que la procédure judiciaire leur permettra enfin de mettre un frein à la réquisition des terres qu’ils cultivent depuis des générations. «Il y a déjà eu plusieurs audiences sans délibération, mais on fait confiance à la justice. On est convaincu qu’on a raison et qu’on peut gagner ce procès», affirme Coulibaly.
L’Office du Niger, qui est maître d’œuvre des aménagements agricoles dans cette région du centre, est un service étatique qui règne sur une zone aménageable d’un million d’hectares. Le Mali doit ce potentiel agricole à la retenue d’eau d’un barrage construit en 1932 par les colons français. Mais le pays n’avait pas encore su aménager plus de 100.000 hectares avant l’arrivée des investisseurs. Ce qui a poussé à une ouverture de la zone aux capitaux privés.
La venue des investisseurs privés est très mal vue par les organisations paysannes qui affirment que de nombreux paysans ont été expropriés. «Ces expropriations ont notamment eu lieu dans le cadre de grands projets d’agrobusiness. L’Etat a signé des conventions attribuant des terres aux investisseurs pour de grands projets comme Malibya qui devrait aménager 100.000 hectares pour le compte de la Libye», indique Coulibaly à IPS.
Mais les paysans qui ont porté plainte agissent spécifiquement contre la Société sucrière de Markala (SOSUMAR), un projet de production de sucre. «Ce sont 33 villages du Sana (une zone de la région de Ségou, au centre du pays) qui sont victimes de la SOSUMAR», affirme Massa Koné, membre du groupement des victimes d’expropriation de terres, et co-auteur de la plainte.
Le combat judiciaire des paysans s’ajoute à un contexte déjà difficile pour l’investissement privé dans la zone. Le projet Malibya est bloqué depuis la chute du dirigeant libyen Muhammar Kadhafi en 2011. Pourtant, les Libyens avaient déjà réalisé une route de 40 kilomètres et un canal principal de la même longueur dans le cadre de ce projet.
Les organisations paysannes se réjouissent notamment du départ de ‘Illovo Sugar’, l’actionnaire majoritaire de la SOSUMAR. Un article publié en juillet 2012 sur le site de la Coordination nationale des organisations paysannes (www.cnop-mali.org), indique que ce groupe sud-africain est sorti du projet de production de sucre en raison de la crise sociopolitique qui secoue le pays.
L’enjeu est important pour les paysans qui estiment que 800.000 hectares sont concernés par les cas d’expropriation. Selon la CNOP, sur les 25.000 hectares attribués à la SOSUMAR, il n’y a que deux pépinières de cannes à sucre de 140 hectares chacune, qui sont mises en valeur.
«Mais les paysans ne peuvent pas cultiver. Les investisseurs privés ont borné leurs champs et continuent d’entretenir les pépinières», explique Koné à IPS.
Au-delà de cette zone agricole, les paysans s’inquiètent de l’avenir de l’agriculture familiale dont dépend la sécuritaire alimentaire du pays.
Mais contacté par IPS, Boubacar Sow, le directeur adjoint de l’Office du Niger, affirme que les exploitations familiales sont loin d’être menacées. Selon lui, avec l’aide des investisseurs, l’Etat aménage les terres pour les attribuer aux exploitations familiales.
Mieux, explique-t-il, «les 100.000 hectares aménagés par l’Etat sont mis à la disposition des exploitations familiales qui produisent six tonnes à l’hectare». En 2011, elles avaient produit 564.185 tonnes de riz, dit-il.
L’opposition des paysans aux investisseurs privés gêne les représentants de l’Etat pour qui il est important d’étendre les espaces aménagés. Selon la direction de l’Office du Niger, les zones attribuées aux investisseurs étaient inoccupées. «Elles ont attiré des populations qui se sont installées en raison des aménagements agricoles» réalisés par l’Office du Niger, ajoute Sow.
Parallèlement au recours à la justice, les paysans ont choisi la voie du dialogue avec certains investisseurs à travers la direction de l’Office du Niger. Cette année par exemple, dans certains villages, des paysans ont pu cultiver des champs qu’ils avaient perdus depuis trois ans parce qu’ils faisaient partie des endroits cédés aux investisseurs privés. (FIN/2012)