Les Accords de Libre-Échange : Échecs Commerciaux Évidents, Urgence et Nécessité d’une Alternative
26 février 2024, Bagnolet | Déclaration de La Via Campesina avec Appel Ouvert à l’Endossement
La 13e Réunion ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce débutera cette semaine à Abu Dhabi. La mondialisation néolibérale qu’elle a favorisée au cours des trois dernières décennies a systématiquement déréglementé les secteurs agricoles à travers le monde, démantelant ainsi les prix d’intervention minimum, les stocks publics, les outils de gestion de l’offre et les barrières à l’importation. Elle a également soutenu un système alimentaire industriel, entraînant une crise sans précédent à l’échelle mondiale, affectant à la fois les populations et la planète.
La preuve de la manière dont ce système économique a marginalisé les petits producteurs alimentaires se trouve de manière exemplaire dans les données provenant des États-Unis, le berceau de ce système alimentaire industriel. Le recensement du Département de l’Agriculture américain en 2022 révèle que près de 5 millions de fermes ont disparu dans le pays au cours du dernier siècle. La principale raison de cette disparition a été le retrait du soutien financier ajusté à l’inflation, débutant en 1953. Les petites exploitations ont dû devenir plus grandes pour compenser les prix plus bas, ou simplement disparaître.
Le modèle économique néolibéral de l’agriculture ne se limite plus aux États-Unis; il s’est étendu à d’autres régions du monde grâce aux accords de libre-échange et à l’accord hautement problématique de l’OMC sur l’agriculture. Cette expansion, présente sur tous les continents, a engendré une appropriation violente des terres, de l’eau et des territoires, privant les populations de leurs ressources, dévastant la planète et sa biodiversité, et provoquant une crise climatique sans précédent.
De plus, cette expansion s’inscrit dans une dynamique néocoloniale. Les recherches indiquent que le triptyque Banque mondiale, Fonds monétaire international et Organisation mondiale du commerce a facilité une fuite de ressources à travers des programmes d’ajustement structurel et des accords de libre-échange. Actuellement, le Nord global draine des marchandises d’une valeur de 2,2 billions de dollars par an du Sud. Pour mettre en perspective, cette somme pourrait éradiquer la pauvreté extrême dans le monde quinze fois.
Malgré l’accumulation croissante de preuves, ces institutions demeurent insensibles au constat alarmant que les niveaux d’inégalité et de chômage ont atteint des proportions alarmantes à l’échelle mondiale. La faim et la malnutrition sont désormais exacerbées par les conflits internes et les guerres, tant à l’intérieur qu’entre les nations, résultant une fois de plus de la lutte pour les ressources en rapide diminution de notre planète. Les prix alimentaires et l’inflation alimentaire poussent de plus en plus de personnes vers la famine dans la plupart des pays. Parallèlement, les coûts des intrants agricoles augmentent, tandis que les paysan·nes ne bénéficient pas de prix leur permettant de maintenir leur niveau de vie, contribuant ainsi à l’augmentation de la dette rurale.
En conséquence, au cours des 12 à 15 derniers mois seulement, des manifestations ont éclaté dans au moins 65 pays, où les paysan·nes réclament des prix plus équitables pour leurs produits, une régulation du marché, un soutien des prix et des programmes de gestion de l’offre.
Depuis le début de cette année, les agriculteur·rices en Europe ont organisé des mobilisations de masse exigeant la fin de ce “régime de libre-échange” qui a échoué aux citoyens et a enrichi davantage de milliardaires. Au moment de la rédaction de cette déclaration, les agriculteur·rices indien·nes, qui ont dirigé une agitation massive pendant 13 mois en 2020, sont une fois de plus dans la rue, réclamant de meilleurs prix pour leurs produits. Au Mexique, au Sri Lanka, en Argentine, en Thaïlande, au Costa Rica, au Cameroun, en Corée, au Kenya, au Bénin, et dans plusieurs autres pays, les citoyens se révoltent contre un système qui a appauvri la majorité tout en favorisant l’essor de quelques privilégiés.
Il est essentiel de souligner que la crise climatique, résultant du modèle de croissance économique actuel, constitue également une crise des inégalités. Si la richesse était répartie de manière plus équitable, chacun pourrait vivre avec dignité sans avoir à surexploiter les ressources de la Terre. Cependant, les règles de l’OMC favorisent l’accumulation de richesse et de pouvoir au sein d’une petite oligarchie, tant au Nord qu’au Sud, liée aux grandes entreprises transnationales, au détriment de 99% de la population mondiale. Cette dynamique met ainsi en péril l’ensemble de l’humanité.
Le régime des accords de libre-échange, négociés bilatéralement, régionalement ou via l’OMC, restreint les gouvernements du Sud global et du Nord, même ceux qui le désirent, dans la mise en œuvre de toute forme de soutien domestique au bien-être de leur population. En citant les règles de l’OMC et les clauses légales présentes dans de nombreux autres accords de libre-échange, les défenseurs de l’agriculture industrielle (tant au Nord qu’au Sud) interfèrent et entravent de telles initiatives. Ils considèrent le soutien domestique, la régulation du marché et les programmes d’approvisionnement public comme des distorsions commerciales et une limitation de l’accès au marché des grandes entreprises agroalimentaires, appelant ainsi à une violation de l’« ordre basé sur les règles ». Mais quelles règles? Pour qui? Il ne s’agit plus d’un ordre basé sur les règles, mais plutôt d’un ordre basé sur la puissance, où ceux immergés dans le capital financier décident pour le reste du monde.
Cependant, des changements sont en cours. Les règles de l’OMC, autrefois un puissant obstacle au développement politique, ne sont plus légalement exécutoires, car l’organe d’appel pour le règlement des différends est actuellement dans une impasse. Néanmoins, cet état de limbo a également permis à des pays tels que l’Indonésie et l’Inde d’en tirer profit pour mettre en œuvre des politiques de développement répondant avant tout aux besoins de leur population. La dysfonctionnalité de l’OMC pour parvenir à une solution permanente sur les stocks publics de produits alimentaires ou les mécanismes de sauvegarde spéciaux menace désormais de la rendre obsolète. Nous saluons cette dysfonctionnalité ! C’est la fin inévitable qui guette ce système truqué. L’OMC et le système actuel de commerce mondial doivent cesser de manière urgente, laissant place à une alternative émergente.
Une alternative portée par le peuple émerge ! Joignez-vous à nous !
La Via Campesina s’engage dans la tâche colossale de créer un cadre mondial pour le commerce entre nations. Ce cadre repose sur les principes de la souveraineté alimentaire, de la solidarité, de la coopération et de l’internationalisme. Il vise à établir un système où la terre, l’eau, les semences et les territoires ne sont pas des marchandises.
Nous élaborons actuellement un cadre visant à surmonter les crises sociales et écologiques auxquelles le monde est confronté aujourd’hui. Un cadre dans lequel chaque pays a le droit de définir ses propres politiques agricoles et alimentaires. Il peut protéger et soutenir son système alimentaire local par des mesures de régulation du marché, telles que les prix minimums de soutien, les stocks publics, la gestion de l’offre ou les prix minimums d’entrée. Ceci est particulièrement crucial pour stabiliser les prix agricoles par rapport aux coûts de production et pour lutter contre la spéculation.
Notre cadre garantira qu’aucun pays ne soit exclu du commerce international de produits agricoles, alimentaires et d’intrants agricoles contre sa volonté. Il réglementera le commerce international pour réduire la dépendance des pays à l’égard de ces intrants et promouvoir l’agroécologie paysanne. Il évitera que le commerce international ne soit soumis à des pressions géopolitiques.
Le cadre proposé veillerait à l’interdiction du dumping et des subventions à l’exportation pour les produits agricoles et alimentaires. Il garantirait que les règles du commerce international reposent sur les normes les plus élevées en matière de droits humains, notamment le droit à l’alimentation, l’UNDROP et l’UNDRIP, ainsi que sur les règles de l’OIT concernant le respect des droits des travailleurs. De plus, il défendrait les droits des travailleurs agricoles, des pêcheurs, des pasteurs, des peuples autochtones, des travailleurs migrants, et autres acteurs du système alimentaire. Il soutiendrait également la mise en place de programmes de salaire décent pour les travailleurs urbains et ruraux, lesquels seraient indexés sur l’inflation. Il soutiendra la mise en place de programmes de salaire décent indexés sur l’inflation pour les travailleur·euses urbain·es et ruraux·ales. Le cadre s’assurera que les aliments ne soient jamais utilisés comme armes de guerre dans les conflits internationaux.
Il deviendra la référence pour tous les accords de libre-échange existants et futurs. Tous les accords, qu’ils soient existants ou nouveaux, qui ne parviennent pas à se conformer décevront indubitablement le peuple et, par conséquent, doivent être suspendus.
La Via Campesina appelle tous ses membres, les mouvements sociaux alliés, les organisations de la société civile et les amis dans les milieux universitaires et politiques, y compris ceux des gouvernements, à se joindre à nous. Ensemble, construisons un cadre qui favorise un système commercial équitable, ancré dans les principes de la souveraineté alimentaire et de la justice sociale.
Alors que l’OMC entame sa 13ème Réunion Ministérielle, nous insistons pour que tous les gouvernements frustrés par sa dysfonctionnalité se joignent à nous pour construire une alternative. Ce cadre sera forgé grâce à des consultations patientes et à la défense avec toutes nos communautés. Le voyage commence maintenant, sans perdre de temps, pour garantir la sécurité et le bien-être futurs de l’humanité.
Engagez-vous pleinement dans la lutte pour la construction d’une alternative ! Signez maintenant : https://ee.kobotoolbox.org/cYxoVChl.
Face aux crises mondiales, construisons la souveraineté alimentaire pour assurer un futur à l’humanité ! L’OMC doit être exclue de l’agriculture ! Un nouveau cadre commercial est nécessaire MAINTENANT !
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