Forum mondial de l’agriculture familiale : l’UNDROP peut être un outil pour mettre en œuvre la Décennie de l’agriculture familiale
Plusieurs délégué·es des organisations de La Via Campesina ont participé à l’événement à mi-parcours du Forum Mondial sur l’Agriculture Familiale à Rome, du 14 au 18 octobre. Zainal Arifin Fuat de La Via Campesina Asie a pris part à la table ronde sur les droits des semences : adoption des instruments politiques mondiaux. Voici l’intervention adaptée de Zainal :
(Rome : 17 octobre 2024) La Via Campesina est un mouvement paysan international. L’année dernière, nous avons défini un slogan pour la 8ème Conférence tenue à Bogota, en Colombie : « Face à la crise mondiale, nous construisons la souveraineté alimentaire pour assurer l’avenir de l’humanité ». La souveraineté alimentaire et l’humanité sont toutes deux liées à une approche basée sur les droits humains, qui est avancée dans la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Paysan·nes et des Autres Personnes Travaillant dans les Zones Rurales (UNDROP), adoptée par l’Assemblée Générale de l’ONU le 17 décembre 2018. Suite à cela, le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU à Genève a adopté une résolution le 11 octobre 2023 pour établir le Groupe de Travail des Nations Unies sur les Droits des Paysan·nes et des Autres Personnes dans les Zones Rurales. Cette résolution mentionne le rôle important des agriculteur·rices familiaux·les dans le fait de nourrir les populations de leur territoire, plutôt que de produire des aliments pour d’autres territoires, selon une orientation d’exportation.
Hier, lors de la table ronde de haut niveau organisée à l’occasion de la Journée Mondiale de l’Alimentation, nous avons entendu le Dr Graziano dire que certaines organisations internationales, comme La Via Campesina, ont, dans les années 1990, face au nombre élevé de personnes souffrant de la faim dans le monde, demandé des politiques publiques favorables à l’agriculture familiale. La Via Campesina, avec ces organisations, a proposé le concept de souveraineté alimentaire lors du Sommet Mondial de l’Alimentation en 1996 pour surmonter la faim et la pauvreté.
En plus de traiter les niveaux alarmants de personnes souffrant de la faim, l’UNDROP cherche également à résoudre les nombreux conflits agraires qui affectent les paysan·nes et les peuples autochtones, souvent confronté·es à la répression, à la criminalisation et à l’expulsion de leurs territoires. Il y a de nombreux cas d’accaparement des terres liés à la production d’aliments, de fourrage, de forêts et de biocarburants destinés à l’exportation, ainsi qu’à des initiatives de lutte contre le changement climatique concernant les marchés du carbone, entreprises par de grandes multinationales (TNCs). Face à ces nombreux défis, La Via Campesina a discuté et proposé dans les années 1990 à Texcoco, au Mexique, la création d’un instrument pour protéger les droits des paysan·nes au niveau international. En 2001, l’Union des Paysans Indonésiens, avec d’autres mouvements sociaux, a organisé une conférence sur la réforme agraire et les droits des paysan·nes, soutenue par le gouvernement indonésien et la Commission Nationale des Droits Humains d’Indonésie. Cela a abouti à la rédaction, par La Via Campesina et ses alliés, d’un document sur les droits des paysan·ne·s, présenté au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU.
Aujourd’hui, nous célébrons la Journée Mondiale de l’Alimentation dans un contexte difficile. Selon le dernier rapport sur l’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition (SOFI) de 2024, 733 millions de personnes souffrent encore de la faim. L’un des principaux facteurs expliquant ce chiffre élevé est la guerre et les conflits. Nous voyons des milliers de personnes tuées, certaines mourant de faim, et une famine imminente à Gaza, en Palestine. Le même schéma semble maintenant se reproduire au Liban alors que la guerre s’étend régionalement. Il faut mettre fin à cette guerre contre l’humanité. Maria Arvelo, présidente du Comité de Pilotage International de l’UNDFF, a évoqué lors de la cérémonie officielle d’ouverture l’importance de reconnaître l’accès à la nourriture comme un besoin fondamental et un droit humain.
Je me réfère à nouveau à ce que le Dr Graziano a dit à propos de la révolution verte, de la mécanisation, de la numérisation et de l’agriculture à grande échelle, en lien avec la taille des exploitations. Mon inquiétude réside dans le fait que l’agriculture industrielle à grande échelle fait partie du marché libre, qui vise la production à grande échelle pour l’exportation. Les mêmes acteurs, les multinationales, contrôlent les marchés internationaux, spéculent sur le commerce, ce qui provoque dans de nombreux cas des prix alimentaires élevés, conduisant à l’inflation et, en fin de compte, à une récession économique et à de grandes inégalités de revenus. Ces facteurs expliquent pourquoi le nombre de personnes souffrant de la faim continue d’augmenter, comme indiqué dans le rapport SOFI 2024.
Le nombre élevé de personnes affamées et pauvres est donc le signe de l’échec du système alimentaire néolibéral. De plus, l’agriculture à grande échelle repose sur un modèle de monoculture fortement dépendant des intrants chimiques (engrais et pesticides). Elle est liée à la numérisation et à une technologie agricole avancée. Le Professeur Raj Patel, dans son message vidéo du 15 octobre, premier jour de l’événement à mi-parcours de l’UNDFF, a évoqué deux modèles d’agriculture possibles dans le futur : l’agriculture sans agriculteur, utilisant des technologies de pointe (robots par exemple), et un autre modèle, l’agroécologie, riche en biodiversité et polycultures, offrant de nombreuses opportunités pour les femmes, notamment dans le domaine de l’agroécologie.
Ainsi, La Via Campesina propose l’UNDROP comme un outil pour mettre en œuvre l’UNDFF, avec lequel le mouvement paysan international cherche à traiter les préoccupations concernant les principaux piliers du système alimentaire mondial :
- Moyens de production : Réforme agraire et droits à la terre, droits d’accès et de contrôle des terres et des ressources naturelles. La Via Campesina demande au CSA de proposer et de décider de l’organisation d’une Conférence Internationale sur la Réforme Agraire et le Développement Rural (ICARRD International conference on Agrarian Reform and Rural Development), après la dernière ICARRD tenue en 2006.
- Distribution : La Via Campesina promeut un cadre commercial international basé sur la souveraineté alimentaire, pour remplacer le système alimentaire néolibéral qui applique le libre-échange dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce et des Accords de Libre-échange.
- Agroécologie paysanne : modèle de production pour remplacer l’agriculture chimique et l’agriculture à grande échelle utilisant des semences OGM, l’édition génique et les techniques de forçage génétique. La crise de la biodiversité que nous vivons aujourd’hui a commencé lorsque toutes ces soi-disant solutions, telles que la révolution verte et l’agriculture intelligente face au climat, ont été mises en œuvre dans la production alimentaire. De plus, l’agroécologie paysanne peut s’adapter aux changements climatiques, c’est pourquoi La Via Campesina a pour slogan : « Les paysan·nes et les petit.es producteur.rices alimentaires refroidissent la planète ». Aujourd’hui, nous sommes menacés par des solutions telles que les solutions basées sur la nature et même l’agriculture régénératrice, qui visent à remplacer politiquement l’agroécologie paysanne, ces deux approches étant récupérées par les entreprises.
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