La Souveraineté Alimentaire en tant que Droit Constitutionnel au Népal
Dans une série en deux parties produite pour la publication numérique Roots, la Fédération des Paysans du Népal (ANPFa) a détaillé les processus et campagnes qui ont conduit à l’adoption de la Souveraineté Alimentaire comme droit fondamental dans la Constitution du Népal.
Le document note le mouvement populaire de 2006 lorsque les principales organisations paysannes se sont unies sous une voix commune, rendant le lobbying auprès des grands partis politiques plus efficace. Avant les mobilisations finales de 2006, les organisations paysannes de gauche et démocratiques ont collaboré pour établir leurs agendas communs, avec la souveraineté alimentaire comme point central. L’ANPFa a également organisé de nombreuses conférences et campagnes locales et régionales pour obtenir le soutien des organisations de base.
Un événement significatif a été « La Caravane du Peuple pour la Souveraineté Alimentaire », organisée en 2004. Cette marche historique, impliquant près de 20.000 paysan·ne·s de nombreux pays d’Asie et d’Europe, visait à sensibiliser et exercer une pression sur la question de la souveraineté alimentaire.
Le document note également que, bien que l’impact complet de la loi sur la souveraineté alimentaire sur la population générale ne soit pas encore matérialisé, certaines initiatives s’alignent avec ses principes. Une des initiatives est la Stratégie de Développement Agricole (ADS) pour 2015-2035, un document de vision à long terme. Les organisations paysannes ont joué un rôle crucial, avec des représentant·e·s participant activement à sa rédaction.
L’ADS vise à développer un secteur agricole autonome, durable, compétitif et inclusif, favorisant la croissance économique et améliorant les conditions de vie, tout en garantissant la sécurité alimentaire et nutritionnelle en vue d’atteindre la souveraineté alimentaire. Bien qu’il soit considéré comme un document de compromis manquant d’un cadre de mise en œuvre rigoureux, l’ADS intègre les Droits des Paysan·ne·s comme l’un de ses cinq piliers principaux.
Les réalisations les plus importantes au Népal par les organisations paysannes en faveur de la souveraineté alimentaire comprennent des restrictions sur les investissements étrangers directs de la production primaire, des restrictions sur les organismes génétiquement modifiés, et de nombreux programmes promouvant l’agriculture biologique. La Loi sur les Investissements Étrangers et le Transfert de Technologie de 2019 interdit les investissements étrangers dans les secteurs de la production primaire. Cependant, en 2021, une tentative de modifier cette loi par ordonnance a eu lieu, mais le tribunal a émis une ordonnance provisoire contre l’amendement. Par conséquent, aucune entreprise multinationale ne travaille légalement dans le secteur de la production au Népal.
En 2014, la Cour Suprême du Népal a ordonné une interdiction totale des cultures génétiquement modifiées jusqu’à ce que le gouvernement élabore une politique complète sur l’importation, la culture et la gestion des organismes génétiquement modifiés (OGM). Selon ce document de l’ANPFa, en 2021, une tentative a été faite pour lever l’interdiction des importations d’OGM, influencée par les exportateurs de soja des États-Unis. Cette initiative a suscité des manifestations importantes de la part de scientifiques, d’avocat·e·s et d’organisations paysannes. Ces cas illustrent que la lutte pour la souveraineté alimentaire est complexe et multifacette, impliquant une résistance continue contre le capitalisme néolibéral et l’impérialisme.
Le gouvernement népalais a fait des progrès significatifs dans la promotion de l’agriculture biologique, ce qui est en étroite adéquation avec les principes de la souveraineté alimentaire. Il existe plus d’une douzaine de directives et de programmes visant à soutenir cette initiative. Ceux-ci incluent les Normes Nationales pour la Production et le Traitement Agricoles Organiques, introduites initialement en 2064 BS et révisées en 2065 BS, ainsi que le Répertoire des Subventions pour les Fertilisants Organiques de 2068 BS. [Le Népal suit le calendrier Bikram Sambat – BS].
Dans le cadre d’une action exceptionnelle, la Province de Karnali, en 2018, a déclaré son intention de devenir une province orientée vers l’agriculture biologique. Par la suite, la province a lancé le Programme de Promotion de la Production Organiques et formulé la Loi sur l’Agriculture Biologique cette même année. De plus, des initiatives telles que les tests de résidus de pesticides pour les importations et l’interdiction des pesticides plus nocifs contribuent de manière significative à l’agroécologie et à la souveraineté alimentaire. La Province de Karnali a été particulièrement proactive à cet égard, en mettant en œuvre la Mission Organiques Karnali au cours des dernières années.
Le chemin pour constitutionnaliser la souveraineté alimentaire au Népal a été semé d’embûches. Finalement, des lois et règlements ont été établis pour guider sa mise en œuvre. Les alliances politiques de l’ANPFa et son réseau national et international étendu ont joué des rôles déterminants.
Cependant, le document argue que pour de nombreux activistes, intellectuel·le·s et paysan·ne·s, la souveraineté alimentaire reste un concept technique et politique. Le mouvement paysan manque encore d’un cadre complet pour sa mise en œuvre. L’appareil d’État népalais adhère en grande partie aux principes néolibéraux, dominé par le capitalisme financier, comprador et bureaucratique. En conséquence, l’agriculture ne bénéficie pas de la priorité nécessaire et il existe une pression constante pour commercialiser l’agriculture, attirant des investissements nationaux et internationaux. Le gouvernement promeut la mécanisation, l’industrialisation de l’agriculture, la création d’industries de fertilisants chimiques et la disponibilité de semences hybrides et OGM.
Le mouvement pour la souveraineté alimentaire au Népal, note le document de manière critique, fonctionne principalement de manière descendante, nécessitant un débat plus approfondi avant sa pleine mise en œuvre. Certains activistes de la souveraineté alimentaire estiment que garantir des prix de soutien minimaux, redistribuer des terres aux sans-terres et promouvoir les fertilisants organiques plutôt que chimiques sont des étapes initiales vers la réalisation de la souveraineté alimentaire. Cependant, ces actions manquent d’une vision claire et de points de départ et de fin définis.
En théorie, la souveraineté alimentaire est vantée comme une solution pour remédier aux crises écologiques aggravées par les époques de l’Anthropocène et du Capitalocène. Pourtant, dans la pratique, il reste incertain comment la souveraineté alimentaire peut effectivement garantir des revenus, des emplois pour les paysan·ne·s et transformer l’agriculture. Le Népal, en tant que pays à faible revenu, fortement dépendant de l’aide et des marchés étrangers et engagé dans des politiques libérales, fait face à des défis importants pour avancer vers la mise en œuvre de la souveraineté alimentaire.
Pour lire l’article complet rédigé par Pramesh Pokharel de l’ANPFa, cliquez ici (disponible en anglais, espagnol et portugais) : Partie 1 | Partie 2
Cette publication est également disponible en English.