La Libye s’accapare des terres rizicoles maliennes
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L’accaparement des terres des petits paysans par des grandes entreprises nationales et étrangères devient un sujet de plus en plus révoltant au Mali. Après avoir investit dans divers secteurs économiques au Mali et en Afrique, ces entreprises nationales ou multinationales se rabattent aujourd’hui sur d’autres cieux, à savoir la terre. Cela, à l’image de MALIBYA, une entreprise libyenne à qui le gouvernement du Mali, dans sa politique de promotion des investissements privés dans la production rizicole a octroyé 100 000 hectares dans la zone Office du Niger, la principale zone rizicole du pays et précisément à Macina ouest dans la région de Ségou, quatrième région du Mali.
Ce projet stratégique selon la convention signée par les deux pays a pour objectifs principaux : d’assurer l’autosuffisance alimentaire des pays; le développement de l’agro-industrie ; et le développement de l’élevage.
Selon le directeur général de MALIBYA, Abdalilah Youssef, les composantes du premier volet du projet – financé par MALIBYA- sont d’abord la construction d’un canal d’approvisionnement en eau sur une longueur de 40 km, qui s’étend de la zone de Kolongotomo jusqu’au site du projet, dans la zone de Boky-Wèrè. La capacité minimale du canal est de 130 m3. Ce qui permet d’approvisionner plus de 11 millions de m3 par jour et plus de 4 milliards de m3 par an. L’autre composante, c’est la route, longue, elle aussi, de 40 km. Le coût du contrat est estimé à 25 milliards de FCFA. Il va être exécuté sur une durée de 12 mois.
Pour assurer l’exécution des travaux relatifs à la construction du canal et la route le longeant c’est l’entreprise chinoise CGC qui a été commanditée par MALIBYA.
Il va s’agir du plus grand canal sur le territoire malien, et l’un des plus grands en Afrique. Nous avons commencé à mettre en œuvre le projet, qui va s’exécuter par étapes dont la première est de 25 000 hectares de terres agricoles. Pour ces 25 000 hectares, nous avons commencé les travaux depuis déjà plus d’un an. Le projet va être un projet multi-fonctionnel qui englobe des activités d’agriculture (notamment la culture du riz dont la production sera environ 200 000 tonnes par an), d’élevage et d’industrie. Donc, en plus de l’agriculture, il y aura de la production animale, dont les projections seront de 25 000 tonnes de viandes par an, des usines pour la transformation des produits agricoles (comme du concentré de tomates et des laboratoires, a expliqué le directeur de MALIBYA au quotidien privé « L’aube » dans sa parution du 10 novembre 2008.
En effet, le cercle de Macina est un cercle à vocation agro-pastorale et la plus grande zone rizicole de l’Office du Niger en termes de superficie. Il s’agit non seulement d’une zone d’élevage par excellence, mais aussi une zone de transit et de départ des animaux transhumants.
Ainsi, pendant que le gouvernement malien proclame sa volonté d’assurer l’autosuffisance alimentaire du pays, il continue à signer un nombre inquiétant d’accords avec des investisseurs étrangers. Ce qui permet à ces derniers d’avoir un contrôle sur les terres agricoles les plus importantes du pays.
Il convient de rappeler également qu’il y a quelques années, en marge d’un sommet de la Communauté des Etats Sahélo-Sahariens (CEN-SAD) à Bamako, le Président du Mali, Amadou Toumani Touré a offert 100 000 hectares à la CEN-SAD dans la zone Office du Niger. Tout porte à croire que la CEN-SAD est dirigée par la Libye!
La Libye qui a une dépendance accrue vis-à-vis des multinationales en matière d’approvisionnement des produits agricoles, a importé 177 000 tonnes de riz en 2005 évaluées à 62 millions de dollards US, selon les données de la FAO. On se rend compte qu’à l’instar des autres pays arabes, la Libye cherche à sortir de cette dépendance alimentaire en mettant en œuvre des projets comme celui au Mali.
Quelle que soit la destination finale du riz, sa production ne va pas beaucoup aider les agriculteurs et agricultrices du Mali, parce qu’elle va se traduire par l’expulsion de certains agriculteurs locaux de leurs terres et va entrer directement en concurrence avec d’autres producteurs pour l’approvisionnement en eau à partir du fleuve Niger, la plus importante ressource pour l’irrigation de la région. La société est même entrée en négociation avec le gouvernement pour obtenir une priorité sur l’attribution de l’eau en contre saison, quand les niveaux de l’eau sont faibles. Selon les informations que nous avons obtenues, MALIBYA entend exploiter elle-même ces 100 000 hectares de terres, engageant les paysans et paysannes locales comme ouvriers et ouvrières agricoles.
Par ailleurs, tous s’inquiètent de la façon dont ce projet va détruire l’importante diversité de semences de riz locales, et favoriser un petit nombre de variétés de semences améliorées et de techniques modernes dans le domaine agricole, tel que souligné dans la convention.
Nous avons signé un contrat avec une société chinoise pour la production du riz hybride. Aujourd’hui, en terme de rendement en ce qui concerne le riz, le Mali est à 2 tonnes à l’hectare. En introduisant cette nouvelle variété de riz hybride, le rendement sera majoré et passera de 2 à 8 ou 9 tonnes à l’hectare. Ce sont essentiellement les pays puissants qui produisent ce riz hybride et qui en ont le monopole. Il n’existe pas encore ici. Il s’agira d’une première au Mali, voire en Afrique ; souligne le directeur de MALIBYA.
Selon des spécialistes, cette variété de riz présente une qualité gustative médiocre, ce qui constitue un aspect important pour les petits producteurs qui fournissent les marchés locaux.
Par ailleurs, les semences de cette variété ne peuvent être conservées et reproduites par les producteurs qui seront obligés d’en racheter tous les ans.
De plus, les organisations paysannes locales craignent que la société libyenne n’introduise du riz génétiquement modifié (OGM) sur le territoire malien par le biais de ce projet.
La Coordination Nationale des Organisations Paysannes du Mali (CNOP), en tant que structure de représentation politique et de défense des intérêts des producteurs Agricoles, a vite saisi le dossier après avoir été interpellée par les organisations paysannes de la base. Elle a dépêché une mission avec des représentants du Programme d’Appui aux Collectivités Territoriales pour se rendre compte de l’étendue des travaux d’aménagement sur le terrain et de leurs répercussions sur la population locale.
Constats
La visite des cites et des entretiens avec les différents acteurs à la base (réalisées du 07 au 10 juillet 2009): la Préfecture, l’Office du Niger, les mairies, la population concernée, entre autres… ont abouti aux constats suivants :
- La non réalisation de l’étude d’impact social et environnemental, alors que les travaux d’aménagement ont débuté depuis octobre 2008 ;
- La non-clarté des informations fournies aux différents acteurs quant à l’exécution du projet;
- La construction du bâtiment du bureau de contrôle sur la piste de parcours des animaux à « Boky-wèrè » ;
- L’obstruction totale sur 7 kilomètres de la piste de parcours des animaux de « Kolongo » par la route et un canal en chantier sans que des passages adéquats alternatifs ne soient prévus pour les animaux ;
- L’Office du Niger de Kolongo, qui refusait de signer le contrat de bail car n’ayant pas été associée à la signature de la convention, a fait volte-face et défend actuellement le projet ;
- Les collectivités ne reçoivent aucune taxe de l’extraction des produits de carrières utilisés pour la construction de la route ;
- L’entreprise exploite les carrières sans autorisation de la collectivité et autres autorités locales; Certaines zones de prélèvement de carrière sont soit des cimetières ou des parcelles déjà loties pour l’extension de la ville par la mairie de Kolongo;
- La formation de nuages de poussières occasionnés par la fréquence des camions d’approvisionnement et accentués par le manque d’arrosage, malgré plusieurs interventions faites par les collectivités concernées avec l’implication de l’administration ;
- La destruction des cimetières par les travaux d’aménagement du canal et de la route ;
- La destruction des maisons, des villages, des vergers et jardins maraîchers par la construction de la route et le prélèvement des produits de carrières. (seulement 58 familles seront dédommagées sur les 150 familles recensées comme affectée); L’expropriation des maisons des villages dans la zone sans compensation à nos jours ;
Le développement des agrocarburants
Comme si cela ne suffisait pas, la visite a aussi permis d’identifier qu’une autre surface de 100 000 hectares dans la commune de « Monipébougou », toujours dans le cercle de Macina, appartenait désormais au groupe TOMOTA, un opérateur économique malien qui le dédie à la culture du jatropha, utilisée comme agrocarburant.
Des paysans de la commune qui n’ont d’autres richesses que leur terre, ont ici aussi été expropriés au profit d’intérêts privés. Selon le premier adjoint du maire, de la commune, Mamadou Coulibaly, l’octroi de ces terres a été fait sans l’implication des acteurs concernés à la base et aucune convention n’a été signée entre le groupe et la localité. En plus, les travaux de labour ont atteint la route qui est une route nationale sans tenir compte des bornes plantés pour identifier les pistes de passage des animaux. Ce qui mettra en cause les résultats obtenus par les collectivités dans le cadre de la recherche de solutions aux conflits sanglants et voire mortels entre éleveurs et agriculteurs. On a écrit au Préfet, au Gouverneur, au ministre de l’Environnement et même au groupe TOMOTA pour que les droits de chacun soient respectés: et les paysans qui ont été expropriés, et la marie qui veut que les pistes de passage des animaux soient respectées afin d’éviter des conflits, explique M. Coulibaly sur le site du groupe.
Ces mêmes paysans n’ayant pas été dédommagés sont obligés de travailler pour le Groupe TOMOTA moyennant 500 à 750 FCFA par jour pour subvenir aux besoins de leurs familles.
Les populations expulsées
En mettant « la charrue avant les bœufs » la population affectée par le projet MALIBYA n’a d’autre espoir que d’attendre les conclusions quant à leur dédommagement. Cela à l’image d’Antoinette Dembélé, une sexagénaire qui s’adonnait au maraîchage depuis des décennies dans la parcelle que lui a légué son époux avant son décès, afin de faire face aux dépenses familiales et autres charges sociales. Elle a été expropriée de sa parcelle située à côté du canal d’approvisionnement d’eau dans le cadre des travaux d’aménagement.
Les Chinois sont venus détruire mon jardin avec tout son contenu: goyaviers, orangers, papayers, oignons… et jusqu’à présent je n’ai pas été dédommagée. On a tenté de saisir nos autorités locales à savoir : la mairie, l’office du Niger… celles-ci nous ont fait savoir qu’elles ne peuvent rien contre une décision qui est venue du gouvernement et elles n’ont d’autres choix que de constater les travaux. Je suis obligée de rester à la maison à faire des petits commerces de cigarettes, de condiments pour faire face aux besoins de la famille. Nous sommes vieilles pour mener des luttes aussi difficiles, car ils nous ont fait savoir que la terre appartient à l’Etat et seuls les arbres et les plantes que l’on a plantées ou cultivées nous appartiennent. Si on essaie de s’informer auprès des Chinois qui font l’aménagement, ils nous disent d’aller voir le Président de la République et qu’ils n’ont de compte à ne rendre à personne. On n’a pas d’autres espoirs que d’attendre notre dédommagement.
Bien qu’une commission ait été mise en place par le village pour recenser tous les problèmes de la population en vue d’informer la mairie et d’informer la population des décisions prises ; bon nombre d’habitants ignorent son existence, ce qui remet en cause sa légitimité et son rôle de défense de la population locale. D’autres signalent que cette commission est manipulée par les défenseurs du projet.
Il convient de dire que tout porte à croire que ce projet ne sera bénéfique qu’a la Libye, contrairement à ce que pense la population, qui espère profiter de l’aménagement de ces 100 000 hectares. Cela est dû à la non clarté de l’information de part et d’autre. L’information est biaisée à tous les niveaux et en fonction des intérêts des parties concernées : la préfecture de Macina, l’Office du Niger, la population, entre autre. Ce qui pousse les autorités locales à croire à ce projet, à l’image du Préfet de Macina M. Cissé : d’après les constats et les rencontres avec les représentants des deux investisseurs qui n’avaient pas eu lieu avant le début des travaux, je pense que c’est un projet porteur qui va permettre d’aménager une grande superficie et développer le cercle. Je n’ai pas constaté de mauvaise foi de l’un ou de l’autre –MALIBYA et TOMOTA, peut être un problème d’approche.
Le directeur de l’Office du Niger de la zone de Kolongo qui avait affiché un refus vis-à-vis du projet parce qu’il n’avait pas été associé au processus de la signature de la convention, a désormais fait volte-face et défend le projet. Il pense que l’aménagement du canal principal long de 17 kilomètres et qui sert de ravitaillement pourra aussi servir à l’Office du Niger pour aménager d’autres parcelles.
Il est important de signaler que tous ces souhaits évoqués par les différents acteurs dénotent de la non connaissance du contenu de la convention. Car, il convient de dire que la convention signée par les deux pays reste jusque là invisible. Les services concernés, la population en général et plus encore la paysannerie de la localité ignorent son contenu et sa quintessence. Ce qui justifie peut-être un certain espoir de bénéficier d’un part conséquente de cet investissement. Cependant, il n’est nullement garanti dans la convention que la population allait en bénéficier.
La défense des producteurs locaux
Etant devenue un sujet particulièrement complexe et sensible, la question de la terre suscite beaucoup d’inquiétudes quant l’avenir des petits producteurs.
Par conséquent, bon nombre de structures étatiques (Programme d’appui aux collectivités territoriales, Direction nationale de la production des ressources animales) et structures privées de la société civile (Coordination Nationale des Organisations Paysannes et Fédération de Bétails et Viandes du Mali) se sont levées pour former une commission nationale afin de lutter et défendre les intérêts de la population touchée qui ne vit que de l’agriculture, l’élevage et la pêche.
La CNOP entend non seulement renforcer la lutte avec l’ensemble des organisations de la société civile, mais aussi organiser avec des parlementaires une interpellation du ministre de l’Agriculture et celui de l’Environnement à l’Assemblée Nationale pour clarifier le dossier et garantir les droits de tous les acteurs.
Bien qu’un bail de 50 ans renouvelable soit mentionné dans la convention, bon nombre d’observateurs craignent aussi l’accaparement définitif de ces terres par la Libye par l’octroi d’un titre foncier. Cela créerait des dangers sans précédents tels que des rébellions et la destruction du système semencier de la zone rizicole avec l’introduction de semences améliorées, voire même des OGM.