La Diversité des Genres dans le Mouvement Paysan : Auto-détermination et vie dans la campagne
Le mouvement paysan global La Via Campesina s’ouvre lentement au sujet de la mixité des genres.
(Bruxelles, 8 novembre 2016) La souveraineté alimentaire est également liée aux relations de genres ainsi qu’au respect des différentes manières de vivre et des droits de LGBTTQI*. Le mouvement des paysans sans terre au Brésil exprime parfaitement ce sujet et offre des idées importantes pour les débats en Europe. Depuis sa fondation en 1993, La Via Campesina a promu la souveraineté alimentaire et le changement des relations de pouvoir capitaliste et patriarcal qui dominent notre monde d’aujourd’hui.
La Via Campesina est un mouvement international de paysans, travailleurs agricoles, pêcheurs, bergers et travailleurs migrants. Elle compte environ 200 millions de membres regroupés dans plus de 160 organisations dans 73 pays. Dans l’œuvre de Via Campesina, les approches féministes à la souveraineté alimentaire ont joué, dès le début, un rôle important pour contrecarrer la discrimination et toutes les formes de violence contre les femmes dans les régions rurales. La participation des femmes à des positions dirigeantes a été cruciale dans les organisations et campagnes de Via Campesina, où les comités sont constitués de 50% d’hommes et 50% de femmes. Cependant, c’est seulement après 20 années qu’un débat sur la diversification de genres se met en place.
La visibilité et la reconnaissance des droits des lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres, transsexuels, intersexuels et queer (LGBTTQI*) au sein de Via Campesina n’ont pas encore été retenues dans nos débats. En tant que mouvement leader dans le projet politique de la Souveraineté Alimentaire et combattant de l’exclusion social basée sur les principes de vie collective et de respect mutuel, nous nous devons de nous engager dans l’ouverture de ce contexte en incluant les droits de LGBTTQI* paysans et producteurs.
Dans le contexte international de LVC, l’idée d’inclure les droits de LGBTTQI* paysans et producteurs reste embryonnaire. Néanmoins, aux niveaux local et régional, il existe des mouvements sociaux membres de LVC qui s’engagent à ce sujet et incluent les droits de LGBTTQI* paysans et producteurs dans leur organisations. Un exemple concret est le mouvement brésilien des travailleurs agricoles sans terre (Movimento dos Trabalhadores Rurais Sem Terra – MST), dont les expériences peuvent servir de référence importante pour les débats apparaissant actuellement dans le contexte européen de Via Campesina.
Pas toujours visible – mais présent depuis longtemps
En août 2015, une conférence à l’échelle nationale a été organisée à Guararema, dans l’état de São Paulo, afin d’explorer le thème de « MST et la diversification de genre ». Cette conférence s’appuyait sur une table ronde initiale entre les LGBT brésiliens sans terre (1) autour de ce sujet. Pendant cette première rencontre officielle à Guararema, 40 membres du mouvement s’affirmant LGBT se sont réunis pour un échange mutuel. Selon un participant, l’attention portée au sujet de la situation des LGBT et la reconnaissance de leurs droits est un signe de la maturité de MST étant donné qu’il n’y avait auparavant aucune stratégie commune au sein de MST autour des droits des LGBT.
Une membre de MST Jeunesse et éducation collective dans l’état de Mato Grosso se définissant elle-même comme « transfemme, sans terre et activiste pour les réformes de la terre » explique à quel point il est difficile de discuter de diversification au sein du mouvement et elle croit qu’aucune réforme agraire ne peut être discutée « sans impliquer ceux qui probablement la réaliseront » (2).
Pour les participants la réunion représentait l’opportunité de montrer que la diversification des genres est très présente dans les régions rurales – beaucoup plus de ce qu’il parait parfois. Comme l’a souligné Kelli Malford, de la coordination nationale de MST, il est essentiel que MST “reconnaisse la longue présence des acteurs LGBT dans la base sociale, que ce soit au niveau des activistes politiques que du leadership politique du mouvement ».
La réunion prend position concrètement contre « les forces conservatrices qui renforcent le racisme, l’homophobie, le machisme ou toute autre forme de préjudice ». La mobilisation et le travail pour la justice et l’auto-détermination sont un aspect important dans l’objectif de la Souveraineté Alimentaire et ils correspondent aux positions soutenues par Via Campesina depuis 1996. La déclaration de Nyéléni de 2007, dans laquelle plusieurs acteurs de la société civile définissent leur compréhension de la Souveraineté Alimentaire, reconnait également des minorités dans le système alimentaire, en promouvant leur participation dans les comités de prise de décision et en reconnaissant et appréciant notre diversité sociale comme une valeur humaine.
Lors de cette dernière décennie, on a assisté à une augmentation importante de paysans et de producteurs LGBTTQI* qui l’acceptent enfin et peuvent désormais l’exprimer librement.
Honry Sobrinho, du secrétariat national de MST, souligne que le mouvement doit refléter et représenter toutes les identités de ses membres en précisant que « l’agenda politique a connu beaucoup de visibilité et d’acceptation à l’intérieur comme à l’extérieur du mouvement à travers le développement des structure auto-organisées » (3). Au sein de MST, ce sont les activistes jeunes, dont des paysans et producteurs LGBTTQI*, qui ont lancé les discussions autour de la diversité de genres et sa représentation. L’initiative de cette réunion pour garantir un espace afin d’adresser la diversité de genres et sa représentation à l’intérieur du mouvement a ouvert la voie à beaucoup d’autres dans la manifestation de leur identité sexuel au sein de MST.
Vent de face de la Droite au Congrès national
Néanmoins, l’économie actuelle au Brésil n’est pas favorable à ce courant. Le MST a déclaré, il y a longtemps, que des forces réactionnaires de la Droite brésilienne avaient prévu un coup d’Etat contre le gouvernement démocratiquement élu de Dilma Rousseff . Le 31 aout, les élites brésiliennes ont effectué ce putsch au parlement qu’elles ont déguisé en destitution légale. Les politiques de ces groupes réactionnaires sont également orientées contre les minorités dans les régions rurales.
La Droite brésilienne au sein du congrès national est actuellement menée – entre autre – par un groupe évangéliste dont l’agenda politique se réfère directement aux restrictions des droits des femmes et de la communauté LGBTTQI* et dont les membres suscitent des attitudes sexistes et homophobes. Donc, d’un côté l’auto-détermination de la communauté queer au Brésil progresse énormément mais, d’un autre côté, on peut observer dans une partie de la société un rejet croissant envers ses représentants.
Les acteurs LGBT du mouvement brésilien sans terre réagissent en intensifiant le débat. Ils continuent de s’engager pour la reconnaissance d’un concept de Souveraineté Alimentaire qui inclut le sujet de la diversité des genres. Il est important d’intégrer des nouveaux acteurs dans les régions rurales et d’arrêter l’exode rural afin de ralentir l’avancement de l’agriculture industrielle au Brésil et de réintroduire des modèles agricoles basés sur les approches paysannes agro-écologiques pro-environnementales et sur le savoir-faire traditionnel tout en mettant en place des conditions sociales plus justes.
Pour obtenir ce résultat, le concept de famille rurale doit être revu. Christiane, participante à la réunion de Guararema, explique : « Il est temps que la famille traditionnelle adopte l’idée qu’il existe d’autre modèles de famille. Il y a encore beaucoup à faire à l’intérieur et à l’extérieur du mouvement. La législation concernant différents concepts de famille dans les régions rurales n’est pas encore clairement défini ».
Par exemple, les autorités départementales ne sont pas encore prêtes à délivrer des documents de propriété foncière pour des couples homosexuels mariés. Dans l’état de São Paulo, les femmes ont le droit d’inscrire leur nom dans le registre cadastral. Par contre, des critères très subjectifs ont été appliqués en ce qui concerne les couples lesbiens mariés. « Notre but n’est pas de créer des espaces individuels séparés mais bien de démonter les barrières et de parvenir à une acceptation plus large pour la diversité de genres », a déclaré Christiane.
Eduardo, de la coordination de MST de l’état Ceará dans le nord-est du Brésil, est le premier à avoir pu s’inscrire dans le registre cadastral avec son mari. Selon lui, le débat sur la diversité de genres est étroitement lié aux conflits autour du capitalisme et de la lutte des classes. Il souligne toutefois qu’il y a également une certaine réticence envers l’ouverture aux sujets LGBT au sein de MST.
Donc, le doute prétendant que la base paysanne n’est pas prête pour des tels débats se confirme. Selon Eduardo, des telles préoccupations reflètent des « attitudes gauchistes orthodoxes des années 80 » saturées dans la conviction que « la diversité de genres est une expression de déviation bourgeoise ». Ainsi, le mouvement s’isole avec des telles positions; elles ne devraient pas avoir leur place dans le mouvement. « Finalement on doit brandir le drapeau arc-en-ciel et voir les régions rurales comme un territoire de diversité. » Eduardo pense que la conférence à Guararema a contribué « à avoir ce débat à l’intérieur du groupe des opprimés et à comprendre que le monde paysan et travailleur a ses propres dynamiques et réalités. »
Les acteurs LGBT sont actifs depuis longtemps dans différents aspects du mouvement, depuis la base jusqu’aux comités de coordination de MST. A la réunion à Guararema, il a ainsi été décidé de ne pas établir un groupe séparé LGBT pour le moment, mais d’introduire et d’intégrer le débat au sein des activités déjà planifiées de l’organisation, de promouvoir des débats et aussi de conduire des interventions culturelles. Cela a déjà été réalisé à plusieurs niveaux.
Plus de couleur(s) pour le mouvement paysan
Même si le thème de LGBTTQI* a été traité de manière relativement prudente dans le contexte international de Via Campesina, les expériences décrites ici peuvent servir de source d’inspiration pour les acteurs au sein de ECVC.
Afin d’entreprendre ce débat encore inexistant en Europe, les membres de ECVC ont échangé leurs expériences autour d’une table ronde en Mars 2016. Il s’avère que l’exclusion et l’humiliation constituent également une réalité bien présente pour la communauté LGBTTQI* dans les régions rurales en Europe.
Les structures sociales sont encore patriarcales et peu respectueuses de l’égalité des sexes. Dans les régions rurales notamment, la pression exercée sur les jeunes et leur choix de carrière est forte autour du rôle des genres. En Allemagne il était établi jusqu’il y a peu que l’économie était une matière orientée pour les filles et l’arboriculteur pour les hommes.
Jusqu’à maintenant, la division des taches selon les genres a été une pratique généralisée dans le monde agricole européen. Même avec l’implication du mouvement paysan, la participation des femmes est entravée puisqu’elles sont, encore aujourd’hui, responsables du bon fonctionnement de la ferme et de la famille pendant que l’homme détient le rôle public. De plus, les régions européennes sont encore façonnées par le christianisme et elles sont souvent peu ouvertes au débat de l’identité sexuelle et du genre, à l’exception des normes de genre binaire hétéronormatives comme le sont par exemple les modèles de cohabitation qui sont diffèrent de la famille traditionnelle.
Pour cette raison, beaucoup de personnes décident de déménager vers les grandes villes. Un continent qui a perdu lors des dernières 50 années une grande partie de son agriculture paysanne et est confrontée à un besoin urgent de nouvelles stratégies pour renforcer les structures rurales et paysannes ne peut pas se permettre de voir ses jeunes quitter la campagne en raison de leur identité sexuelle.
Il est essentiel, et surtout en Europe, de rendre les régions rurales plus attractives pour les jeunes qui ne proviennent pas d’un décor paysan. Cela inclut également une réduction du rejet et de l’hostilité envers la diversité de genre. Les représentants LGBTTQI* au sein de Via Campesina Europe peuvent apprendre beaucoup des expériences de MST et se confronter au défi d’adapter des stratégies au contexte européen.
Dans les régions rurales du Brésil, – à l’instar de l’Europe – le projet politique de Souveraineté Alimentaire peut donc être considérablement enrichi si la diversité de genre, la reconnaissance et les droits des paysans et producteurs LGBTTQI* sont intégrés et représentés. Cela permet à la lutte paysanne de s’accroitre face aux relations de pouvoir du capitalisme et du modèle patriarcal et cela donne indubitablement plus de couleurs aux mouvements comme La Via Campesina.
De Paula Gioia, membre du Comité de Coordination d’ECVC.
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(1) Plutôt que d’employer le terme LGTTQI*, MST utilise ici l’abréviation LGBT, car personne de l’organisation ne s’est publiquement déclaré inter ou queer.
(2) Toutes les citations pas signalées dans la suite proviennent des articles du site web MST.
(3) Interview avec Honry Sobrinho en juillet 2016.