Je suis gay, je suis lesbienne, je suis trans, je suis bi et travesti, je suis sans‑terre, je suis humain, je suis comme vous
Les sans-terre organisent le séminaire « le MST et la diversité sexuelle », et estiment que l’intégration de luttes identitaires fait aussi partie de l’évolution du Mouvement.
(Guararema, 11 août 2015) Il n’est pas nécessaire d’être lesbienne, gay, bisexuel, travesti, transsexuel ou hétérosexuel pour penser que l’amour est libre et pluriel, qu’aimer est un droit fondamental et que personne ne doit souffrir parce qu’il aime. C’est dans cette perspective que s’est tenu le séminaire « Le MST et la diversité sexuelle » du 7 au 9 août, à l’École nationale Florestan Fernandes (ENFF), à Guararema, Sao Paulo.
La première rencontre LGBT du MST a réuni plus de 40 personnes venant de plusieurs états du pays, qui pensent que l’intégration des luttes identitaires fait aussi partie de l’évolution du mouvement.
Amener le débat LGBT au sein du Mouvement, c’est démonter l’imaginaire social de la conception de la famille traditionnelle considérée comme légitime et permettre ainsi de concevoir un mouvement social où la sexualité est simple.
Lors du séminaire, Maria Rita Khel, spécialiste en psychologie de l’Université pontificale catholique de Sao Paulo (PUC-SP), essayiste et journaliste, a souligné qu’à chaque nouveau recensement effectué au Brésil, on constate que la famille n’est plus la même.
« Plus la même par rapport à quoi ? » interroge-t-elle. « Où se situe le point de référence à partir duquel nous mesurons le degré de « dissolution » de la famille contemporaine ? La phrase : « la famille n’est plus la même » révèle la croyance qu’à un moment donné, la famille brésilienne aurait correspondu à un modèle en dehors de l’histoire. Cela indique que nous évaluons notre vie familiale par rapport à un modèle de famille idéalisé, modèle qui correspondait aux besoins de la société bourgeoise émergeant au milieu du 19e siècle. D’ailleurs, les études démographiques récentes montrent un éloignement par rapport à ce modèle que les classes moyennes brésiliennes ont adopté comme idéal et qui ne représente pas les membres qui la composent de façon générale, résume-t-elle.
Le séminaire « Le MST et la diversité sexuelle » a été une expérience d’accueil de la différence et de dialogue avec les multiples composantes de la société. Pour Kelli Mafort, de la coordination nationale du MST, le séminaire représente une étape historique dans les 30 ans d’existence de l’organisation du Mouvement des sans-terre. « Cette rencontre rend visibles les LGBT acteurs de la lutte dans les campagnes. C’est une étape essentielle qui permet de reconnaître qu’ils sont présents au sein de notre base sociale, chez nos militants et dans la direction du Mouvement. Plus encore, cela démontre une posture concrète de lutte contre les segments conservateurs qui renforcent le racisme, l’homophobie, le machisme, et toutes sortes de préjugés. Ainsi, il s’agit d’une étape historique au sein du MST, c’est une marche qui est lancée et on ne peut plus revenir en arrière », souligne-t-elle.
L’intégration des débats de genre élargit le champ de la lutte et ouvre la voie pour que certaines revendications sociales gagnent du terrain et soient exprimées.
Pour les participants, la question de la diversité sexuelle et l’auto-organisation des acteurs LGBTs sans‑terre n’ont de sens que dans la mesure où elles sont liées au projet de Réforme agraire populaire et aux luttes plus générales pour des changements sociaux et pour le socialisme.
Le Brésil intolérant
D’une certaine manière, les luttes menées par les LGBT ont amorcé de nouvelles revendications sociales, au‑delà de celles portées traditionnellement par le Mouvement des sans-terre.
Les principales revendications des mouvements de diversité sexuelle sont liées en grande partie à la quête de légitimité sociale, culturelle et politique dans toutes leurs formes d’exercices possibles, historiquement niées, comme le droit à l’adoption pour les couples de même sexe.
Mener ce débat, c’est reconnaître un manque de réflexion sur cette question au sein d’une organisation qui lutte contre l’exclusion sociale et qui se fonde sur des expériences de nature collective et le respect d’autrui.
Selon le Groupe gay de Bahia (GGB), qui recense les cas d’assassinats dans la population LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) à partir des informations publiées dans les journaux et envoyées par des organisations non gouvernementales, un homosexuel est tué toutes les 28 heures au Brésil.
Selon le rapport de l’ONG International Transgender Europe, le pays se classe également premier dans les assassinats de transsexuels. Entre janvier 2008 et avril 2013, 486 transsexuels y ont été assassinés. Récemment, l’Association internationale des gays et lesbiennes a effectué un classement mondial qui a montré que 44% des morts de LGBT dans le monde surviennent au Brésil.
« Lutter pour la liberté sexuelle c’est lutter contre le patriarcat »
Je suis Wagner, je fais partie du MST depuis 16 ans. La question LGBT est ancrée dans le Mouvement des sans-terre depuis près de 10 ans déjà. Le grand défi pour nous a toujours été d’être représentés dans les instances du Mouvement et ainsi de réussir à se positionner sur les questions concernant les LGBT. À Sao Paulo, j’ai été le premier homosexuel assumé à faire partie de la direction étatique, cela a représenté une grande avancée. L’accueil a été incroyable, je ne me souviens pas avoir eu des problèmes liés à quelque discrimination que ce soit au sein de l’instance d’état. Je pense que c’est parce que mon orientation sexuelle n’a pas à dicter ma condition d’acteur de la lutte. Il est important que nous ayons des drapeaux et des actions qui nous réunissent. Le défi qui se pose à nous est de penser au‑delà de la lutte pour les droits. Nous avons besoin de discuter de l’acceptation, de la capacité à respecter l’autre. « En nous réunissant, nous affirmons notre existence ».
Je suis Cristiane, lesbienne et militante du Mouvement des sans-terre pour la Réforme agraire populaire depuis 15 ans. La légalisation du mariage civil égalitaire a eu lieu le 10 mai 2010, le 13 mai, Daniela et moi nous sommes mariées. C’est ainsi que se traduit la recherche d’un espace au sein de l’organisation. Le mouvement travaille beaucoup sur la question de la famille paysanne. Il est temps que la famille traditionnelle soit préparée à l’existence et à l’arrivée de nouvelles formes de noyaux familiaux. Nous savons qu’il y a encore beaucoup à faire au sein et en dehors du Mouvement. Les lois ne sont pas encore claires en ce qui concerne la diversité dans les campagnes. Des organismes comme Itesp (Instituto de Terras do Estado de São Paulo) ne sont pas prêts à faire face à certaines situations. Par exemple, dans la désignation de la propriété d’un lopin de terre, la femme est prioritaire. Dans le cas d’un couple de lesbiennes, les critères qui seront pris en compte sont encore subjectifs. Il y a un manque de préparation. Notre objectif dans ce cas est de penser à des façons de travailler sur les préjugés au sein du MST et de la société en général. C’est notre but depuis le début. L’idée ce n’est pas de débattre d’un espace portant des étiquettes, mais de lever les barrières et de s’approprier la diversité.
« Le LGBT a la même capacité à lutter, à occuper et à former »
Je m’appelle Eduardo (gauche), je suis membre de la coordination nationale du MST dans le Ceará, je travaille dans le secteur de la formation, je suis spécialisé dans la Réforme agraire, je suis gay et militant de la diversité sexuelle. J’ai pris mes fonctions aux côtés de mon compagnon, nous sommes le premier couple LGBT du Ceará à avoir été reconnu légalement au sein de l’Incra. Auparavant, les LGBT ne pouvaient s’enregistrer que comme célibataires. En 2014, sur la base de la modification de l’arrêté n°35 du Ministère du développement agraire (MDA), nous avons eu la possibilité de nous enregistrer et, par la suite, d’être reconnu comme un couple. Au sein du MST, le débat sur la diversité sexuelle est étroitement lié à la lutte contre le capital et à la lutte des classes. Avec ce séminaire, nous plaçons le débat au cœur des oppressions, en comprenant que le travailleur paysan a des particularités. Au sein du Mouvement des sans-terre, tout comme dans d’autres mouvements sociaux, il y a une prise de distance autour de ce débat. Le MST, par nature, n’est pas homophobe, parce que cela représenterait une contradiction au sein d’une organisation dont l’un des principaux piliers est la construction d’une société juste et égalitaire reposant sur le socialisme. Cependant, cette affirmation ne dispense pas l’organisation de faire face à certaines pratiques homophobes. Il existe un grand mythe selon lequel la base paysanne ne serait pas préparée au débat autour des questions LGBTs. C’est une idée complètement fausse utilisée par certaines personnes pour faire barrage au débat. Ce sont des opinions marquées par une position orthodoxe de gauche, un marxisme cloisonné, qui a même renforcé, jusqu’au milieu des années 80, l’idée selon laquelle la diversité sexuelle était l’expression d’un penchant bourgeois, en d’autres termes, une grande erreur. Le MST ne peut et ne va plus s’exclure de ce débat. Dans le cas contraire, nous resterons en dehors de l’histoire. Ce Mouvement a été construit par des hommes, des femmes et des LGBTs. Et en même temps que nous agitons la bannière noire, en menant la lutte pour la Réforme agraire populaire et contre l’agrobusiness, nous devons commencer à agiter le drapeau coloré, dans l’optique de penser les campagnes comme un territoire de diversité et, en tant que tel, un territoire qui doit aussi faire face à l’homophobie, la lesbophobie et la transphobie, des maux qui, comme le machisme, doivent être combattus et anéantis.