Henry Saragih lors du 3e anniversaire de l’UNDROP : “Les paysan·ne doivent être prêt·es, quel que soit le terrain, du champ à la table de négociation”
Le 17 décembre 2021, le Syndicat des paysans indonésiens – Serikat Petani Indonesia (SPI) – a célébré les trois ans de l’adoption, en 2018, par l’Assemblée générale des Nations unies, de la Déclaration des Nations unies sur les droits des paysan·nes et des autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP).
Ce jour-là, dans le cadre des célébrations, le SPI a organisé de nombreuses activités en Indonésie. Un webinaire international était l’une de ces activités. Le webinaire a été suivi par de nombreux participant·es, notamment d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine et d’Europe.
Dans son discours d’ouverture, Henry Saragih, ancien coordinateur général de La Via Campesina et actuel président du SPI, a déclaré que l’approbation de l’UNDROP était le résultat de 17 années de travail conjoint et long, mené non seulement par les agriculteur·ices mais aussi par divers acteur·ices, notamment des experts juridiques, des institutions académiques et des organisations de la société civile.
Il a comparé l’UNDROP à un fleuve qui prend sa source et son cours et qui est alimenté par de nombreuses sources et affluents.
En effet, l’UNDROP est le résultat collectif de nombreux efforts et acteur·ices. De nombreux pays d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine et d’Europe ont soutenu le processus, sans eux, le succès n’était pas possible. Par exemple, à Genève, plusieurs pays du Mouvement des non-alignés et de la Conférence afro-asiatique ont contribué à faire de la lutte pour les droits des paysan·nes une réalité et à mettre le processus en marche au sein du Conseil des droits de l’homme des Nations unies (CDH).
“Beaucoup avaient dit que cette déclaration – son processus – était difficile car elle allait demandé beaucoup de temps, beaucoup de ressources humaines. La crise alimentaire de la fin des années 2000 a cependant donné un élan suffisant au processus, car elle a suscité une grande prise de conscience de la fragilité du système alimentaire mondial et de la nécessité de protéger les paysan·nes et les personnes travaillant dans les zones rurales”, a-t-il expliqué.
Les sceptiques avaient raison, car les paysan·nes ne disposaient pas des ressources-clés nécessaires pour lancer et soutenir un “processus difficile” de reconnaissance de leurs droits dans les couloirs officiels des institutions multilatérales internationales telles que l’ONU. Cependant, les paysan·nes avaient et ont toujours “beaucoup de temps et de patience” et les masses critiques les souteinnent sous la forme de la solidarité internationale et de l’unité mondiale. Cela a été démontré d’innombrables fois dans les luttes paysannes passées. Plus récemment, la protestation des agriculteur·ices indien·nes contre leur gouvernement pour l’abrogation des trois lois agricoles qui s’est terminée par la victoire fin 2021 en est un témoignage clair. En réponse à la question d’un journaliste sur la persévérance dont font preuve les agriculteur·ices indien·nes, même après plusieurs séries de négociations infructueuses avec le gouvernement indien, Rakesh Tikait, de la Bhartiya Kisan Union, a évoqué le combat quotidien d’un paysan dans les champs, et a déclaré :
“La résilience est dans notre sang. Chaque année, après avoir semé des graines, nous attendons patiemment pendant des mois pour récolter la moisson. C’est un travail éreintant dans des conditions difficiles. Souvent, une sécheresse ou une tempête de grêle inopportune détruit tout et anéantit tous nos espoirs d’un meilleur rendement et d’un meilleur revenu. Pourtant, nous persistons. Nous n’abandonnons pas. Nous ne nous enfuyons pas. L’hiver arrive, et nous plantons à nouveau. Dans un village du Rajasthan, mon peuple a attendu les pluies pendant 12 longues années. Les paysan·ne sont l’exemple même de la patience. Notre ferme est notre vie. Si nous pouvons attendre la pluie pendant 12 ans, que sont ces trois lois agricoles ? Nous attendrons, mais nous n’accepterons pas la défaite.”
La victoire de 2018, lorsque l’UNDROP a été officiellement adopté par l’Assemblée générale des Nations unies, n’est, pour les paysan·nes, qu’une moitié de bataille gagnée. Ce qui est plus important maintenant, c’est que la déclaration soit mise en œuvre. Cette dernière étape de mise en œuvre se heurte à de nombreux obstacles.
Selon Zainal Arifin Fuad, membre du Comité international de coordination (CIC) de La Via Campesina, il faut encore se battre aux Nations unies pour la mise en œuvre des procédures spéciales, afin que l’UNDROP soit appliquée et intégrée dans chaque système des Nations unies.
Il a également souligné qu’en plus de faire pression pour l’intégration au niveau de l’ONU, les mouvements sociaux et les organisations de la société civile devraient de toute urgence travailler davantage à la base pour éduquer et accroître la compréhension de la déclaration par les détenteurs de droits, afin que l’UNDROP devienne vivant et réalise les droits de tous les peuples.
Henry Saragih et de nombreux autres participant·e qui ont assisté au webinaire soutiennent également ce point, à savoir que la mise en œuvre de l’UNDROP est importante et nécessite beaucoup d’efforts pour créer une plus grande sensibilisation.
Saragih a reconnu l’ampleur de la tâche qui l’attend et la nécessité d’être prêt. Il a déclaré : “Notre lutte exige beaucoup de force et une grande portée. Nous ne devons pas laisser nos vies, notre nourriture, être livrées et prises en charge par des personnes qui n’en ont aucun droit. Par conséquent, les paysan·ne doivent être prêts quel que soit le terrain, depuis les terres agricoles jusqu’aux tables de négociation.”
Budi Laksana, secrétaire général du Syndicat des pêcheur·euses indonésien·nes (SNI), a déclaré qu’il « ne suffit pas de faire connaître l’UNDROP à partir de livres et de brochures uniquement. Cela doit être un outil de lutte constitutionnelle, afin qu’il devienne un encouragement pour tous les mouvements populaires dans la lutte pour leurs droits.”
“Nous avons un gros travail à faire pour que l’UNDROP se réalise. Travailler à la réforme agraire, au droit aux semences, et à d’autres idéaux… Ce qui n’est pas moins important, c’est comment enflammer cette lutte non seulement au niveau international, mais aussi au niveau local et national”, a déclaré Henry Simarmata – un expert juridique.
Morgan Ody, de la Confédération Paysanne, et nouvelle coordinatrice générale de La Via Campesina, a également participé au webinaire. Elle a déclaré que les droits paysans ont été de plus en plus attaqués ces derniers temps sur de nombreux fronts et qu’il est difficile pour les paysan·nes de prospérer. “Actuellement, nous avons beaucoup de travail à faire pour que l’UNDROP soit acceptée par le public. Il s’agit notamment de prendre des mesures pour que chacun de nos membres, à différents niveaux, respecte ce droit. Ce n’est pas une chose facile étant donné que les grandes entreprises et les sociétés transnationales ont des intérêts opposés aux nôtres”, a-t-elle ajouté.
Nury Martinez, de la Federación Nacional Sindical Unitaria Agropecuaria (FENSUAGRO) en Colombie et membre du CIC de LVC, a également souligné qu’il reste encore du travail à faire pour que l’UNDROP devienne une réalité dans la vie quotidienne des paysannes et paysans.
Anuka De Silva, jeune agricultrice venant de MONLAR, au Sri Lanka, et membre du CIC représentant les jeunes, a déclaré que l’UNDROP offrait une grande opportunité de parler des droits des paysan·nes et des personnes qui travaillent dans les zones rurales, de parler des droits de l’homme, de parler des agriculteurs. Et que nous avions une grande opportunité de combattre le néolibéralisme et les sociétés transnationales qui violent les droits des paysans. Elle a par ailleurs souligné l’importante de l’UNDROP comme outil. “Nous avons vu ce qui s’est passé pendant la pandémie, les grandes entreprises essayaient de détruire notre mode d’agriculture… c’est pourquoi l’UNDROP est importante en tant qu’instrument de lutte, pour traiter avec ces acteurs”
Elizabeth Mpofu, du Zimbabwe Small Holder Farmers’ Forum (ZIMSOFF), a déclaré que tous les éléments du mouvement paysan dans le monde devraient s’efforcer de mettre en œuvre cette déclaration, même si nous rencontrons de nombreux obstacles, à commencer par l’OMC et d’autres. Elle a ajouté que le ZIMSOFF continuerait à soutenir les efforts de mise en œuvre de l’UNDROP au Zimbabwe.
David Otieno, de la Ligue des paysan·nes du Kenya, a également déclaré que, bien que l’UNDROP soit encore relativement inconnue au Kenya, il l’utilisait comme base et instrument pour soutenir les luttes locales.
“Nous avons fait une analyse qui montre qu’il y a actuellement une extinction de nos semences locales. Par conséquent, il est important d’appliquer immédiatement au niveau national, pour protéger ces droits. Nous pouvons protéger beaucoup de choses, si les agriculteurs comprennent leurs droits (inscrits dans l’UNDROP). Nous devons nous battre ensemble, collectivement, pour le bien commun”, a-t-il déclaré.
Helio Dias Da Silva, membre du MOKATIL (une organisation d’agriculteurs du Timor Leste) a déclaré que son parti avait adopté une approche qui pourrait mener à ce que l’UNDROP puisse être appliquée par son gouvernement.
“Compte tenu de la situation politique nationale dynamique, nous prenons des moyens constitutionnels pour que cela puisse être intégré dans la politique intérieure. Nous faisons également de grands changements en intégrant la souveraineté alimentaire dans la politique publique. Nous intervenons afin de pouvoir apporter des changements au niveau de la production, jusqu’à la distribution”, a déclaré Helio.
Kim Jeon Sool, de l’Association coréenne des femmes paysannes (KWPA), en Corée du Sud, a déclaré que son organisation menait actuellement des activités de distribution de semences à la communauté environnante, dans le cadre de sa stratégie de campagne visant à faire connaître l’UNDROP du grand public.
Shalmali Guttal de Focus on Global South a souligné que l’UNDROP pouvait être un outil pour vaincre la faim, l’exploitation et les abus des paysan·nes. “J’espère faire partie de cette lutte à l’avenir, pour pouvoir promouvoir l’UNDROP dans la vie des paysan·ne et des personnes travaillant dans les zones rurales”, a-t-elle ajouté.
Sur la façon dont les politiques au niveau international peuvent mettre en œuvre l’UNDROP et avoir un impact sur la base, Raffaele Morgantini du CETIM, Suisse, a déclaré : “Je crois que nos actions à la base peuvent apporter des changements, et nous devons le faire à différents niveaux et être plus efficaces.”
Ceci est important pour pouvoir construire la souveraineté alimentaire dans chaque pays, assurer la réforme agraire, et le contrôle des moyens de production pour les paysan·nes et les personnes travaillant dans les zones rurales. Cependant, la pandémie actuelle de COVID-19 continue d’affecter et d’entraver les moyens de mise en œuvre à grande échelle de l’UNDROP. Il est donc nécessaire d’adapter les plans de mise en œuvre du mouvement paysan au contexte sanitaire mondial actuel et de profiter des opportunités existantes pour populariser l’UNDROP et créer une plus grande sensibilisation.
“… Nous devons continuer à proclamer la lutte et la faire avancer ensemble. Parce que ceux qui sont contre les droits des paysan·nes continuent aussi à bouger. En Indonésie, nous avons vu naître la loi sur la création d’emplois, même si, à la fin, nous avons réussi à avoir un contrôle judiciaire et à la rendre conditionnellement inconstitutionnelle”, a conclu Henry Saragih.
A la veille du troisième anniversaire de l’adoption officielle de l’UNDROP, La Via Campesina et FIAN International ont lancé la première brochure d’une boîte à outils en cinq parties de matériel d’éducation populaire. L’objectif de cette boîte à outils est de sensibiliser plus largement, de promouvoir une compréhension plus profonde et de renforcer les capacités des mouvements populaires ruraux par le biais de l’éducation populaire. La Via Campesina encourage ses membres et alliés à utiliser ces brochures comme un outil fondamental pour s’assurer que l’UNDROP sera respectée, mis en œuvre et promue à tous les niveaux, du local à l’international, des coutumes communautaires aux mécanismes de prise de décision.
La phase de mise en œuvre requiert en effet la résilience, la persévérance, la solidarité et l’unité que les paysan·nes ont développées dans les champs et dans de nombreuses autres luttes passées. Cette fois, les paysan·nes et les autres personnes travaillant dans les zones rurales ont un autre outil à leur disposition – un réseau mondial plus fort et plus diversifié pour soutenir le processus. L’aggravation actuelle de la crise multiple (climatique, économique, sanitaire, sociopolitique, etc.) à laquelle l’humanité est confrontée et l’urgence de trouver des solutions durables constituent un terrain fertile pour une transformation sociale radicale vers de meilleures sociétés fondées sur la justice, l’égalité, le respect et la solidarité. Pour les millions de paysan·nes, de petit·es et moyen·nes agriculteur·ices, de femmes rurales, de sans-terre, d’indigènes, de migrant·es, de travailleur·euses agricoles et de jeunes du monde entier qui cherchent à défendre l’agriculture durable à petite échelle comme moyen de promouvoir la justice sociale et la dignité, la reconnaissance et l’application de l’UNDROP est un pas crucial dans la bonne direction vers ces sociétés meilleures.
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