Forum mondial de l’agriculture familiale : «La mise en œuvre actuelle des technologies numériques sert à renforcer le pouvoir des entreprises et de l’agrobusiness. »
Plusieurs délégué·es des organisations de La Vía Campesina ont participé au Forum mondial sur l’agriculture familiale : À mi-parcours de la Décennie des Nations Unies pour l’agriculture familiale (2019-2028), UNDFF, qui s’est tenu à Rome du 14 au 18 octobre.
Paula Laini de La Vía Campesina Europe et de l’Articulation des jeunes du mouvement a participé à la table ronde des jeunes agriculteur·rices.
En tant que La Vía Campesina, en tant que paysan·nes et agriculteur·rices faisant face à l’augmentation de la numérisation dans nos fermes et nos vies, nous avons entamé un processus de réflexion interne sur l’impact de la numérisation sur nos droits. Et cela constitue déjà un défi, car le développement technologique avance très rapidement, alors que nous, en tant que plus grand mouvement mondial paysan, évoluons à un autre rythme, où l’inclusion prend du temps.
Ce sur quoi nous nous sommes accordé·es jusqu’à présent, c’est que la mise en œuvre actuelle des technologies numériques renforce le pouvoir des entreprises – qu’il s’agisse de l’agrobusiness ou des grandes entreprises de haute technologie – et aggrave les violations de nos droits en tant que paysan·nes
Voici quelques exemples :
- Accessibilité et coûts
- Accaparement des données (= accaparement des savoirs)
- Rupture de la connexion avec la Nature.
Il faut aussi reconnaître que ce résultat est dû au fait que les cadres législatifs et politiques actuels ne sont pas adaptés pour orienter les technologies numériques vers la justice sociale et écologique, y compris le respect des droits des paysan·nes tels qu’ils sont inscrits dans la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Paysans (UNDROP) et les droits des peuples autochtones, tels qu’inscrits dans la DNUDPI. La seule façon de faire en sorte que la numérisation remplisse son objectif de nourrir le monde de manière durable est de mettre en place des politiques publiques conformes à ces déclarations et à d’autres instruments juridiquement contraignants.
Aujourd’hui, on m’a demandé de parler des actions collectives pour protéger les droits des paysan·nes face aux risques de la numérisation. Les systèmes semenciers paysans, qui diffèrent considérablement des systèmes semenciers industriels, en sont l’un des exemples les plus évidents.
Contrairement à de nombreuses technologies numériques, souvent standardisées, inexactes et vulnérables aux crises, les systèmes semenciers paysans sont plus résilients et s’adaptent aux conditions locales. Les systèmes semenciers paysans reposent sur des savoirs ancestraux, des pratiques collectives et des relations sociales et écologiques complexes, et constituent l’ingrédient clé de l’agroécologie et de l’innovation sociale (deux domaines largement ignorés par la recherche et le développement). Les systèmes semenciers paysans démontrent que l’innovation n’est pas toujours numérique !
Ces systèmes ne peuvent exister que si le droit des paysan·nes à utiliser, reproduire, vendre et échanger leurs semences est protégé. L’autonomie et la maîtrise des savoirs derrière les semences sont essentielles pour que les paysan·nes gardent le contrôle sur les ressources agricoles, permettant ainsi à l’innovation paysanne de perdurer et d’évoluer avec les conditions changeantes.
Cependant, la numérisation met en péril le droit des paysan·nes aux semences en raison du développement des biotechnologies modernes, et en particulier des nouveaux OGM ou des nouvelles techniques de sélection. Ce qui nous alarme le plus, c’est l’impact que les brevets sur ces nouvelles techniques auront sur notre droit à nos semences, mais aussi le fait que leur dérégulation pourrait nous empêcher de choisir librement si nous voulons utiliser ces technologies OGM ou non.
Pour sauvegarder les systèmes semenciers paysans, nous avons besoin de cadres réglementaires à différents niveaux qui fassent respecter les droits des paysan·nes sur les semences. Nous appelons ici à l’application des articles pertinents de l’UNDROP et du TIRPAA (notamment les articles 9 et 12), à l’application du principe de précaution et au respect du protocole de Cartagena de la Convention sur la diversité biologique.
En tant que La Vía Campesina, nous attirons constamment l’attention sur le fait que nous perdons chaque jour, partout dans le monde, de nombreux·ses paysan·nes et petit·es agriculteur·rices. La seule numérisation que nous sommes prêt·es à envisager est celle qui pourrait aider à inverser cette tendance, bien que nous ayons le sentiment d’être encore très loin de cet objectif.
En tant que jeune, je peux affirmer avec certitude que la numérisation n’est pas une priorité pour moi, en comparaison avec la nécessité d’avoir accès à la terre et à des revenus équitables, qui sont, en revanche, les principaux obstacles à l’entrée des jeunes dans l’agriculture et devraient donc être prioritaires dans les politiques alimentaires.
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