Colombie : Déclaration du Sommet Paysan alors que les préparatifs de la COP16 sur la biodiversité s’accélèrent
Les 29 et 30 août, en prélude à la 16e Conférence des Parties de la Convention sur la diversité biologique (COP16), qui se tiendra à Cali plus tard cette année, une délégation de La Via Campesina a été présente au Sommet Paysan à Fusagasugá, Cudinamarca, Colombie. Nous reproduisons ci-dessous l’intégralité du texte de la Déclaration du Sommet.
Les organisations paysannes colombiennes et internationales, en tant que gardiennes, protectrices et reproductrices de la vie, dans le cadre du Sommet paysan vers la COP 16, dans la ville de Fusagasugá, Cundinamarca, Colombie, déclarent au gouvernement national de Colombie, au peuple colombien et à l’humanité :
Nous reconnaissons l’initiative du gouvernement colombien en réponse aux demandes du mouvement paysan, des organisations de pêcheur·euses et des défenseur·euses des biens communs. Le Sommet des agriculteur·rices a donc été créé dans le but de rendre plus visible la situation des paysan·nes dans le monde, dans le contexte des discussions internationales liées à la protection de l’environnement, à la lutte contre la crise climatique et à la protection de la biodiversité.
Sur le contexte en Colombie :
● Nous exigeons la fin des violations des droits humains et de la militarisation nationale et internationale des territoires paysans au nom de la conservation de la biodiversité et de la protection des écosystèmes.
● Nous rejetons le militarisme, la persécution, la criminalisation et le terrorisme institutionnalisé au nom de la conservation. L’exemple de la base militaire sur l’île de Gorgona, entre autres, en est le plus clair.
● La paysannerie colombienne souligne sans hésiter que : Sans une réforme agraire globale et populaire, il ne peut y avoir de protection de l’environnement ou d’écosystèmes stratégiques pour la vie, tels que les plateaux désertiques ou
páramos, la connexion andino-amazonienne, le Pacifique biogéographique et l’Orénoque. La restitution et la démocratisation de la terre, de l’eau, la restauration des plans d’eau et de la santé des sols, ainsi que les paysan·nes de
l’agro-mines et de la pêche font partie intégrante des actions de la paysannerie pour la défense de l’environnement et sont une partie importante de la réforme agraire intégrale et populaire.
● Nous demandons à l’État colombien de reconnaître la dimension environnementale territoriale des paysan·nes sur un pied d’égalité avec les autres populations bénéficiant d’une protection spéciale dans la Constitution. Cette égalité est définie afin de parvenir à l’harmonisation de leurs droits : ce qui se traduit par une législation, des politiques publiques et des instruments de gestion spécifiques qui garantissent la présence des paysan·nes dans les zones d’intérêt environnemental particulier dans des conditions dignes, avec une planification territoriale qui respecte les projets de vie, le développement durable et la gestion de l’environnement des différentes territorialités paysannes.
● Nous demandons que l’État prenne des mesures concrètes contre les grands domaines agricoles et les monocultures, en tenant compte de leur impact négatif sur la biodiversité des territoires.
● Il est nécessaire de donner la priorité à la souveraineté alimentaire basée sur l’agroécologie dans la consolidation des circuits d’approvisionnement agroalimentaire courts, locaux, régionaux et nationaux.
● Nous demandons à l’État colombien et à l’opinion publique colombienne de mener une discussion démocratique et honnête sur la nécessité de l’expropriation dans le cadre de la juridiction agraire, de la démocratisation de la
terre et de la fonction écologique et sociale de la propriété. Un projet national démocratique doit résoudre ce débat.
● Nous demandons à l’État colombien de développer des instruments de protection environnementale et écologique participatifs, communautaires et interculturels, afin d’éviter les actions nuisibles et la génération de conflits territoriaux locaux. C’est le cas entre les populations bénéficiant d’une protection constitutionnelle spéciale qui sont en conflit mais qui sont également des protecteur·ices de la biodiversité, comme par exemple le décret-loi 1094 de 2024.
● Nous réaffirmons que la paysannerie a une dimension environnementale territoriale qui doit être respectée, soutenue et réaffirmée à tous les niveaux du gouvernement national et de l’État colombien.
● Le rôle de soin, de protection et de gardien de la biodiversité et des biens communs que les paysan·nes ont historiquement joué dans le pays doit être garanti, reconnu et rendu visible.
● Nous réaffirmons qu’il ne peut y avoir de discussion sur la protection de l’environnement et des écosystèmes sans reconnaître le rôle prépondérant et stratégique des paysan·nes dans la lutte pour la souveraineté alimentaire.
● Nous soulignons la nécessité pour le ministère colombien de l’environnement et du développement durable de s’engager à garantir la protection de la paysannerie, de ses formes de travail, de son autonomie, de sa culture et de sa
capacité environnementale et territoriale, y compris une réforme structurelle de la configuration et du fonctionnement des corporations autonomes régionales, ainsi que l’implication de la paysannerie dans la gestion, la conception, l’exécution et l’évaluation des plans de gestion de l’environnement des zones protégées.
● Nous demandons au ministère de l’Agriculture de promouvoir cette déclaration comme contraignante dans les politiques publiques existantes, afin de renforcer l’agenda des paysan·nes et des défenseur·euses des biens communs qui s’opposent au modèle mondial de l’agro-industrie et de l’extractivisme.
● Nous rejetons le cadre conceptuel, politique, environnemental et économique dans lequel les discussions sur la protection de la biodiversité se développent à partir d’une vision de marchandisation de la nature.
● Nous défendons le dialogue des savoirs, le transfert de technologies de manière souveraine et démocratique, la gestion communautaire des savoirs territoriaux, l’innovation dans le cadre des modes de vie paysans et la garantie de leur préservation et de leur reproduction.
Le renforcement de la vie paysanne a besoin de l’engagement total de la société à respecter l’accord de paix et les accords convenus avec le mouvement paysan, ainsi que la consolidation de la paix totale et le dialogue politique pour surmonter le conflit armé interne.
C’est pourquoi, en tant que paysan·nes, nous réaffirmons l’urgence de la mise en œuvre d’une politique contraignante, concertée et progressiste en matière de drogues, basée sur une approche différentielle, territoriale, des droits humains et de non stigmatisation, qui nous permettra de surmonter le phénomène des cultures illicites dans les territoires paysans.
Il n’est pas possible d’avoir une discussion réaliste sur la protection écologique, la production alimentaire et le soin des écosystèmes au milieu de la guerre et de l’injustice sociale.
Nous appelons le Président Gustavo Petro à mener une discussion internationale et à présenter à la COP16 les revendications des paysan·nes, à défendre leur place dans la protection de l’environnement et la nécessité d’un cadre politique qui les reconnaisse.
Sur le contexte mondial, demandes formulées à la COP16 :
Les organisations paysannes de Colombie et d’Amérique latine se sont historiquement positionnées dans la défense des droits des paysans dans leur essence, sans abandonner la défense des voix indigènes, des communautés ancestrales, des communautés côtières, des femmes, des territoires interculturels, des migrant·es, des enfants et des jeunes dans leur diversité, ainsi que la défense de la souveraineté alimentaire, en mettant en avant l’agriculture paysanne, la production agro-écologique et les économies sociales solidaires, la protection des biens communs et de la biodiversité, pour parvenir à une alimentation saine en équilibre avec la nature, ainsi que le rôle des coopératives, des réserves paysannes et indigènes. Ceci en réponse à l’agenda mondial de l’agro-industrie et de l’extractivisme.
Dans le contexte de la crise climatique et de la menace de perte de biodiversité, nous voulons que le rôle fondamental des paysan·nes dans la conservation de la biodiversité et la protection des biens communs soit reconnu, en l’absence de justice sociale et climatique dans les approches globales actuelles.
Nous exigeons le respect des connaissances ancestrales des paysan·nes en matière de biodiversité. L’élément clé est l’intégration des visions du monde paysan traditionnel dans les décisions politiques, qui restent absentes malgré l’intégration des communautés autochtones ancestrales.
Par conséquent, nous demandons la reconnaissance du rôle clé des paysan·nes et d’autres formes locales d’organisation non marchande dans la prise de décision sur les politiques de biodiversité, car nous possédons des connaissances approfondies sur la gestion éthique des biens communs, basée sur notre capacité d’action et d’autonomie, qui joue un rôle crucial dans l’apport de véritables solutions à la crise climatique et à la préservation de la biodiversité.
Les modèles extractivistes du système agro-industriel sont les premiers responsables de la perte de biodiversité et de la crise climatique. Ces systèmes, centrés sur les intérêts des entreprises, ne dégradent pas seulement l’environnement, mais affectent également la culture et l’existence des communautés paysannes, traditionnelles, tribales, afro-descendantes, palenqueras et indigènes, qui sont en première ligne de la défense des biens communs, en particulier les communautés paysannes, qui restent invisibles.
La création de « compensations » ou de « crédits de biodiversité » en tant que solutions sont des mécanismes promus par des milliardaires et des sociétés financières commerciales qui permettent aux pays riches d’éviter la réglementation sans s’attaquer aux causes sous-jacentes de la perte de biodiversité, en transférant la responsabilité et en payant pour que d’autres se réapproprient la planète qu’ils détruisent.
Par conséquent, nous, paysan·nes, exigeons que les causes de la crise soient traitées par le biais de réglementations efficaces, telles que celles promues par les défenseur·euses des biens communs dans leurs territoires. En même temps, nous exigeons de ne pas promouvoir des projets commerciaux qui endommagent les écosystèmes naturels d’algues, en interdisant l’utilisation d’algues génétiquement modifiées et toute forme de géo-ingénierie qui affecte la biodiversité.
Nous remettons en question l’approche de la Convention sur la diversité biologique (CDB), qui tend à ignorer le rôle des paysan·nes et des pêcheur·euses dans la gestion durable des biens communs naturels, en adoptant une perspective utilitaire, économiste et anthropocentrique qui n’aborde pas de manière globale la question de la perte de biodiversité.
Nous nous opposons catégoriquement au développement des technologies du génie génétique et de la biologie synthétique, ainsi qu’à l’utilisation de L’information de séquençage numérique (ISN) et aux brevets qui en découlent, car ils constituent en fin de compte une manière de privatisation et la manipulation de la vie dans lesquelles les entreprises cherchent à réaliser des profits juteux en provoquant des distorsions graves et imprévisibles des génomes naturels, entraînant des conséquences inconnues qui nuisent à la production alimentaire traditionnelle et paysanne, ainsi qu’à l’érosion de la biodiversité.
Nous rejetons donc les fausses solutions « basées sur la nature » promues par les entreprises, telles que le « greenwashing » ou « écholavage », un terme utilisé pour décrire la manière dont les gouvernements, les hommes politiques et les entreprises promeuvent des processus qui simulent un prétendu « engagement authentique » en faveur de l’environnement ou de la durabilité, mais qui sont en fait superficiels, insuffisants ou tout simplement contre-productifs.
Cela entraîne une perte de confiance des citoyen·nes dans les initiatives de restauration et de réparation du climat, et gêne la mise en œuvre de politiques efficaces en matière d’environnement et de climat. Il est urgent d’aller vers un chemin de justice et réparation climatique pour ainsi aborder les inégalités structurelles et juger les responsables corporatifs.
La justice climatique se focalise sur la justice, l’équité et les droits des humains, ainsi que sur les réparations et les compensations pour les communautés touchées par les dommages climatiques et la perte de biodiversité, en mettant l’accent sur les populations les plus touchées, telles que les jeunes, les femmes, les agriculteur·rices et les pêcheur·euses dans toute leur diversité, afin de renforcer le dialogue intergénérationnel, la diversité culturelle et les connaissances traditionnelles.
Nous réitérons également qu’il n’est pas possible d’atteindre la justice sociale et climatique sans la justice de genre absente pour les femmes paysannes, c’est pourquoi nous demandons la mise en place d’une politique d’accès à la terre pour les femmes paysannes dans leur diversité. En outre, garantir la participation des femmes rurales aux espaces décisionnels économiques, politiques, sociaux et environnementaux est un moyen concret de parvenir à la justice climatique pour les populations clés qui sont les plus touchées par la crise climatique.
Nous insistons sur la défense et la protection des défenseur·ses de la nature face à la violation des droit humains, la stigmatisation et la criminalisation des paysan·nes, par le biais de politiques publiques qui protègent et justifient le rôle des défenseur·euses et des paysan·nes, ainsi que la création de fonds pour soutenir et mettre en œuvre une transition juste vers une production agroécologique et des économies à faible émission de carbone qui donnent la priorité à des modèles économiques paysans, sociaux et solidaires.
Il est essentiel que les gouvernements, en particulier celui de la Colombie, promeuvent des actions concrètes et différenciées pour garantir la justice climatique et les réparations, qui nous offrent l’opportunité de une réponse efficace aux populations les plus touchées, comme nous, les paysan·nes du monde.
Enfin, notre proposition concrète au gouvernement colombien, dans le cadre de la COP16, est d’adopter et d’approuver la vision de la paysannerie à travers la création d’un organe subsidiaire qui, de manière permanente avec d’autres populations clés, travaille au respect, à la préservation et au maintien des connaissances, des innovations et des pratiques des communautés qui défendent les biens communs pour la protection et l’utilisation durable de la diversité biologique, dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 8j de la Convention sur la Diversité Biologique.
De même, nous demandons au gouvernement colombien, au nom de l’État colombien, la reconnaissance de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysan·nes et des autres personnes travaillant dans les zones rurales, comme paramètre d’interprétation et d’application de la convention sur la biodiversité, en particulier les articles 19 et 20 de cette déclaration.
Nous appelons à une participation plus forte des agriculteur·ices dans la conception, la mise en œuvre et l’évaluation du plan d’action pour la biodiversité qui sera présenté lors de la COP16.
Le gouvernement colombien est essentiel pour développer des instruments participatifs, communautaires et interculturels de protection de l’environnement et de l’écologie, qui permettent un dialogue sur les connaissances inter-scientifiques nécessaires, comme la contribution des institutions académiques au service des communautés paysannes. En reconnaissant le rôle protagoniste de ceux et celles qui sont en première ligne dans la défense des biens communs et de la biodiversité.
Ceci afin de créer les conditions minimales d’un accord international entre les peuples, en particulier la paysannerie en tant que sujet de droit, en reconnaissant leurs différences, leurs particularités territoriales et culturelles, comme la construction d’un patrimoine bioculturel.
Par conséquent, il est essentiel que ceux qui représentent nos organisations paysannes soient inclus dans l’espace décisionnel en tant que délégation officielle de la Colombie à la COP16, garantissant ainsi notre autonomie en tant que paysan·nes.
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