Aux portes de la huitième Conférence de La Via Campesina : « Mondialisons les mobilisations pour défendre la vie, la paix et la démocratie »
Jeudi 30 novembre 2023
À l’occasion de la 8e Conférence Internationale de La Via Campesina qui se tiendra du 1er au 8 décembre à Bogota, le Forum de Communication pour l’Intégration de Notre Amérique (FCINA) s’est entretenu avec deux membres de la Coordination Internationale de l’Articulation, Nury Martínez Silva (FENSUAGRO, Colombie) et Micherline Islanda Aduel (Tet Kole Ti Peyizan Ayisyen, Haïti).
Jimena Montoya du Centre Latinoaméricain d’Analyse Stratégique (CLAE), Felipe Bianchi du Centro de Estudos da Mídia Alternativa Barão de Itararé et de l’agence ComunicaSul, Marina Caixeta du Portal Desacato et Javier Tolcachier de l’agence de presse internationale Pressenza ont également participé à cet entretien.
Concernant les débats que les organisations ont menés sur le rôle du féminisme et de la diversité dans le contexte historique actuel, Nury Martínez Silva a indiqué que la 8e Conférence de la Via Campesina ouvrira un débat sur la violence et l’anti-patriarcat et que des espaces seront réservés à ces axes de travail.
Concernant la lutte pour la construction de la souveraineté alimentaire, Micherline Islanda Aduel (TetKole Ti PeyizanAyisyen, Haïti) a souligné le parcours des organisations qui composent ce mouvement riche de 36 ans de lutte pour la défense de la terre mère. La jeune militante haïtienne a également affirmé que la Souveraineté Alimentaire constituait une position politique pour l’organisation. « Pour construire la Souveraineté Alimentaire, il faut des pratiques agroécologiques », a-t-elle affirmé. Elle explique qu’il s’agit d’une méthode à part entière, d’une identité qui contribue au bien vivre et au bien-être des paysan·ne·s, en proposant des logiques alternatives à la commercialisation. En même temps, cette méthode de travail de la terre implique la non-utilisation de produits chimiques pour défendre la vie. « Ce que nous défendons au sein de la CLOC-Via Campesina, c’est la vie, non seulement des paysan·ne·s, mais aussi de tou·te·s les habitant·e·s de la planète. Nous voulons construire depuis la base pour proposer une issue à l’impérialisme », a-t-elle déclaré. Elle a ensuite ajouté que les jeunes de la Via Campesina : « sont conscient·e·s de la nécessité de promouvoir cette vision, l’objectif ultime étant la Souveraineté Alimentaire ».
Concernant les tensions mondiales, la montée de l’extrême droite et les positions politiques de la Via Campesina à cet égard, Nury Martínez Silva a déclaré que le système corporatif et l’extractivisme gagnent dangereusement du terrain. « C’est une situation qui nous préoccupe, car les coups d’État ont changé de forme », a-t-elle déclaré. Elle décrit ce que l’on appelle les « coups d’État en douce », qui utilisent des mécanismes judiciaires et réglementaires pour amener au pouvoir des gouvernements de droite.
Elle a exprimé son inquiétude face à la progression de la droite en Europe et à la situation humanitaire du peuple palestinien. Lors de la 8e Conférence de la Via Campesina, a précisé Nury, il y aura un espace permettant d’établir un diagnostic et une analyse de la situation afin d’envisager des alternatives et de possibles alliances.
« Notre slogan dit que face aux crises mondiales, nous construisons la Souveraineté Alimentaire pour l’avenir de l’humanité », a-t-elle déclaré. Elle a ajouté qu’elle espère qu’à partir de cette réunion, après 30 ans de lutte, la Via Campesina élargira ses alliances, vers la mondialisation des mobilisations, « dans la lutte pour la paix et la démocratie ». La formation politique, a-t-elle dit, est très importante pour l’analyse du travail à accomplir.
Selon Nury Martínez Silva, l’unité des organisations de gauche constitue un processus difficile, « parce que le néolibéralisme a provoqué leur dispersion ».
Toutefois, la dirigeante colombienne a souligné que les revendications de cette organisation mondiale doivent aller bien au-delà des droits alimentaires. « Des changements structurels sont nécessaires, pour lesquels des alliances plus profondes sont indispensables, car l’offensive du capitalisme en Amérique latine est inquiétante », a-t-elle déclaré.
Concernant le lobby médiatique de l’agrobusiness et la construction de mécanismes de communication populaire qui cherchent à redéfinir certains enjeux, Micherline Islanda Aduel a constaté que l’agrobusiness utilisait des outils lui permettant de lutter contre les idées de La Via Campesina. Cela est lié aux spoliations des terres commises par les gouvernements. Selon elle, cela favorise la crise alimentaire qui sévit dans le monde entier.
Dans ce processus, selon la jeune dirigeante, l’OMC représente un instrument qui progresse en ne prenant pas en compte les intérêts des paysan·ne·s. « Cette organisation fait du lobbying au niveau mondial et nous nous mobilisons contre cela », a-t-elle rappelé. Elle affirme la nécessité de créer une organisation internationale qui défend les intérêts des paysan·ne·s. « Nous devons contrer la logique de l’agrobusiness dans le monde », a-t-elle déclaré.
De son côté, Nury a fait remarquer que l’agrobusiness en Colombie, qui exploite principalement le palmier à huile, la banane et le sucre, utilise la propagande pour rendre ce type d’exploitation « sympathique » en occultant son impact sur la vie de la population et des territoires.
Pour la dirigeante syndicale paysanne, les moyens de communication populaires ne suffisent pas à contrer ces discours, mais les organisations croient en la nécessité de continuer à contribuer à la construction de ces espaces.
« Lors de la 8e Conférence de la Via Campesina, des allié×e×s seront invité×e×s, ils doivent nous aider dans ces processus et contribuer à la formation. Nous avons encore un long chemin à parcourir pour donner de la visibilité à nos propositions et aux conséquences de l’agrobusiness. »
Concernant la crise politique actuelle en Haïti, la coordinatrice nationale des jeunes du mouvement Tet Kole Ti Peyizan Ayisyen a blâmé les gouvernements du Core Group, composé des ambassadeurs des États-Unis, de la France, du Canada, de l’Allemagne, de l’Espagne, de l’OEA et de l’Union européenne, entre autres entités étrangères, qui décident de tout dans le pays.
En ce sens, elle a condamné l’intervention « humanitaire » qu’elle considère comme une nouvelle occupation dans un pays où il n’y a pas de guerre. Il n’y a de problèmes de violence que dans la capitale Port-au-Prince, mais pas dans les autres départements.
En ce qui concerne les difficultés liées à la migration forcée de nombreux Haïtien·ne·s, et en particulier de nombreux jeunes, Micherline Islanda Aduel souligne que c’est l’impérialisme et la bourgeoisie dominicaine qui ont créé une division entre des peuples frères qui vivent sur la même île et ne se considèrent pas comme des ennemi·e·s. Les mouvements paysans des deux nations travaillent ensemble pour renforcer la solidarité entre les deux peuples, a-t-elle ajouté.
Elle a également dénoncé l’assassinat de paysan·ne·s dans le nord-est du pays dans le but de créer des zones franches. Les paysan·ne·s sont maintenant exploité·e·s comme main-d’œuvre sur leurs propres terres pour la construction.
Interrogée sur les problèmes environnementaux et climatiques auxquels sont confrontés les peuples de la région, Nury Martínez Silva a déclaré que ces questions, que La Via Campesina englobe dans le concept de justice climatique, sont très importantes et qu’un espace particulier leur y sera consacré pendant la Conférence.
Le changement climatique a bouleversé les saisons, fait de gros dégâts sur les cultures et l’élevage et a causé le déplacement forcé de populations. Pour sauver la terre et l’humanité, nous devons changer notre modèle de production, a-t-elle déclaré. Elle a ajouté que la dégradation de l’environnement est causée par l’exploitation minière, l’agro-industrie, les mégaprojets hydroélectriques et le détournement des cours d’eau. C’est pourquoi la Via Campesina propose que l’agriculture paysanne et l’agroécologie soient au cœur du débat pour la défense de la planète et l’humanité.
Nury a également mentionné la création des IALA (Instituts Agroécologiques Latino-Américains), qui sont déjà au nombre de douze. On y propose des mises en situation pratiques et des formations pour que les jeunes ne quittent pas la campagne et ses traditions.
Mais on ne peut parler de Souveraineté Alimentaire sans réforme agraire, sans accès à la terre, ce que le gouvernement colombien actuel tente de mettre en œuvre par le biais de lois, a-t-elle ajouté.
Concernant les obstacles au projet de Réforme Agraire Intégrale et à la réalisation de la « paix totale » en Colombie, un pays où le conflit armé est fortement lié à la dépossession des terres de la paysannerie, la présidente de FENSUAGRO a indiqué que l’un des problèmes est que la plupart des terres arables sont utilisées par les propriétaires terriens pour l’élevage extensif.
Il existe de nombreux obstacles institutionnels, l’État colombien est conçu pour aller à l’encontre de la paysannerie et, bien que le gouvernement souhaite des changements, il conspire contre la possibilité d’accéder à des projets productifs, au système des achats publics, etc.
Mais on réalise des progrès encourageants, le mouvement paysan soutient et participe, attentif à ne pas permettre un coup d’État contre le président Petro, ce que cherche la droite pratiquement depuis le début de son mandat. Pour la première fois dans l’histoire de la Colombie, les paysan·ne·s sont considéré·e·s comme des sujets de droit.
Les organisations paysannes apprécient beaucoup les efforts du président et le soutiennent, mais ce n’est pas facile. Il y a encore beaucoup de groupes armés en Colombie et des gens se font encore tuer dans nos territoires. C’est pourquoi la paix totale doit être construite avec la participation des peuples.