Thaïlande, Kao Bart : Les femmes paysannes en lutte pour leurs droits sur les terres et leur bien-être

 

Les femmes de Kao Bart recueillie lors d’un rituel traditionnel, demandant à la divinité locale de protéger leurs semis préparés pour les activités annuelles de boisement.

(Bangkok, Novembre 2015). Le village de Kao Bart abrite une communauté vivant dans la forêt de Dong Yai à Buriram, une province près de la frontière entre la Thaïlande et le Cambodge, côté Thaïlande. Cet article donne des éléments pour comprendre la relation complexe entre l’Etat, l’armée, les intérêts des entreprises dans l’agriculture. Il illustre aussi la détermination des femmes paysannes pour assurer l’autonomie et la sécurité dans le village de Kao Bart. La rédaction de cette histoire a été organisée par l’Assemblée des Pauvres, membre de La Via Campesina en Thaïlande.

En 1970, les villageois de Kao Bart furent encouragés par l’armée thaïe à vivre dans la forêt et à y cultiver dans le cadre des stratégies militaires anti-communistes. En 1976, lorsque la guerre contre le communisme pris fin, l’Etat thaï décida de pousser les villageois en dehors de la forêt. Leurs terres furent données à des entreprises franchisées pour y installer des plantations d’eucalyptus.

En 2009, le contrat de franchise de la plus importante étendue de terre cultivée expira. Les villageois de Kao Bart décidèrent alors de reprendre leurs terres. Ils devinrent membres de l’Assemblée des Pauvres afin de lutter pour leurs terres – une ressource agraire essentielle. Comme beaucoup d’hommes ont migré vers la ville pour trouver du travail, la majorité de la communauté de Kao Bart est désormais constituée par les femmes. Ces femmes sont devenue la principale force de résistance, prenant en charge la lutte politique en plus des tâches domestiques/économiques et bien qu’ayant déjà une quantité de travail plus importante pour cultiver les terres en l’absence de leurs homologues masculins.

Lors de l’occupation de leurs terres et pendant leur lutte pour les droits des terres, avant le coup d’état de 2014, les femmes paysannes de Kao Bart ont activement appris à cultiver de manière biologique.

Au niveau local, les agences gouvernementales furent incapables d’assurer aux femmes leurs droits sur les terres et ne purent rendre ces dernières aux villageois. Les femmes du village de Kao Bart allèrent donc à Bangkok pour exiger leurs droits. Protester dans la capitale ne fut pas simple pour les femmes de Kao Bart. Elles firent face à des menaces et harcèlement de la part des agents de l’Etat. L’intelligence, le calme et la patience devinrent leur arme fondamentale. Avec ces qualités en main, les femmes gérèrent des conflits agressifs et assouplirent des situations de tension à maintes reprises. En négociant avec l’Etat, elles démontrèrent au monde que, malgré toutes les conditions sociales et économiques auxquelles elles font confrontées, les femmes sont très tenaces quand il s’agit de leurs droits. C’est ainsi que le gouvernement de M. Abhisit Vejajiva accepta de résoudre le problème et autorisa les villageois à cultiver leurs anciennes terres en attendant de trouver une solution.

Cependant, dès le premier jour où les villageois de Kao Bart retournèrent sur leurs terres, ils furent menacés et harcelés par les autorités des agences gouvernementales au niveau local, comme par exemple les officiers des forêts et des parcs nationaux. Les autorités locales essayèrent de chasser les villageois en dehors de leurs terres, alors même que ces derniers étaient soutenus par une résolution du Cabinet les autorisant à cultiver leurs terres. Malgré la peur, les femmes décidèrent de lutter et de continuer d’occuper les terres pour leurs familles et enfants.

Les villageois de Kao Bart, surtout les femmes, furent menacés de bien des façons. Des fois, une petite troupe d’officiers armés s’immisçait dans le village. Parfois, ils prenaient des photos des villageois et du village. Des hélicoptères faisaient du surplace autour du village.

Même si les agents de l’Etat terrifiaient les villageois continuellement, il n’y avait pas de menace physique directe. C’est important parce que les femmes de Kao Bart sont engagées dans la patience et le calme et essaient de parler aux officiers. Ceux-ci sont souvent moins agressifs lors de la présence des femmes.

Les femmes de Kao Bart ont du faire face à une autre forme de menace : le harcèlement verbal. Les officiers de l’Etat se moquent constamment de ces dernières, les ridiculisent et les insultent. Ils disent, « les femmes doivent s’en tenir au travail de femme, dans la cuisine, pas la politique ou la lutte ! » Certaines jeunes femmes furent victimes de harcèlement sexuel verbal, menant à la diffamation et à la calomnie. Les officiers exerceraient une pression sur les familles des jeunes femmes dans le but de les forcer à quitter la lutte pour les terres. En règle générale, les hommes sont effrayés à l’idée que leurs femmes, leurs sœurs ou leurs mères soient impliquées dans des combats politiques. Mais les habitants de Kao Bart continuèrent d’utiliser les mécanismes légaux et politiques pour obtenir une résolution de leur situation par l’État.

La situation s’est brusquement détériorée lorsque la Thaïlande a connu une crise politique de longue durée, qui arrêta les négociations et le processus de résolution. Celle-ci devint fatale quand l’armée réalisa son coup d’état, annonça la loi martiale et installa le règne militaire en mai 2014.

L’armée a forcé les villageois à quitter leurs terres quelques mois après le coup d’état (mai 2014), photo prise en juin-juillet 2014 dans la communauté de Kao Bart.

Quelques mois plus tard, des ordonnances et un plan de maîtrise pour la sauvegarde de la forêt furent publiés, affectant des millions de petits paysans vivant dans les communautés forestières. La première victime fût le village de Kao Bart. En effet, la junte est déterminée à pousser les villageois en dehors de leurs terres à tout prix. L’armée a augmenté la pression sur les villageois, dont la majorité est toujours constituée de femmes. De nombreuses maisons de villageois furent encerclées par les forces armées pendant la nuit. Beaucoup de femmes furent suivies de près par des officiers. Les femmes se sentirent en danger. Sous la loi martiale, elles ne pouvaient se plaindre, ni négocier ni protester. La junte avait toute autorité pour convoquer, arrêter toute personne et utiliser la cour militaire pour les procès.

Après seulement 2 mois de résistance suivant le coup d’état les villageois décidèrent de quitter leurs terres. La junte n’a fourni aucune aide aux paysans après leur déménagement forcé.

En ce moment (septembre 2015) les femmes de Kao Bart sont dans une difficulté extrême. Les villageois se sont dispersés à des endroits différents les uns des autres, essayant de survivre. Il n’existe aucune sécurité pour ces derniers. Acheter ou louer des terres cultivables est très difficile. L’économie générale de la Thaïlande décline de manière constante à cause du règne militaire. Le prix du riz et autres semences baisse de manière drastique. Les petits paysans deviennent de plus en plus pauvres, et il va s’en dire que c’est aussi le cas des femmes de Kao Bart.

Les leaders des femmes de Kao Bart travaillent maintenant étroitement avec l’Assemblée des Pauvres pour maintenir l’esprit du groupe. Elles s’essaient à de nombreuses activités, comme la collecte de riz dans les rizières, de légumes dans les potagers, etc. Mais cela reste très dur. La lutte pour les droits sur la terre et une vie digne pour les femmes de Kao Bart est impossible sous le règne militaire. Leur futur reste sombre.