Sri Lanka : MONLAR demande au gouvernement d’abandonner les accords néfastes de restructuration de la dette et de réformer les lois pour les aligner sur l’UNDROP

Le Mouvement pour la Réforme Agraire et Foncière (MONLAR), qui représente plus de 5 000 travailleur·euse·s paysan·ne·s au Sri Lanka, a récemment présenté une contribution au gouvernement, recensant plusieurs cas de violation de La Déclaration des Nations unies sur les droits des paysan.nes et des autres personnes travaillant dans les zones rurales,à laquelle le Sri Lanka est signataire. MONLAR a également appelé le Groupe de travail des Nations Unies sur la Déclaration à initier une évaluation de la manière dont les conditions imposées par le FMI, d’autres institutions financières internationales (IFIs) et l’architecture mondiale de la dette violent les droits humains des paysan·ne·s et des travailleur·euse·s. Cette contribution, dont un extrait est reproduit ci-dessous, révèle également comment les institutions financières internationales ont imposé des réformes économiques qui ont transféré la charge de la stabilisation économique aux couches les plus pauvres de la société par des mesures d’austérité.
1,65 million de paysan·ne·s et de petit·e·s producteur·rice·s alimentaires au Sri Lanka travaillent sur des parcelles de moins de 2 hectares chacun·e, tout en produisant 80 % de l’alimentation du pays. Pourtant, les politiques économiques dictées par la dette, prônées par le Fonds Monétaire International (FMI), la Banque mondiale et la Banque asiatique de développement (BAD), ont détruit l’autonomie des paysan·ne·s et des pêcheur·euse·s en matière de production alimentaire, ainsi que leur capacité à garantir la souveraineté alimentaire.
À travers divers programmes d’ajustement structurel, les Institutions Financières Internationales (IFIs) poussent le Sri Lanka à privilégier les cultures de rente destinées à l’exportation au détriment de la production alimentaire pour la consommation intérieure. Les réformes agricoles orientées vers l’exportation, qui ont imposé un modèle agricole intensif en capital, ont favorisé les agro-industries et affaibli les paysan·ne·s et les petit·e·s pêcheur·euse·s, en les rendant dépendant·e·s du marché pour l’approvisionnement en semences, engrais, filets de pêche et bateaux. En raison de l’augmentation du coût de la production alimentaire, les paysan·ne·s et pêcheur·euse·s sont aujourd’hui criblé·e·s de dettes, exproprié·e·s de leurs terres, réduit·e·s au rang d’ouvrier·ère·s agricoles sur leurs propres terres, et contraint·e·s de migrer vers des zones industrielles locales ou à l’étranger comme travailleur·euse·s sous contrat.
L’échec du système agricole actuel à garantir des moyens de subsistance dignes pour les paysan·ne·s et les autres travailleur·euse·s des zones rurales est évident dans la concentration extrêmement élevée de la pauvreté dans les zones rurales et les plantations, où vivent plus de 80 % des personnes pauvres du Sri Lanka.
Le Sri Lanka a connu l’une des pires crises économiques en 2022, lorsqu’il a fait défaut sur ses paiements de dette extérieure en avril 2022. Cette crise économique a eu un impact dévastateur sur les communautés rurales, entraînant un doublement des taux de pauvreté. Le FMI, d’autres institutions financières internationales (IFIs) et des créanciers privés ont profité de la crise et du défaut de paiement pour pousser le Sri Lanka à entrer dans son 17ᵉ programme avec le FMI, un Mécanisme élargi de crédit d’une durée de 48 mois et d’une valeur d’environ 3 milliards de dollars.
Violation de l’Article 2 : Responsabilité de l’État
Deux jours avant l’élection présidentielle de septembre 2024, le Sri Lanka a été contraint de signer un accord avec des créanciers internationaux pour restructurer sa dette envers des prêteurs privés. Cet accord, qui n’a été ni divulgué ni discuté avec le public ou même au Parlement sri-lankais, oblige le pays à donner la priorité au remboursement de la dette plutôt qu’aux droits des habitant·e·s du Sri Lanka. Cela affectera gravement la capacité du gouvernement à investir dans la production alimentaire, le développement des moyens de subsistance ruraux et la sécurité sociale des communautés rurales.
Violation de l’Article 4 : Non-discrimination à l’égard des femmes
Malgré leur contribution essentielle à la production alimentaire du Sri Lanka, la participation des femmes paysannes n’est ni reconnue ni prise en compte dans les cadres politiques nationaux. Les femmes paysannes font face à de nombreux obstacles qui les empêchent de réaliser leur plein potentiel : manque d’accès et de contrôle sur les ressources naturelles, les marchés, les services financiers, les technologies, ainsi que la charge des responsabilités familiales. Pourtant, elles soutiennent la production alimentaire en tant que membres de familles non rémunérées, ouvrières agricoles ou à travers des jardins familiaux. Leur rôle n’est cependant ni reconnu ni valorisé dans les dépenses publiques à l’échelle macroéconomique. en tant que femmes et en tant que petites productrices alimentaires.
Violation de l’Article 15 : Droit à l’alimentation et à la souveraineté alimentaire
La malnutrition et la sous-alimentation ont toujours été des préoccupations majeures au Sri Lanka, avec 32,6 % des femmes âgées de 15 à 49 ans souffrant d’anémie et 15,9 % des nourrissons présentant un faible poids à la naissance. La situation est encore pire parmi les familles de travailleur·euse·s agricoles dans le secteur des plantations. Bien que considéré comme un pays « agricole », le Sri Lanka dépend fortement des importations alimentaires. La vulnérabilité de la sécurité alimentaire du pays s’est manifestée lors de crises comme la pandémie, les conflits géopolitiques tels que la guerre en Ukraine, ou encore lors des pénuries de devises étrangères.
La crise économique de 2022 a encore aggravé la situation. Selon le Programme Alimentaire Mondial, en janvier 2023, 6,3 millions de personnes — soit plus de 30 % de la population — étaient en situation « d’insécurité alimentaire » et avaient besoin d’aide humanitaire. Parmi elles, environ 5,3 millions réduisaient ou sautaient des repas, et au moins 65 600 personnes étaient en situation d’insécurité alimentaire sévère. L’augmentation de la TVA a également entraîné une hausse de l’inflation alimentaire.
Violation de l’Article 16 : Droit à un revenu décent, à des moyens de subsistance et de production
Les réformes économiques imposées à travers le 17ᵉ programme du FMI ont transféré le fardeau de la stabilisation économique aux couches les plus pauvres de la société via des mesures d’austérité. La mise en œuvre du système de tarification énergétique fondé sur le recouvrement des coûts, recommandé par le FMI, a presque triplé les prix du carburant et de l’électricité, affectant gravement les moyens de subsistance des paysan·ne·s et des pêcheur·euse·s. La hausse des taxes sur les équipements, les semences et les intrants chimiques a augmenté les coûts de production, plongeant les paysan·ne·s dans la pauvreté et l’endettement.
L’endettement des paysan·ne·s et des pêcheur·euse·s est principalement lié à l’expansion d’une agriculture intensive en capital et à la prolifération des prêts à but lucratif par les banques et les sociétés de microfinance. Avec le retrait de l’État du crédit agricole, l’endettement est devenu une caractéristique permanente de la vie des paysan·ne·s, des femmes paysannes et des pêcheur·euse·s. Les vagues de suicides parmi les paysan·ne·s dans les années 1990 et parmi les femmes paysannes après 2015 illustrent la nature prolongée de cet endettement dans le secteur agricole. Selon les statistiques nationales de 2019, l’endettement est plus répandu dans les secteurs ruraux et des plantations que dans les secteurs urbains : 60,9 % des ménages ruraux et 64,4 % des ménages des plantations sont endettés. Les régions de Vavuniya et de Polonnaruwa, majoritairement agricoles et situées près des plus grandes rizeries privées, enregistrent les taux d’endettement les plus élevés, avec respectivement 76,1 % et 70,3 % des ménages endettés.
Violation de l’Article 17 : Droit à la terre
Les Institutions Financières Internationales (IFI) comme le FMI et la Banque mondiale défendent depuis longtemps la privatisation du marché foncier au Sri Lanka. Elles ont plaidé pour que les titres fonciers en pleine propriété soient distribués aux agriculteur·rice·s, en levant les restrictions qui empêchaient auparavant la vente des terres attribuées par l’État à des tiers. Cette exigence refait surface avec le programme actuel du FMI, le gouvernement ayant introduit un nouveau programme de distribution de titres fonciers en pleine propriété aux paysan·ne·s.
Dans le contexte de crise économique et d’endettement généralisé, MONLAR et de nombreuses autres organisations craignent que cela ne mène à une dépossession massive des terres paysannes.
Actuellement, l’État ne reconnaît pas les droits fonciers coutumiers. De nombreux·ses paysan·ne·s ont ainsi perdu les terres qu’ils·elles cultivaient et habitaient depuis des générations.En raison de l’absence de reconnaissance des droits fonciers, de nombreuses communautés sont déplacées lorsque des projets et des aménagements de grande envergure sont réalisés dans leurs villages.
Bien que 15 ans se soient écoulés depuis la fin de la guerre, de vastes portions de terres dans le Nord restent toujours sous occupation militaire. Les communautés minoritaires utilisent ces terres depuis des générations, avant et pendant la guerre, et elles jouent un rôle essentiel dans leur mode de vie et leur culture. Certain·e·s habitant·e·s de ces terres ont été déplacé·e·s à l’intérieur du pays, tandis que d’autres vivent encore dans des camps de déplacé·e·s internes.
Violation de l’Article 24 : Droit au logement
Même après 200 ans, les descendants des personnes amenées au Sri Lanka depuis le Sud de l’Inde en tant que travailleur·euse·s sous contrat (communauté Malaiyaga) dans les plantations de thé et de caoutchouc n’ont toujours pas de propriété foncière ni de logement. Ils·elles ont été contraint·e·s de vivre sur des terres de plantation (appartenant à l’État et à des entreprises privées) dans des conditions de logement extrêmement précaires. Ils·elles n’ont pas accès à la terre pour leur production alimentaire et restent vulnérables aux expulsions par les propriétaires fonciers — les entreprises de plantation.
Recommandations au gouvernement du Sri Lanka
- Quitter immédiatement les accords en cours du FMI et de restructuration de la dette, car ils sont nuisibles et défavorables. Le gouvernement devrait négocier de nouveaux accords qui garantissent un développement économique durable pour le pays et les droits socio-économiques des paysan·ne·s, des travailleur·euse·s et des autres communautés pauvres et vulnérables.
- Introduire les réformes nécessaires dans le cadre juridique et politique local pour appliquer les droits inscrits dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysan·ne·s et autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP). Certaines actions immédiates peuvent inclure :
- Réviser les lois actuelles concernant la terre, les semences, l’eau, la biodiversité et d’autres ressources naturelles pour garantir les droits des paysan·ne·s et des autres travailleur·euse·s ruraux·ales.
- Codification d’une nouvelle Constitution qui intègre les droits sociaux, économiques et culturels des paysan·ne·s, des travailleur·euse·s et des autres comme droits humains fondamentaux.
- Reconnaître la souveraineté alimentaire et les droits des paysan·ne·s et des travailleur·euse·s ruraux·ales comme priorités essentielles dans la formulation des politiques agricoles, de développement et économiques du pays.
- Mener un audit de la dette agraire et fournir un allégement de la dette, y compris une annulation de certaines dettes.
- Reconnaître les femmes comme des actrices clés de l’agriculture, de la production alimentaire et de l’économie rurale. Allouer des ressources par le biais des budgets nationaux et locaux pour garantir aux femmes l’accès à des ressources financières accessibles et justes. Le gouvernement devrait soutenir les actions collectives des femmes paysannes dans la production alimentaire, le traitement, la commercialisation et les systèmes d’épargne.
- Libérer toutes les terres occupées par l’armée dans le Nord et l’Est et les restituer à leurs propriétaires originels, et soutenir les paysan·ne·s et autres producteurs·rices alimentaires pour relancer leurs moyens de subsistance sur ces terres.
- Reconnaître et satisfaire la demande de la communauté Malaiyaga d’attribuer des terres pour leur logement et leur production alimentaire.
- Réviser les lois actuelles concernant la terre, les semences, l’eau, la biodiversité et d’autres ressources naturelles pour garantir les droits des paysan·ne·s et des autres travailleur·euse·s ruraux·ales.
MONLAR a également demandé au Groupe de travail des Nations Unies sur la Déclaration des droits des paysan·ne·s et autres personnes travaillant dans les zones rurales de lancer une évaluation sur la manière dont les conditions du FMI, d’autres IFIs et l’architecture de la dette mondiale violent les droits humains des paysan·ne·s et des travailleur·euse·s, ainsi que de mener une étude transnationale pour examiner l’impact de la microfinance sur les femmes et le développement rural.

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