Inde : Sur le soutien des prix pour les agriculteurs, l’opinion économique dominante passe de “pourquoi” à “comment”

La mobilisation historique des agriculteur·trices en Inde en 2020–2021, qui a attiré l’attention mondiale, a été suspendue lorsque le gouvernement indien a annoncé sa décision de retirer trois lois controversées largement perçues comme favorisant les entreprises.
Bien que cette protestation d’un an ait contraint le gouvernement à prendre une mesure sans précédent, elle a également mis en lumière le programme de soutien aux prix de l’Inde, souvent appelé la politique de Prix Minimum de Soutien (PMS). Au cours de cette année, les débats médiatiques et les éditoriaux ont souligné comment ce programme—destiné à garantir des prix minimums pour 23 cultures—rencontre des difficultés en raison de sa mauvaise mise en œuvre, d’une infrastructure publique insuffisante, d’un manque d’engagement politique et de l’absence de garanties juridiques.
Jusqu’en 2021, l’opinion économique dominante, souvent influencée par des organisations internationales comme l’Organisation mondiale du commerce, critiquait la politique PMS comme une distorsion commerciale et contraire aux principes du marché libre. Cependant, la mobilisation de masse de millions de petit·es producteur·rices a fait évoluer le discours, passant de la question de la nécessité de la PMS à celle de son efficacité dans sa mise en œuvre. Ce changement représente un accomplissement important et souligne le pouvoir des mouvements sociaux pour façonner la perception publique.
Défis persistants et appels à une nouvelle protestation
Malgré l’impact de la protestation, la demande des agriculteur·rices pour la légalisation de la PMS reste insatisfaite trois ans plus tard. Le projet récemment publié du Cadre National pour le Marketing Agricole a suscité des inquiétudes parmi les syndicats agricoles, qui affirment qu’il ressemble étroitement aux lois retirées, mettant en doute les véritables intentions du gouvernement.
Au cours des deux derniers mois, les appels à de nouvelles protestations se sont intensifiés. Un leader syndical éminent du Pendjab est en grève de la faim depuis près de 50 jours, ce qui a poussé même la Cour suprême de l’Inde à prendre note. Des rapports suggèrent un remous parmi les agriculteur·rices dans les régions proches de la capitale nationale, rappelant les premières étapes des protestations historiques, qui pourraient se transformer en un autre mouvement de masse si le gouvernement reste insensible.
Cette fois, des activistes et des organisations agricoles ont proposé des mesures concrètes pour mettre en œuvre efficacement le soutien aux prix. Avant d’examiner ces propositions, il vaut la peine de se pencher sur les priorités actuelles du gouvernement indien.
Soutien étatique contrasté à l’ère néolibérale : agriculteur·rices vs. entreprises
Des chercheurs soutiennent qu’en 2022-2023 seulement, les banques publiques ont annulé des prêts et le gouvernement a accordé des exonérations fiscales aux entreprises à hauteur de 38 milliards de dollars—soit près de 1 % du PIB nominal de l’Inde. En revanche, fournir la PMS aux producteur·rices alimentaires de l’Inde coûterait seulement un dixième de ce montant. Les agriculteur·rices critiquent depuis longtemps cette disparité, où le soutien étatique aux entreprises est présenté comme des « incitations », tandis que le soutien aux agriculteur·rices est étiqueté comme un « passif » ou un « subside ».
Les producteur·rices alimentaires de petite échelle en Inde sont essentiels pour la souveraineté alimentaire du pays et font face à des risques importants, tels que des conditions météorologiques imprévisibles, des infestations de parasites et la volatilité des prix. Bien que les risques liés à la production ne puissent être entièrement atténués, le gouvernement peut jouer un rôle crucial pour protéger les agriculteur·rices contre la volatilité des prix grâce à des politiques comme la PMS.
Propositions pour la mise en œuvre du soutien aux prix
Des économistes et des activistes proches des syndicats de protestataires ont présenté des propositions concrètes sur la manière dont la PMS peut être mise en œuvre de manière efficace. Ils ont soutenu que faire de la PMS un droit légal obligerait l’État à garantir que les agriculteur·rices reçoivent le prix légal—qu’elles vendent à des marchés agricoles publics ou à des acheteurs privés. Les activistes ont répété qu’il fallait contrer la désinformation suggérant que les agriculteur·rices veulent que l’État achète tous les récoltes ou pénalise les acheteurs privés. Leur objectif est plutôt de garantir des prix équitables, indépendamment de l’identité de l’acheteur. L’objectif n’est pas de punir les acteurs privés, mais de réguler les marchés pour que les agriculteur·rices reçoivent des prix justes.
Voici les propositions concrètes pour la mise en œuvre du soutien aux prix, actuellement débattues activement en Inde.
- Étendre le système de distribution publique (PDS) :
Le Système de Distribution Publique (PDS) en Inde est un programme public qui vise à fournir des aliments abordables et des produits essentiels aux personnes les plus pauvres et vulnérables de la société. La PMS est le prix auquel l’État garantit l’achat de certains produits agricoles (comme le blé, le riz, les légumineuses, etc.) auprès des agriculteur·rices, quelles que soient les fluctuations du marché. Le gouvernement acquiert de grandes quantités de céréales (comme le riz et le blé) à travers des agences comme la Food Corporation of India (FCI). Ces céréales achetées sont ensuite distribuées via le PDS aux sections vulnérables de la société à des prix subventionnés. Actuellement, le PDS est principalement axé sur le riz et le blé. En élargissant le panier alimentaire pour inclure d’autres cultures couvertes par la PMS—comme le millet, les légumineuses et les graines oléagineuses—le gouvernement peut inciter les agriculteur·rices à diversifier leur production. Un panier alimentaire plus diversifié dans le PDS bénéficierait également aux populations sous-alimentées, créant ainsi une situation gagnant-gagnant pour les agriculteur·rices et les citoyen·nes les plus pauvres du pays. - Concevoir des schémas d’intervention sur le marché dirigés par l’État :
Le gouvernement pourrait introduire un schéma d’intervention sur le marché bien financé pour stabiliser les prix lorsque les taux du marché tombent en dessous de la PMS. Cela pourrait impliquer l’achat de quantités limitées de récoltes pour influencer les prix du marché, la fixation d’un prix de plancher, l’ajustement des politiques commerciales internationales ou la création de structures de stockage public où les agriculteur·rices pourraient conserver leurs récoltes jusqu’à ce que les prix se rétablissent. - Un schéma de compensation dirigé par l’État :
Si les récoltes sont vendues en dessous du prix légal (PMS), le gouvernement pourrait indemniser les agriculteur·rices pour la différence. Des schémas similaires ont déjà été testés dans les États indiens de Haryana et Madhya Pradesh. En s’appuyant sur ces expériences, le gouvernement pourrait établir des mécanismes pour déterminer les prix du marché équitables, minimisant ainsi le risque de manipulation du marché ou de collusion. Alternativement, il pourrait calculer un taux forfaitaire de compensation en fonction de la superficie moyenne cultivée et de la productivité moyenne dans une région donnée.
En fin de compte, la mise en œuvre de mécanismes efficaces de soutien aux prix comme la PMS n’est pas seulement une question de politique économique—c’est une question de justice et d’équité. Ce dont nous avons maintenant besoin, c’est de la volonté politique pour répondre aux aspirations et aux demandes des producteur·rices alimentaires de petite échelle qui nourrissent plus d’un milliard de personnes dans cette région.
Cet article a été compilé à partir de diverses sources.
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