France : le ministre de l’agriculture parle d’agroécologie mais promeut l’agriculture industrielle

Lettre ouverte à Monsieur Stéphane Le Foll, Ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la Forêt pour que les annonces sur l’agro-écologie ne restent pas lettre morte.

Monsieur le ministre,

Face aux inquiétudes de la société française pour la qualité de son alimentation et ses attentes dans les domaines de l’agriculture, de la santé et de l’environnement, le gouvernement français lançait il y a un an un projet de transformation de l’agriculture : « le projet agro-écologique pour la France ».

Votre ministère en a donné une définition suffisamment large pour ne pas heurter certains intérêts et pour mobiliser des soutiens divers parmi les agriculteurs et les acteurs de la recherche agronomique et du développement agricole. Même séduisant, ce projet peine encore à susciter l’adhésion de la société civile.

Ce projet agro-écologique comporte de multiples facettes et a pour ambition de concilier performances économique, environnementale et sociale. Pour ce faire, deux leviers sont identifiés : la politique agricole commune réformée et la Loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. Derrière les mots, chacun y trouverait son compte mais selon nous, la cohérence n’y est pas, et certains objectifs agro-écologiques semblent se soumettre à l’obsession de compétitivité des filières agricoles.

Pour mettre en œuvre cette triple performance, entendons-nous sur leur signification.

Pour nos organisations, la performance économique n’est ni la taille, ni les volumes produits, ni l’importance du capital financier, ni le volume d’aides perçues, mais bien la capacité à créer de la valeur ajoutée.

Selon nous, la performance sociale doit faire vivre des paysans nombreux : une agriculture ne peut être économiquement performante si elle repose sur de moins en moins de paysans. Or l’aspect social reste en jachère : des petits éleveurs risquent d’être exclus de certaines aides de la PAC, les aides du 2nd pilier de la PAC sont fléchés sur la modernisation des bâtiments d’élevage et les soutiens à l’agrandissement, alors que la promotion de l’installation est encore insuffisante.

Sur le plan environnemental, le projet chercherait à prolonger certains acquis du Grenelle de l’environnement, en amalgamant la réduction de la consommation des pesticides et des antibiotiques, le doublement des surfaces en agriculture biologique et du nombre d’apiculteurs.

Mais le manque de cohérence est là : négociant les derniers ajustements techniques de la PAC à Bruxelles, votre ministère prépare une certification environnementale prévoyant que la monoculture de maïs serait compatible avec le verdissement et que des cultures utilisant pesticides et engrais minéraux rentreraient dans les surfaces d’intérêt écologique. De telles méthodes n’ont clairement rien d’agro-écologique.

Ni la PAC, ni la Loi d’avenir ne mettront en place de mesures permettant une réelle diminution de l’utilisation des pesticides. En revanche, le relèvement des seuils pour les installations classées augmentera celle des antibiotiques, dont la consommation est proportionnelle au nombre d’animaux sur un même site !

Par ailleurs, votre ministère ne garantit pas la pérennité de l’aide au maintien de l’agriculture biologique. Comment les surfaces en agriculture biologique pourraient doubler en France sans soutien adéquat et durable ?

Le développement de la méthanisation ne vise pas à orienter ces systèmes vers l’agro-écologie. Le but annoncé serait de décharger les excédents azotés de l’élevage industriel vers des zones de cultures tout aussi intensives, illusion techniciste. Ces usines à gaz entreront le plus souvent en concurrence avec la production alimentaire, appauvriront les sols en carbone, les fragilisant, et généreront de nouvelles pollutions par l’ammoniac ou le dioxyde d’azote.

Dès lors, où est l’agro-écologie mise en avant – et que nous soutenons – dans l’article premier de la Loi d’avenir, comme privilégiant « l’autonomie des exploitations agricoles et l’amélioration de leur compétitivité, en diminuant la consommation d’énergie, d’eau, d’engrais, de produits phytopharmaceutiques et de médicaments vétérinaires, en particulier les antibiotiques » ?

Si nous partageons l’objectif visant à “produire autrement en agriculture”, nous insistons sur l’impérieuse nécessité d’évaluer autrement la performance économique, sociale et environnementale. Les critères d’évaluation standards basés sur la seule productivité à l’hectare ou sur les volumes sont obsolètes, puisqu’ils ne prennent en compte ni la disparition des emplois agricoles, ni les subventions injectées, ni la dégradation des ressources naturelles, ni les émissions de gaz à effet de serre.

A propos de l’agriculture biologique que vous avez intégrée à l’ambition agro-écologique, vous affirmez qu’elle serait moins productive. Ce n’est pas le cas dans des agro-systèmes cohérents (rotation longue, présence de matières organiques, etc.). Le solde productif (export moins intrants à l’hectare en tonne équivalent pétrole par exemple) est souvent supérieur à celui de l’agriculture conventionnelle. Une ambition agro-exportatrice basée sur l’augmentation des volumes ne peut légitimer le productivisme à tout crin.

De plus, les exportations agricoles et agroalimentaires françaises dépendent fortement des intrants importés (aliments du bétail, fertilisants, pesticides…) et des subventions directes et indirectes de la PAC.

Enfin en matière de politique commerciale, nous attirons votre attention sur une autre incohérence. Le gouvernement a refusé, avec raison, d’autoriser un maïs génétiquement modifié tolérant aux herbicides. Au même moment, son ministre de l’Economie, Pierre Moscovici plaidait en faveur d’une accélération des négociations sur l’accord de libre-échange et d’investissement entre l’Europe et les États-Unis.

Pour ces derniers, les objectifs en matière agricole sont clairs et destructeurs pour l’agriculture : ouvrir davantage le marché européen y compris pour les cultures OGM, la viande aux hormones ou issue d’animaux clonés, affaiblir les réglementations existantes en matière de pesticides notamment en donnant le droit aux multinationales d’attaquer les gouvernements qui adopteraient des lois contraires à leurs intérêts.

Selon nous, cette orientation libérale va donc à l’encontre des faibles acquis de la PAC réformée, du projet agro-écologique français et de la Loi d’avenir. Elle enterre tout espoir de projet politique européen au prétexte d’un bénéfice global mal évalué et non discuté.

Les enjeux sont de taille : si le gouvernement français veut défendre son projet agro-écologique, il doit d’abord viser l’ambition et la cohérence, et le mettre à jour à l’aune des incohérences que nous avons soulignées. C’est dans ces conditions que les organisations que nous représentons y contribueront activement.

Veuillez recevoir monsieur le ministre, l’expression de notre sincère considération.

René BECKER, Président de Terre de Liens
Allain BOUGRAIN DUBOURG, Président de la LPO
Jean-Marc BUREAU, Président de la FNCIVAM
Benoît DROUIN, Président du Réseau Agriculture Durable
Nicolas HULOT, Président de la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme
Stéphen KERCKOVE, Délégué général d’Agir Pour l’Environnement
Jacques MARET, administrateur de E3D
Stéphanie PAGEOT, Présidente de la FNAB
Pierre PERBOS, Président du Réseau Action Climat
Laurent PINATEL, Porte-parole de la Confédération Paysanne
Xavier POUX, Administrateur du Forum Européen pour la protection de la nature et le
pastoralisme
Joseph RACAPE, Administrateur de Dossiers et Débats pour un Développement Durable (4D)
François VEILLERETTE, Porte-parole de Générations Futures